Un non-lieu de mémoire de la Première Guerre mondiale : la bataille de Guise

 

A travers l'exemple de la méconnue bataille de Guise, qui se déroule à la fin août 1914, Erwan Le Gall examine les éléments faisant qu'un événement passe ou non à la postérité. C'est alors un étonnant portrait de la bataille de Guise qui se dessine, celui d'un non-lieu de mémoire.

Par Erwan LE GALL

 

 

C’est à partir des années 1980 que l’historiographie de la Première Guerre mondiale se renouvelle profondément, notamment autour d’une question fondamentale, celle de la violence, tant subie qu’infligée1. Pourtant, lorsqu’on observe ce mouvement éditorial et académique, on remarque que, paradoxalement, les chercheurs paraissent détourner leur regard de ce qui est sans nul doute le sel de la guerre : la bataille. Cette situation est d’autant plus étonnante qu’au même moment l’histoire militaire – non plus cette fois-ci circonscrite à la seule Grande Guerre – connait  un intense regain d’intérêt en prenant le combat comme champ d’investigation2. Empruntant désormais à l’ensemble des sciences humaines, cette discipline ne se limite plus à décrire attentivement les mouvements nécessairement héroïques des belligérants ou encore à s’interroger sur la pertinence de tel ou tel choix stratégique de tel ou tel général.

Parmi les pistes de travail assignées à l’histoire militaire par le maître britannique J. Keegan, il y a celle de la portée des batailles, de leur sens et, en un mot, de leur postérité3. On sait en effet que toutes ne sont pas égales devant l’Histoire, certaines changeant assurément le cours du temps. En ce qui concerne la Première Guerre mondiale, tel est notamment le cas de la première bataille de la Marne, en septembre 1914. En effet, une défaite aurait assurément poussé la France dans un remake de 1870. Cette perspective de défilé des Allemands sur les Champs-Elysées au terme d’une guerre éclair – 5 semaines de campagne ! – s’apparente, rétrospectivement, à la bande-annonce du film de l’année 1940. On voit donc toute l’importance de cette victoire de la Marne. On sait également que les batailles changent la trajectoire des hommes. On peut ainsi se demander ce que serait devenu Philippe Pétain sans Verdun. Pour autant, se poser cette question est aussi, en creux, se demander pourquoi certaines batailles accèdent au Panthéon des grands moments de l’Histoire – ce qui est assurément le cas de la Marne et de Verdun – tandis que d’autres demeurent reléguées dans les limbes de l’amnésie collective.

Le cas de la bataille de Guise, qui se déroule à la fin du mois d’août 1914, est à cet égard particulièrement symptomatique. Quasiment inconnue du grand public, elle est pourtant celle par qui le « miracle » de la Marne arrive. Pourtant, rares sont les combattants à en avoir perçu l’importance. Lorsqu’ils sont amenés à se remémorer leur expérience de guerre, les Bretons du 10e corps d’armée évoquent souvent en premier lieu le désastre de Charleroi, bien que leur conduite y ait été au moins tout aussi valeureuse qu’à Guise. On pourra toujours avancer l’idée que la mémoire suit ici le fil de la chronologie de la campagne. Pourtant, il semble bien que c’est dans la nature même de la bataille de Guise que se trouvent les éléments à l’origine de l’amnésie dont elle fait aujourd’hui l’objet.

 

Préambule et point de comparaison : Charleroi

Comme pour toutes les unités de l’armée française, la campagne du 10e corps d’armée débute le 2 août 1914. D’ailleurs, dès le lendemain, quelques éléments précurseurs quittent Rennes pour Bazancourt, dans la Marne. Aux ordres du général Defforges, les régiments en provenance de Guingamp (48e RI), Vitré (70e RI), Saint-Malo (47e RI)… mais aussi Cherbourg (25e RI) ou encore Saint-Lô (136e RI) débarquent dans une vaste zone située au Nord-Est de Reims4, conformément aux dispositions prévues par le plan XVII5.

Combattre à Charleroi 

Sitôt débarquées des trains qui les éloignent de leur vie « d’avant », les combattants, pour la plupart de simples paysans, civils uniformisés si l’on ose dire, se dirigent vers la frontière à la rencontre de l’ennemi. C’est le début d’une période dite de longues marches, effectuées sous une chaleur impitoyable par des soldats pour la plupart sous-entraînés – tout particulièrement ceux des classes que la mobilisation générale ne trouve pas sous les drapeaux – avec un ravitaillement bien souvent lacunaire, parfois même tout simplement absent. Aussi, c’est passablement éreintés que se trouvent les soldats du 10e corps à la veille de recevoir le baptême du feu au cours de la bataille de Charleroi6.

Celle-ci est le produit de la rencontre entre la Ve armée française et la IIe armée allemande commandée par le général von Bülow. Suite à la violation de l’intégrité territoriale belge par les Allemands, Charles Lanrézac craint que son armée ne soit encerclée par l’ouest et reçoit du Grand quartier général (GQG) la mission de remonter le Hainaut wallon jusqu’à la Sambre7. En effet, il apparaît rapidement que les Allemands souhaitent contourner l’aile gauche du dispositif français en passant par la Sambre et l’Escaut, manœuvre qualifiée quelques mois après l’armistice comme étant « assurément l’opération la plus grandiose, la mieux préparée et la mieux exécutée dont l’histoire militaire fasse mention »8.

Le choc est terrible ; l’issue de la bataille est nette, sans appel, implacable. Les Français laminés sont obligés de se replier devant le déferlement allemand. Les pertes du 10e corps sont à cet égard particulièrement significatives.

Le général Von Bülow. Portrait de 1920. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, EI-13 (692).

Au soir du 22 août 1914, la 20e division déplore plus de 2 000 pertes, dont 350 pour le seul 47e régiment d’infanterie9. La 19e division n’est pas épargnée non plus puisque, là encore, les chiffres sont étourdissants. Les pertes conjuguées des seuls 48e et 70e RI s’élèvent à plus de 1200 hommes10. Ces chiffres ont un effet d’autant plus dévastateur sur les hommes que l’incertitude du sort exact de ces disparus (tué, blessés, prisonniers ?) est immense, comme en témoignent le nombre de jugements déclaratifs de décès prononcés après la guerre.

Au final, Charleroi apparait comme le lieu où l’Armée française constate l’inanité de ses conceptions d’avant-guerre et se confronte à la double réalité du champ de bataille moderne d’une part – rappelons que pour l’essentiel les troupes tricolores n’ont pas connu le feu depuis 1870, exception faite des guerres coloniales11 – et, d’autre part, de ses propres lacunes. Qu’un homme tel que le général Fayolle – tout juste sorti de la retraite par la mobilisation générale à la suite d’une carrière l’ayant amené notamment à professer à l’Ecole de guerre – puisse confesser à la veille de partir au front sa grande « perplexité » devant sa propre « ignorance des choses de détail de l’infanterie »12 est particulièrement révélateur. Dans ces conditions, il n’y a rien d’étonnant à ce que la liaison entre fantassins et artilleurs soit si défectueuse dans les toutes premières semaines de la campagne, et tout particulièrement à Charleroi où le brouillard vient de plus compliquer la donne.

La guerre telle qu'on se la figure avant 1914. Carte postale. Collection privée E. Le Gall.

Charleroi est donc une étape importante de la Première Guerre mondiale. C’est tout d’abord le moment d’une certaine prise de conscience mais aussi, plus prosaïquement, là où est opéré un virage à 180° par des Français contraints d’initier de la sorte une retraite, qui ne s’achève qu’à la veille de la première bataille de la Marne.

Du souvenir à la mémoire

L’une des premières batailles de la Grande Guerre, Charleroi est de surcroit régulièrement considérée comme l’une des plus meurtrières du conflit13. Aussi, sans surprise, nombreux sont les carnets qui accordent une place éminente à cette bataille qui dans l’immense majorité des cas, constitue le baptême du feu de ceux qui les rédigent. Ces textes, écrits parfois quelques heures seulement après la fin des combats, accordent tous une large place aux canons et aux mitrailleuses tant leur bruit – et accessoirement le souffle généré par leurs projectiles – frappent les combattants qui découvrent là des sensations aussi inédites que – gageons-le – traumatisantes. Le journal de guerre du caporal Emile Bourdon du 48e régiment d’infanterie est à cet égard remarquable :

« Marche silencieuse, soupirs profonds. La physionomie de chacun reflète le trouble grave intérieur. La lutte commence déjà entre la volonté et la peur. On s’observe du coin de l’œil. L’heure est grave. On prend les formations de combat. […] Couchez-vous ! Une volée de 105 percutant qui vient éclater à quelques cent mètres sur la gauche vers la 9e compagnie. Riposte d’une batterie de 5 placée derrière nous. J’observe mes voisins. Ceux-là même qui les jours derniers avec des poses théâtrales parlaient de tout pourfendre ont des faces décomposées et s’aplatissent au moindre bruit suspect. Pour moi je suis calme mais pas fier du tout et de longs frissons me parcourent l’épine dorsale à chaque explosion. Les balles passent déjà, mais à une certaine hauteur avec un sifflement prolongé. »14

Charleroi reste pour ces combattants d’août 1914 le moment d’une rencontre avec la violence de guerre, plus qu’avec un ennemi bien souvent invisible, vide du champ de bataille oblige. C’est incontestablement un moment initiatique fort, celui du rite de passage du baptême du feu transformant des simples mobilisés en combattants.

Démobilisés et devenus par là-même anciens combattants, les poilus de 14 continuent à venir régulièrement en pèlerinage à Charleroi, puisque la flamme commémorative y est savamment entretenue15. L’inauguration du cimetière de la Belle-Motte en août 1923 est ainsi l’occasion, 9 ans après les faits, de rendre hommage aux Bretons du 10e corps morts pour la France lors de la bataille de Charleroi. La France y est alors représentée non par André Maginot – ministre de la Guerre – mais par Fénélon Passaga, alors général de division commandant le 10e corps mais en août 1914 lieutenant-colonel commandant le 41e régiment d’infanterie16. Les cérémonies du 20e anniversaire sont également particulièrement fastueuses, singulièrement pour les anciens du 10e corps, puisqu’en la nécropole d’Auvelais – sise rue du cimetière des Français – est inauguré un gigantesque monument en granit se voulant être la reproduction fidèle d’un des nombreux phares de la côte bretonne17. Peu importe au final que la 10e région militaire s’étende en 1914 sur les départements des Côtes-du-Nord, de l’Ille-et-Vilaine… et de la Manche, puisque la mémoire de la bataille de Charleroi est semble-t-il préemptée par les Bretons au détriment de leurs voisins d’outre-Couesnon18.

Carte postale figurant le cimetière d'Auvelais, sur le champs de bataille de Charleroi. Archives du Comité du souvenir de Le Roux.

C’est le ministre des Pensions Georges Rivollet – lui-même ancien de Charleroi – qui représente la France lors de ces cérémonies du 20e anniversaire, manifestations qui ne peuvent se comprendre sans intégrer une certaine dimension diplomatique, la mémoire étant ici le support permettant de réaffirmer les liens unissant la France et la Belgique. Ainsi, en 1934, la présence de cette personnalité officielle aux cérémonies de Charleroi est censée apporter « le témoignage probant de l’indéfectible amitié qui unit [ces] deux grands pays », le ministre déclarant alors que celle-ci « est fondée sur la conviction qu’une nation, même devant la force, ne doit pas transiger avec l’honneur »19, discours qui n’est probablement pas sans certaines pensées à destination de l’Allemagne et de son nouveau chancelier, Adolf Hitler. En effet, celui qui deviendra plus tard membre de la direction du collaborationniste Rassemblement National Populaire, n’est pas sans rappeler que « le meilleur gage de la paix internationale et économique réside dans une union de plus en plus étroite de [ces] deux peuples [Belges et Français NDLA] dont les âmes se confondent »20. Or cette dimension diplomatique est assurément à prendre en compte lorsqu’il s’agit de comparer les postérités respectives des batailles de Charleroi et de Guise. En effet, la mémoire étant – selon l’expression de S. Barcellini – l’outil politique du temps présent, Charleroi se révèle être un vecteur beaucoup plus efficace que Guise pour proclamer lors de la montée des périls la force de l’amitié franco-belge21. D’ailleurs, de manière symptomatique, en 1934, Georges Rivollet ne poursuit pas sa « tournée des XXe anniversaires » par Guise, empruntant ainsi les pas de la Ve armée, mais par Saint-Dié des Vosges, où il inaugure un monument en mémoire d’Abraham Bloch, grand rabbin de Lyon engagé volontaire à 55 ans et mort pour la France le 29 août 191422.

Mais cette pratique commémorative ne saurait se limiter à quelques discours officiels prononcés par des personnalités qualifiées. Il s’agit bien au contraire d’un phénomène de masse, dont l’ampleur demeure néanmoins difficile à mesurer. En effet, le pèlerinage des anciens combattants français – et tout particulièrement des Bretons du 10e corps – est d’autant plus facilité qu’en Belgique, sur les lieux mêmes où ils combattent entre Sambre et Meuse en 1914, est fondé au Roux, dès 1919, un comité du souvenir chargé d’organiser une grande réunion chaque dernier dimanche du mois d’août23. Ainsi, à l’occasion du 10e anniversaire, de nombreuses familles viennent se recueillir sur la tombe d’un proche mort pour la France à Charleroi24. Certes, avec les années, la ferveur semble aller decrescendo – à tel point qu’en 1935 Louis Ottobon s’émeut d’un possible « abandon du culte du souvenir »25. Toutefois, jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale, des voyages au départ de Paris sont organisés tous les étés pour que des Français puissent assister aux commémorations en  Belgique26. Charleroi compte donc parmi les grands lieux de cette pratique culturelle de masse qu’est le voyage au champ de bataille, expérience se situant aux confins du tourisme et du deuil27.

Il faut dire que pour les populations locales, Charleroi est également un tournant puisque la bataille marque le début de l’occupation, période sanglante jonchée d’atrocités allemandes28. Leffe, Dinant…, mais surtout Tamines29 où sont fusillées plus de 380 personnes, deviennent ainsi les symboles d’une « pauvre petite Belgique » plongée dans les affres de la Grande Guerre. Sans doute est-ce d’ailleurs ce substrat de culture victimaire qui explique qu’outre-Quiévrain la Première Guerre mondiale conserve encore aujourd’hui une signification qu’elle perd rapidement en France, dans la mesure où elle s’insère aussi dans une certaine grille de lecture des relations entre Flamands et Wallons30.

La retraite est très dure…

Mais en août 1914, les combattants n’en sont pas encore venus au temps de la mémoire. Pour eux, la retraite qui suit Charleroi est particulièrement difficile. Les unités, désorganisées par le choc de la bataille, évoluent au milieu d’un flot invraisemblable de réfugiés fuyant l’avancée allemande. Le témoignage du peintre Jean-Julien Lemordant, alors sergent-major au 41e régiment d’infanterie, est particulièrement évocateur :

Blessé pendant la Première Guerre mondiale, le peintre breton Jean-Julien Lemordant perd un temps la vue avant de la recouvrir en 1923. Portrait réalisé en 1917. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, EI-13(2569).

« Les routes étaient déjà encombrées de fuyards. Si ce n’était pas la débâcle, c’était pourtant quelque chose de sinistre que ce reflux de nos troupes du Xe corps, hachées, décimées, toutes les unités confondues, vers la petite ville de Fosses qui les avait vu descendre en si bon ordre, deux jours auparavant, clairon en tête, les molles pentes du fleuve. Des hommes avaient jetés leurs armes, des compagnies n’avaient plus d’officiers. »31

La prévôté du 10e corps d’armée déploie ainsi, le 24 août 1914, une intense activité, non pour empêcher les désertions ou autres abandons de postes mais pour frayer un chemin aux troupes : « un service d’ordre très serré est assuré par la prévôté aux fins de faire dégager toutes les routes autour de Florennes et permettre aux colonnes du CA en marche sur Philippeville de n’être pas arrêtées dans leurs mouvements »32. Surtout, la cadence de marche est extrêmement rapide. A titre d’exemple, le 47e RI parcoure 100 kilomètres en 5 journées, de surcroît en couvrant le repli du corps d’armée !33

Un soldat de la 19e division d’infanterie raconte ainsi qu’après la bataille de Charleroi, alors que la retraite s’effectue sous une chaleur accablante, « certains somnolent, dorment presque en marchant. Dorment réellement, marchant de travers, comme s’ils étaient ivres au point de gêner leur voisin de marche qui les pousse en grognant et les réveille »34. Mais cela n’empêche pas le haut commandement, manifestement peu conscient de la fatigue des hommes, de vouloir contre-attaquer, comme en témoigne le message adressé par le généralissime Joffre au patron de la Ve armée dans la matinée du 27 août 1914 :

« Vous m’avez exprimé votre intention, dès que vous serez sorti de la zone boisée où l’emploi de votre artillerie est difficile, de bousculer par une contre-offensive bien appuyée par l’artillerie les troupes qui vous suivent. Non seulement je vous y autorise, mais j’estime que cette attaque est indispensable. L’état de vos troupes est bon, leur moral est excellent. Il faut en profiter. Agir autrement serait diminuer le moral et compromettre peut-être le résultat de la campagne […] »35

 

La Bataille de Guise

A Guise, pourtant, la situation est effroyable. L’œuvre romanesque de Marc Blancpain est en grande partie hantée par ces quelques journées tragiques de la fin du mois d’août 191436. De même, ayant abandonné sa ferme réquisitionnée par les autorités militaires pour y installer un cantonnement, Charles Ghewy, dépeint le climat aux alentours de cette petite commune de la Thiérache, située à mi-distance de Saint-Quentin et de Vervins :

« Quel tableau ! Partout dans la plaine, des soldats, des chevaux, des canons, des colonnes. Des milliers de fugitifs. Guise est évacuée depuis midi et les gendarmes font ce qu’ils peuvent pour parer au désordre. Halte près de Champcourt, tout attelé, parmi les dizeaux d’avine. Le canon tonne, de plus en plus rapproché, pendant que le grand pont de Guise saute. Des incendies partout en direction de la vallée. On entend pleurer les enfants et se lamenter les mères. »

Le point de vue des stratèges

La bataille de Guise doit se comprendre dans le cadre plus global de la retraite de la Ve armée française, mouvement consécutif au choc du baptême du feu reçu en Belgique. Dans ses mémoires rédigées a posteriori, son chef, Charles Lanrezac, dit avoir une idée assez claire de la situation et des dangers qui le guettent :

« Je suis confirmé dans cette idée que l'ennemi n'a qu'un désir : que nous nous attardions devant lui, jusqu'au moment où sa droite, victorieuse des Anglais, nous aura débordés si complètement que nous ne puissions plus échapper à son étreinte. »38

A l’échelle des armées françaises, et non plus de la seule Ve, la situation est encore plus dangereuse puisque l’ennemi fonce sur Paris, comme une redite de 1870. Il faut donc contre-attaquer mais le généralissime Joffre sait qu’il ne peut le faire sans disposer d’un minimum de temps pour réorganiser ses troupes. Or, ce qui finalement se réalise en septembre 1914 lors de la bataille de la Marne ne peut survenir que si l’ennemi est ralenti dans sa fulgurante progression pendant au moins quelques heures. C’est ce rôle assigné à la Ve armée qui fonde la bataille de Guise.

Ordres de la Ve armée pour le 29 août 1914, lors de la bataille de Guise.

Tout irait pour le mieux si, le 26 août, le corps expéditionnaire britannique ne subissait pas un terrible revers au Cateau39, à quelques kilomètres au nord de Guise. Les troupes du général Smith-Dorrien défaites, c’est en effet la Ve armée qui se trouve menacée d’enveloppement par l’avancée allemande. Or, c’est à ce moment même que, le 27 août, pour soulager son allié, Joseph Joffre demande à Charles Lanrezac de contre-attaquer dans la région de Saint-Quentin. Réclamant du temps pour installer sa manœuvre, Lanrezac ne s’exécute que le 29, délai qui, aux yeux de  beaucoup, est synonyme de désobéissance. Il n’en faudra d’ailleurs pas plus pour sceller la discorde entre deux hommes qui, dès le début de la campagne, s’opposent quant aux suites à donner aux opérations et, plus tard, se disputent devant l’Histoire le rôle de « sauveur de la France en 1914 »40.

Les Bretons combattent à Guise

Si au niveau stratégique la situation semble être assez claire, les mouvements et intentions des belligérants étant bien identifiés par les protagonistes, il n’en va absolument pas de même au niveau tactique. Le lieutenant Guihaire de la 1e compagnie du 47e régiment d’infanterie confesse ainsi ne rien savoir de la situation et des objectifs qui lui sont assignés :

« Nous ne savons même pas où est le 47e. Mais il y avait beau temps que nous avions cessé d’être curieux »41.

 

 

Le fantassin de 1914. Détail d'une carte postale. Collection privée E. Le Gall.

Dans le plan de la bataille de Guise tel qu’il est conçu par le général Lanrezac, les Bretons du 10e corps d’armée occupent une position centrale puisqu’ils sont chargés de « couvrir au nord l’attaque que le gros de l’armée est chargé d’effectuer sur la direction générale de Saint-Quentin et à l’Est »42. Tout parait donc prévu et calculé mais pourtant ce n’est pas ainsi que les hommes ressentent cette opération.

Le contraste est en effet saisissant avec le niveau stratégique où Guise s’apparente à une vigoureuse contre-attaque. Pour le 47e régiment d’infanterie, Guise débute en effet comme un combat de rencontre entre deux colonnes rendues aveugles par un épais brouillard et se croisant fortuitement. Il en résulte un assaut aussi bref que meurtrier, les charges du 47e RI, privé de soutien d’artillerie du fait des conditions climatiques43, étant fauchées par les balles ennemies. Pour sa part, ce n’est qu’à onze heures, c’est-à-dire lorsque le brouillard est levé, que le 71e RI engage le combat avec les Allemands. Mais, prise sous un violent feu d’artillerie ennemie et bientôt menacée d’encerclement, cette unité est obligée d’évacuer promptement ses positions du Sourd, village qu’elle ne parvient pas à reprendre, malgré une virulente contre-attaque44.

Alors qu’il attaque dans le secteur de Sains-Richaumont, le 70e RI voit son mouvement stoppé net par des obus… de 75, tirés par sa propre artillerie divisionnaire!45 Au 48e RI la situation est encore plus précaire puisque les munitions, rares en milieu de matinée, viennent à manquer à partir de 14 heures, ce qui conduit, là encore, l’unité à devoir retraiter face à l’ennemi46. Si la situation paraît plus favorable au 41e RI47, il n’en demeure pas moins que l’unité est forcée de se replier au soir du 29 août, comme l’ensemble des troupes de la Ve armée. Cette dernière, prenant acte de « l’effet de l’attaque » portée le 29 août, décide le lendemain, au petit matin, de « rompre le combat » et de reporter ses forces plus au sud48.

Retranscrire l’expérience combattante de Guise

Au final, il n’est pas étonnant que les témoignages concernant la bataille de Guise ressemblent peu ou prou à ceux de Charleroi, insistant notamment beaucoup sur les mitrailleuses et l’artillerie. On suppose en effet aisément que dans de telles conditions climatiques – la visibilité du fait du brouillard n’excède pas 50 mètres lors des premiers instants de la bataille 49 – l’anxiété doit être à son paroxysme. Privés de repères visuels, les hommes se fient à leur sens restant, démultiplié par la cécité – l’ouïe, comme en atteste le lieutenant Guihaire :

« J’ai l’impression que ces deux cavaliers appartenaient à une flanc-garde d’une colonne allemande qui suivait la grande route de Guise à Marle et qui arriverait au carrefour en même temps que nous. J’appelle à moi les éléments échelonnés de ma section que je déploie rapidement de part et d’autre de la route. L’infanterie allemande est bientôt là, tout près, car je perçois nettement des signaux et des commandements, qui se transmettent et qui se croisent, paraissant indiquer qu’elle a été surprise comme nous-mêmes en formation de route. Cependant dans le brouillard toujours épais nous ne voyons personne. »50

Revenant sur son expérience du champ de bataille à Guise, un lieutenant du 48e régiment d’infanterie confie :

« Au milieu de ce feu infernal, on est lucide et calme, on pense froidement à ce qui vous attend, à la maisonnée qui ne vous reverra plus et on souffre affreusement, puis quand c’est fini, quand les derniers obus s’éloignent et que le feu s’éteint, on se dit que c’est reculer pour mieux sauter et ce sera pour les jours suivants. »51

Lui aussi du 48e RI, le capitaine Charles Mahé donne dans ses carnets un aperçu tout aussi terrible de l’implacable mouvement de retraite que semble être la bataille de Guise :

La guerre telle qu'on se la figure avant 1914. Détail d'une carte postale illustrée de Maurice Toussaint. Collection privée E. Le Gall.

« Recul sur toute la ligne, nombreux fuyards et carottiers. Les sections ont trop fortes. Impossible de surveiller et d’arrêter le mouvement en arrière. »52

Simple soldat de deuxième classe mobilisé au 327e RI, François Waterlot écrit à son père en janvier 1915 : « Le 29 et le  30 août nous avons rencontré les Allemands entre Guise et Vervins et nous avons encore été obligés de reculer »53.

Lui aussi capitaine, mais au 70e régiment d’infanterie, Jean Laffiché décrit pour le 30 août une situation extrêmement confuse, où les officiers se révèlent dans l’incapacité d’évaluer les pertes, les colonnes en marche ayant été complètement mélangées, comme avalées puis recrachées par l’immense maelström que semble constituer la bataille54. Au final, avec Guise s’achève non seulement le premier mois de campagne du 10e corps d’armée au cours de la Grande Guerre mais aussi l’une des périodes les plus dramatiques de son histoire : plusieurs centaines de morts, 19 journées de marche pour plus de 300 km parcourus, deux jours de combats, deux batailles, une seule et même impression d’ensemble : un début de campagne catastrophique.

 

Une victoire rétrospective

Pourtant, en 1934, l’Ouest-Eclair propose à l’occasion de sa dissolution un historique succinct du 10e corps d’armée. On peut y lire que « c’est avec un amer regret que le soir du 30 [août 1914], pour se conformer à l’ordre de retraite générale, les combattants du 10e corps quittent les abords de Sains-Richaumont, où ils tiennent encore l’ennemi en échec »55. Or, sans vouloir remettre en cause le professionnalisme de ce reporter, tout porte à croire que les acteurs de cette bataille n’en ont pas eu une vision aussi claire que ce qui transparait dans cet article. En effet, l’examen précis du déroulement des combats, unité par unité, révèle combien il est difficile de déterminer le vainqueur de Guise. La bataille étant une scène dramatique régie par une unité d’action, de lieu et de temps56, il serait tentant d’attribuer les lauriers de la victoire aux Français, ceux-ci paraissant in fine avoir pris le dessus sur leur adversaire. Mais l’historique du 71e RI – unité casernée à Saint-Brieuc – suggère une tonalité légèrement différente. Publié en 1920, ce fascicule qualifie ce 29 août 1914 de « journée glorieuse pour le régiment, qui a réussi, sinon à arrêter l’ennemi, du moins à ralentir son avance »e. Six ans après les faits, même dans ce genre de publications pourtant très hagiographiques, l’appréciation de cette bataille reste donc pour le moins mesurée. Même si, comme le suggère d’ailleurs cet ouvrage, lorsque l’on considère cet événement sur le temps plus long de la guerre de mouvement, il est indéniable que Guise est aussi la contre-attaque qui, freinant ne serait-ce que quelques heures les Allemands, permet aux Français de se réorganiser pour l’emporter sur les bords de Marne.

 De la compréhension de l’événement par ses acteurs

C’est d’ailleurs ce que semble comprendre de suite le lieutenant Dubois de la 7e compagnie du 47e RI58 qui confesse, dès le 30 août 1914 :

« Je suis content. Ca a chauffé hier soir. Notre 10e corps a été presque anéanti mais peu importe ! C’était dans le programme. Notre résistance va permettre aux réserves d’affluer. Et à nous la victoire ! »59

 

Portrait de Marc Dubois publié dans le Livre d'Or de la paroisse de Saint-Servan.

Une surprenante, pour ne pas dire suspecte, lucidité que peut expliquer, outre l’intelligence manifeste de ce soldat, son grade et son statut puisque, militaire de carrière, il est également saint-cyrien60. Assurément, ces deux éléments, s’ils n’oblitèrent pas ses mérites propres, le prédisposent néanmoins à une réflexion plus poussée que la « moyenne » lorsque vient le moment de saisir la portée de l’événement auquel il participe61. Notons d’ailleurs que l’étude du colonel Valarché, dont le sérieux ne doit semble-t-il pas être mis en doute, évoque également plusieurs témoignages rejoignant celui de Marcel Dubois62. Or, ceux-ci émanent exclusivement d’officiers, ce qui n’est pas tout à fait étonnant, l’historiographie de ce temps n’ayant pas vraiment coutume de donner la parole aux hommes du rang63.

Ce point est d’autant plus important que les témoignages à notre disposition concernant la troupe du 47e régiment d’infanterie, c’est-à-dire les simples fantassins, laissent entrevoir une perception de l’événement complètement différente.

En effet du point de vue de ces hommes du rang, peu d’éléments distinguent Charleroi de Guise : pertes élevées, défaut de soutien d’artillerie, ravages causés par les mitrailleuses ennemies, brouillard omniprésent, perte de terrain face à l’ennemi… D’ailleurs, force est de constater que les sources de notre corpus paraissent englober ces deux moments dans une seule et même dimension, celle des terribles débuts de la Première Guerre mondiale. Le carnet d’Emile Orain est à ce titre révélateur puisque, extrêmement succinct, il ne mentionne que les mouvements « bruts » de l’unité. Or, on peut y découvrir que les batailles de Charleroi et de Guise sont toutes deux mentionnées au sein d’un même « mouvement de repli de l’armée française » qui ne s’interrompt qu’avec « l’offensive de la Marne »64. Pareillement, le sens de cette bataille de Guise échappe complètement à Louis Leseux qui achève sa relation du combat par un significatif « nous repartons de nouveau … toujours la retraite ! »65. Le cas de ces Bretons n’est d’ailleurs nullement exceptionnel. Mobilisé au 57e RI – une unité casernée à Rochefort – Constans Vincent combat à Guise après Charleroi et parle d’une « journée déplorable malgré nos efforts » dans son carnet, pourtant recopié en 1917 à partir de notes prises sur le vif66, ce qui en dit long sur la permanence de ce souvenir. Même chose en ce qui concerne les Normands de la 5e division d’infanterie puisque, là encore, peu nombreux semblent avoir été ceux qui distinguent la « défaite de Charleroi » de la victoire de « Guise », l’importance des pertes humaines venant de surcroît rendre la situation encore plus difficile à analyser67.

Cet aspect de la bataille est intéressant car il amène à pondérer le propos du colonel Valarché affirmant qu’au soir de Guise, « le moral était très élevé » au 10e corps. Cela était peut-être vrai pour certains officiers plus perspicaces, ou mieux informés, que d’autres, mais en aucun cas pour la troupe.  Cette assertion semble d’ailleurs d’autant plus curieuse qu’il termine son – excellent – ouvrage en affirmant que « pour les troupes ignorantes de la situation d’ensemble, l’ordre de retraite générale était l’aveu d’un nouvel échec »68. En réalité, l’issue de ce drame est certainement moins limpide pour les acteurs que ce qui transparait de l’étude d’E. Valarche puisque les forces en présence doivent patienter quelques jours pour comprendre le sort de la bataille qui se joue en cette fin d’été 1914.

Joseph Joffre doit ainsi attendre le 31 août et l’interception d’un message porté par un radio allemand faisant explicitement mention d’une défaite des troupes du Kaiser à Guise pour comprendre que cette bataille était un succès.69 C’est d’ailleurs au général en chef français qu’on attribue ce bon mot, prononcé à propos de cette bataille de Guise : « Je ne sais pas qui l’a gagnée, mais je sais qui l’aurait perdue ». Autre armée, même constat, puisque ce n’est que le 11 septembre 1914 que le général French, commandant le corps expéditionnaire britannique, publie un communiqué dans lequel il souligne le « succès marqué » de la Ve armée.70 Or ces officiers disposent d’une vue d’ensemble du champ de bataille qui, bien entendu, les prédispose à une meilleure – et surtout pour notre cas plus rapide – compréhension des opérations en cours.

Joseph Joffre. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, EI-13(2465).

Il en va donc tout autrement pour les simples fantassins puisque pour la majorité d’entre eux, si Guise est un succès français, celui-ci est avant tout rétrospectif.71

De la postérité d’une bataille pourtant décisive 

Pourtant, en France, il est d’usage de qualifier la bataille de Guise de « victoire ». A la fin des années 1960, un auteur comme M. Ferro qualifie ainsi Guise de « succès d’arrière-garde »72. Certains, comme H. Ortholan, vont même jusqu’à porter ce « chef d’œuvre » au crédit du seul Charles Lanrezac73. Le chef de la Ve armée n’hésite d’ailleurs pas à parler de la « victoire de Guise » dans ses mémoires74.

Chalres Lanrezac. Wikicommons.
Or son propos doit être considéré avec attention car ce livre, publié après-guerre, marque une nouvelle étape dans la lutte intestine que se livrent Joffre et Lanrezac, le premier ayant limogé le second le 5 septembre 191475. Constituant à bien des égards une tribune en vue d’assurer une place à son auteur face à l’Histoire, ce texte ne peut envisager Guise que sous l’angle d’une victoire. Mais, ouvrage engagé, celui-ci n’en demeure pas moins une source importante et digne de confiance ; un auteur aussi considérable qu’H. Contamine ayant qualifié ce volume de « plaidoyer honnête » enrichi de notes « intéressantes » par le fils de Lanrezac76.

Aussi n’est-il sans doute pas étonnant que la bataille de Guise, manœuvre brillamment exécutée par la Ve armée, soit généralement considérée par l’historiographie comme ayant rendu possible le « miracle de la Marne » en freinant l’avancée allemande. G. Hanotaux envisage ainsi Guise comme « le premier acte du grand drame stratégique » qu’est la première bataille de la Marne77. De même, pour le colonel Valarché, Guise est « la préface nécessaire de la bataille de la Marne, [qui] en a préparé le succès »78.

Néanmoins, au-delà de ce concert de louanges, force toutefois est de constater que tous les avis ne sont pas unanimes. P. Miquel qualifie ainsi la bataille de Guise « d’accident »79 tandis que pour le peu francophile J. Keegan ce succès est avant tout à mettre au crédit de Louis Franchet d’Espèrey, Desperate Frankie comme le surnomment les Britanniques. Selon lui, sa « spectaculaire intervention a arrêté net  les Allemands »80. Pour sa part, Joseph Joffre considère que ce succès doit moins être porté au crédit de celui qui le conduit qu’à celui qui l’a ordonné, à savoir lui-même ! C’est en tout cas ce qu’il suggère dans une lettre qu’il adresse en janvier 1927 au … maire de Guise :

« Aujourd’hui que les événements de la Grande Guerre nous sont mieux connus, et que nous savons, en particulier, ce qui s’est passé dans le camp ennemi, la bataille de Guise que la Ve armée française a engagée sur mon ordre le 29 août apparait comme un moment capital dans la manœuvre des armées alliées qui a préparé la Victoire de la Marne. »81

Plus sévère mais néanmoins aussi original que convainquant, H. Herwig voit en Guise un échec personnel de Von Bulow qui, pour la seconde fois (la première étant à Charleroi), a la possibilité en poursuivant l’effort du 29 août de complètement détruire la Ve armée. Au lieu de cela, dans l’après-midi du 30 août, le général allemand préfère communiquer sur « sa victoire », en écrivant notamment à Von Moltke et Von Kluck82.

La bataille de Guise est donc un fait d’armes éminemment complexe et c’est probablement un élément qui permet d’expliquer pourquoi elle est si peu présente dans les mémoires. Victoire française enchâssée dans un mois d’août caractérisé par un mouvement continu de triomphes allemands, Guise apparaît a posteriori comme une sorte d’enclave mémorielle, parcelle de succès dans un flot de défaites.

Carte postale patriotique. Collection privée E. Le Gall.

A cet égard, du point de vue du souvenir, Charleroi et la Marne sont certainement plus aisément mémorisables, car plus simples, en ce que ces batailles aboutissent à des résultats nets. Si l’on accepte de comparer la guerre au flux et reflux des marées, Charleroi et la Marne s’apparentent à des renverses, c’est-à-dire à ce moment où le courant bascule, passant du flot au jusant et vice versa. Ces deux batailles sont des moments remarquables de la Première Guerre mondiale en ce qu’elles marquent le départ et la fin du flot des armées allemandes. Or, tel n’est pas le cas de Guise même si, précisément, c’est bien l’issue de ce combat qui permet aux armées françaises de l’emporter quelques jours plus tard sur les bords de la Marne.

Pire encore, il semble bien que contrairement aux deux batailles précitées, Charleroi et la Marne, Guise ne soit pas un souvenir autonome. Autrement dit, cet événement est rarement considéré pour lui-même. En effet, dans la mémoire collective, Guise vient appuyer une argumentation partisane, celle d’une certaine incompétence de l’état-major français et notamment du général Joffre, mais n’est pas en soi un élément de souvenir au même titre que Verdun, la Somme ou les Dardanelles, haut-lieux de commémorations des batailles du même nom. En 1924, Le Figaro n’évoque d’ailleurs qu’une seule fois Guise. Non pour relater les commémorations du 10e anniversaire de la bataille mais pour rendre compte de l’attribution de la grand’croix de la légion d’honneur au Général Lanrezac 83. Or si cette décoration, attribuée le 29 août, est bien une forme publique de réhabilitation84, elle témoigne aussi d’une certaine captation de la mémoire de la bataille de Guise au profit du souvenir du chef de la Ve armée destitué par Joffre. Cette tendance ne fait que se confirmer dans les années qui suivent. Cinq ans plus tard, un monument commémorant la bataille de Guise est érigé en cette commune. Vaste mur de pierre, celui-ci est dédié à « la gloire de la cinquième armée française et de son chef le général Lanrezac ». Mieux encore, au moment de l’inauguration, le 28 avril 1929, le général Debeney parlant au nom du ministre de la guerre, Paul Painlevé, relève les qualités « hors du commun » de Charles Lanrezac, un officier doté d’un « don exceptionnel de clairvoyance, de largeur d’esprit et de décision »85. Les morts, dont le nom n’est pas inscrit sur la stèle puisque seul celui des régiments ayant participé à la bataille est inscrit, sont relégués hors-champ, effacés par le grand homme86. D’ailleurs, L’Ouest-Eclair, le quotidien emblématique de la Bretagne87, région très importante pour la bataille de Guise puisque le 10e corps est caserné à Rennes, ne relate même pas l’information dans ses colonnes.

Cinq ans plus tard, alors que les périls commencent à monter en Europe, le souvenir de la bataille de Guise demeure mais, encore une fois, moins pour lui-même qu’au service de certaines polémiques. En effet, en cette année de 20e anniversaire, Henri Lanrezac attaque en justice Raymond Recouly, grand reporter et historien, auteur d’une biographie du général  Joffre coupable à ses yeux d’avoir « causé un grave dommage à la mémoire de son père »88. Même si dans cette affaire, il est débouté au motif que « si M. Raymond Recouly a pu juger sévèrement certains actes du général Lanrezac, il a, cependant, rendu hommage à ses éminentes qualités »89, il n’en demeure pas moins qu’encore une fois la mémoire de Guise est détournée au profit d’une cause post-mortem. C’est également l’impression qui ressort de l’ouvrage du général de Lardemelle publié en 1935 et intitulé 1914, le redressement initial90. Venu sous la plume d’un ancien collaborateur de Franchet d’Esperey qui fut également proche de Lanrezac, ce volume entend, selon la Revue de Paris qui en publie  les bonnes feuilles, faire reconnaître « que le 23 août [1914] le commandant de la 5e armée a non seulement sauvé son armée, mais encore permis au généralissime le redressement qui devait aboutir à la Marne et à la victoire qui suivit »91. Là encore, Guise n’est qu’une péripétie au service d’ une argumentation en faveur d’un grand homme, Joffre où Lanrezac suivant l’auteur considéré.

Sous l'Arc de Triomphe, la tombe du soldat inconnu. Détail d'une carte postale envoyée en 1933. Collection privée E. Le Gall.

Le contraste est manifeste avec Charleroi puisqu’à Guise, le vingtième anniversaire revêt un caractère beaucoup plus confidentiel. A titre d’exemple, Le Figaro ne couvre pas les cérémonies commémoratives de la bataille de Guise alors que celles de Charleroi font l’objet de deux articles, dont l’un, publié le 27 août, rapporte que Georges Rivollet fleurit la tombe de l’ancien commandant de sa compagnie au cimetière de la Belle-Motte . Semblable remarque peut d’ailleurs être formulée à propos du Temps qui n’évoque la bataille de Guise que dans un article consacré… aux manifestations de Meaux commémorant le vingtième anniversaire de la première bataille de la Marne . Si L’Humanité et La Croix se distinguent du Figaro et du Temps dans leur traitement du vintième anniversaire de l’année 1914, le rapport de force entre les mémoires de Guise, Charleroi et de la Marne demeure sensiblement le même. En effet, le quotidien fondé par Jean Jaurès préfère se rappeler de 1914 en publiant en feuilleton… Le Feu, écrit par le lauréat du prix Goncourt 1916 .

De même, si La Croix, ne consacre que quelques entrefilets au vingtième anniversaire de Charleroi, le quotidien catholique n’évoque le souvenir de la bataille de Guise qu’aux travers des commémorations de La Marne ou à l’occasion de l’entrée à l’Académie française du maréchal Franchet d’Esperey, élu au fauteuil de Lyautey95

Moins de dix ans plus tard, 1944 est assurément un tournant dans l’évolution du souvenir de la bataille de Guise puisqu’à partir de cette année, c’est moins le souvenir de cette « victoire » que l’on commémore que celui de la Libération. La Seconde Guerre mondiale constitue en effet un « souvenir-écran »96 d’autant plus opaque pour la bataille de Guise que la mémoire particulièrement morcelée, et par conséquent polémique, des années sombres n’est pas sans régulièrement faire violement irruption dans le champ politico-médiatique97. De plus, en un petit peu plus de 30 ans, on passe d’une armée essentiellement hippomobile avec des fantassins vêtus de pantalons garance à une guerre nucléaire, Hiroshima et Nagasaki constituant de ce point de vue un tournant majeur. Cet éloignement – moins chronologique que technologique si l’on peut dire – est sans doute un facteur permettant de comprendre pourquoi la bataille de Guise peut, dans les trente glorieuses, paraitre si « lointaine » et donc éprouver tant de difficultés à s’installer sur la place publique, surtout dans une époque caractérisée par un farouche désir de modernité. Il ne parait en effet pas outrancier d’avancer que dans les représentations mentales de cette époque, le piou-piou de 1914 parait plus proche du grognard napoléonien que du combattant FFI.

La donne semble néanmoins évoluer en août 1964 puisque le souvenir de la bataille de Guise réinvestit la sphère publique mais, là encore, moins pour elle-même qu’au service de la défense du patron de la Ve armée. En effet, c’est Henri Lanrezac – le fils du général – qui est l’invité d’honneur des cérémonies du 50e anniversaire. Poursuivant son œuvre de réhabilitation, il loue « la clairvoyance habituelle » de son père contre « le trio Berthelot, Alexandre, Gamelin, trois officiers dans lesquels le généralissime a une foi aveugle »98. Mais Guise n’est encore une fois qu’un argument au service d’une stratégie rhétorique. Or, ce discours n’est pas une exception, preuve de l’admiration légitime d’un fils pour son père. La même année, deux journalistes publient aux Presses de la Cité un ouvrage dont le titre, faussement interrogatif, cache en réalité une solide entreprise de défense post-mortem : « Août 1914, Lanrezac a-t-il sauvé la France ? »99.

Timbre commémoratif émis en 2008. Collection privée E. Le Gall.

Cette tendance ne se dément pas dans les décennies qui suivent. Ainsi, en 2011, lors de la traditionnelle cérémonie commémorant l’anniversaire de la bataille de Guise, la directrice de cabinet du Préfet de l’Aisne, s’exprimant au nom de l’Etat, loue Charles Lanrezac, « l’un des rares officiers à avoir compris et anticipé la manœuvre ennemie »100. C’est d’ailleurs cette même trame qu’utilise la presse locale pour rendre compte de la cérémonie l’année précédente, en 2010, insistant sur le général Lanrezac qui « ne sera pas un héros [puisque] le commandant en chef français, le général Joffre, ne lui pardonnera pas d’avoir eu raison contre ses supérieurs »100.

C’est en ce sens que Guise est un non-lieu de mémoire. Car aujourd’hui encore, lorsqu’est convoqué le souvenir de cette bataille, c’est bien souvent moins pour évoquer le sort des milliers de soldats morts pendant ces quelques journées d’août 1914 que pour louer la clairvoyance de Lanrezac. Il en est d’ailleurs de même pour les défenseurs de Joffre. En 1931, la mort du généralissime ayant ravivé les polémiques liées au rôle de la Ve armée, le général Hellot publie dans le Figaro un article consacré aux « préliminaires de la bataille de la Marne ». Guise n’y est évoqué que dans le cadre de la rivalité entre Joffre et son subordonné102.

 

La bataille est un drame. D’ailleurs, ne se joue-t-elle pas sur un « théâtre » d’opérations ? Or il semble que ce sont précisément les règles de la dramaturgie classique qui permettent de comprendre pourquoi, au juste, Guise apparaît un siècle après les faits comme un non-lieu de mémoire. Si la date précise de l’événement ne semble pas poser de problème103, il n’en est pas de même pour l’unité d’action comme le démontrent les difficultés à déterminer le vainqueur. Pire encore, l’unité de lieu, essentielle pour la réussite de toute pièce, n’est pas respectée. Non pas que les belligérants combattent en des endroits différents mais la dénomination même de ces combats ne fait pas l’unanimité. Là où les Français évoquent la bataille « de Guise »104, pour les Allemands, elle est « de Saint-Quentin »105. Or, le fait que, quelle que soit sa dénomination, la bataille se déroule dans l’Aisne n’est pas sans incidences. En effet, si ce département mène une remarquable politique publique de conservation et de valorisation de la mémoire de la Première Guerre mondiale, force est de constater que celle-ci s’articule essentiellement autour du Chemin des Dames – comme en témoignent par exemple la Caverne du Dragon ou encore la Lettre d’information du Chemin des Dames106. En effet, ce lieu est sans doute plus évocateur pour le grand public que Guise, généralement plus volontiers associé dans l’inconscient collectif au familistère de Jean-Baptiste Godin107 qu’à la bataille qui s’y déroule à la fin du mois d’août 1914. Portion de front d’une trentaine de kilomètre, environ, le Chemin des Dames comporte l’essentiel des éléments qui, aujourd’hui, constituent le socle de la mémoire collective de la Grande Guerre : les tranchées, la boue, le bleu horizon, un commandement aveugle, des assauts stériles et meurtriers pour quelques mètres de front… Dans ces conditions, on s’aperçoit vite que le souvenir de la bataille de Guise – qui n’est faite que de manœuvre stratégique, de pantalons rouges et qui est, on l’a vu, indissociable d’une certaine célébration d’un chef, Charles Lanrezac – navigue à contre-courant des représentations mentales qui sont communément associées à la guerre de 14. Enfin, il est certain que la durée de l’événement n’est pas sans effets sur sa postérité. Car à l’échelle de l’hécatombe qu’est la Première Guerre mondiale, que représente Guise, une bataille qui ne dure que quelques heures quand Verdun est un supplice qui se prolonge pendant des mois ?

Erwan LE GALL

 

 

1 PROST, Antoine et  WINTER, Jay, Penser la Grande, un essai d’historiographie, Paris, Seuil, 2004, Chap. 4 : « Qu’est-ce que faire la guerre ? Tranchées », p.  109-144.

2 A titre d’exemple mentionnons Audoin-Rouzeau, Stéphane, Combattre, une anthropologie historique de la guerre moderne (XIXe-XXe siècle), Paris, Seuil, 2008. Mais SAINCLIVIER, Jacqueline, « L'historiographie en Bretagne et ses vecteurs depuis 50 ans », La Revue d’Alsace, n°133, 2007, p. 117-133, en ligne, montre bien que le fait militaire est pendant longtemps délaissé par l’historiographie bretonne, ce qui n’est pas sans incidence sur le souvenir de la bataille de Guise, où combattent de nombreux Bretons.

3 KEEGAN, John, The face of the battle, A study of Agincourt, Waterloo and the Somme, London, Pimlico - Random house e-books, 2004-2012, p. 61.

4 SHD-DAT : 26 N 133/1, JMO 10e corps d’armée, 3-10 août 1914.

5 Pour une analyse plus complète du plan XVII, se reporter à SNYDER, Jack, The ideology of the offensive, military decision making and the disasters of 1914, Ithaca and London, Cornell University Press, 2009, chap. 2: « Offensive strategy as an Institutional Defense », p. 41-57 ainsi que Ministère de la Guerre, Etat-Major de l'Armée - Service historique, Les Armées françaises dans la Grande Guerre, Paris, Imprimerie Nationale, 1936. Tome 1er – 1er volume, L’avant-guerre, la bataille des frontières, p. 44-92. Les auteurs indiquent notamment p. 40 que « les variantes apportées au plan XVI, en septembre 1911, en avril et en octobre 1913, sont un acheminement vers le plan XVII ».

6 La synthèse la plus récente est BALDIN, Damien et, SAINT-FUSCIEN, Emmanuel, Charleroi, 21-23 août 1914, Paris, Tallandier, 2012.

7 Dans ses mémoires très à charge contre Joseph Joffre, Charles Lanrézac s’attribue la paternité de cette initiative. Sur ce point, le JMO de la Ve armée semble lui donner raison : « 12 août (11e jour de mobilisation) : Le GQG approuve les propositions contenues dans le message téléphoné adressé la veille, et autorise le général commandant la Ve armée à porter le 1er CA dans la région de Givet. Le CC [Il s’agit du corps de cavalerie Sordet NDLA] se mettra en relation avec la Ve armée et devra se tenir à sa gauche. En conséquence une instruction secrète adressée au Commandant du 1er CA lui prescrit de se porter le 13 vers le Nord de façon à se trouver le 14 dans la région Philippeville (QG), Florennes, Corenne […] avec mission de s’opposer aux tentatives éventuelles de l’ennemi pour franchir la Meuse entre Givet et Namur. » SHD-DAT : 26 N 34/1. JMO Ve Armée. 12 août 1914. Sur cet épisode de la polémique qui oppose les deux hommes, on se référera bien entendu aux Mémoires du maréchal Joffre et notamment à son compte-rendu de la journée du 14 août 1914. JOFFRE, Joseph, Mémoires du Maréchal Joffre, 1910-1917, Tome premier, Paris, Librairie Plon, 1932, p. 265-268.

8 GROUARD, Lieutenant-colonel, « La conduite de la guerre jusqu’à la bataille de la Marne », Revue Militaire Française, Tome I, juillet 1921, p. 68.

9 LARCHER, Commandant, « Le 10e corps à Charleroi (20 au 24 août 1914», Revue militaire française, mars 1931, p. 384.

10 SHD-DAT : 26 N 637/1, JMO 48e RI, 22 août 1914, 22 N 658/14, JMO 70e RI, 22 août 1914.

11 Sur cette question on renverra notamment à JOLY, Vincent, Guerres d’Afrique, 130 ans de guerres coloniales. L’expérience française, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009 et à COSSON, Olivier, « Expériences de guerre et anticipations à la veille de la Première Guerre mondiale », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n°50-3, juillet-septembre 2003, p. 127-146, en ligne.

12 FAYOLLE, Marie-Emile, Cahiers secrets de la Grande Guerre, Paris, Plon, 1964, p. 14.

13 DUMENIL, Anne, « Les combattants », in AUDOIN-ROUZEAU, Stéphane et BECKER, Jean-Jacques, (dir.), Encyclopédie de la Grande Guerre 1914-1918, Paris, Bayard, 2004, p. 322 cite le chiffre de 27 000 morts français pour la seule journée du 22 août 1914, incluant également les combats de Sarrebourg et Morhange.

14 BOURDON, Emile, Journal de Guerre 1914-1918, dessins et photographies réalisés au front et dans les tranchées, Saint-Brieuc, édition à diffusion familiale, 2009, p. 28.

15 On ne pourra donc que s’étonner de voir BALDIN, Damien et SAINT-FUSCIEN, Fuscien, Emmanuel, Charleroi,..., op. cit., p. 191 écrire que la bataille de Charleroi est « restée absente du champ mémoriel des combats de 1914-1918 ».

15« L’inauguration du cimetière de la Belle-Motte où reposent des glorieux morts du 10e corps », L’Ouest-Eclair, n°8012, 22 août 1923, p. 4 ; Arch. Nat. : LH/2062/45.

17 « Un monument à la mémoire des morts du 10e corps », L’Ouest-Eclair, n°13801, 20 août 1934, p. 2.

18 Il est à noter qu’il s’agit là d’une tendance qui manifestement peut s’observer sur un temps relativement long puisqu’en septembre 1925 est inauguré à Arsimont un monument en hommage au 10e corps. Celui-ci est décrit, certes dans les colonnes de l’édition rennaise de L’Ouest-Eclair, comme étant une grande croix celtique en granit de Bretagne. « Le monument aux morts du 10e corps est inauguré en Belgique », L’Ouest-Eclair, n°8738, 21 septembre 1925, p. 2.

19 « On a commémoré une grande bataille au début de la guerre : Charleroi », Journal des mutilés et combattants, 19e année, n°918, 2 septembre 1934, p. 1.

20 « Le XXe anniversaire de la bataille de Charleroi », Journal des mutilés et combattants, 19e année, n°918, 2 septembre 1934, p. 4. Le Figaro indique que Georges Rivollet achève son discours par une phrase particulièrement lourde de sens : « Aux heures difficiles que nous traversons, il est salutaire de puiser dans l’exemple des soldats de Charleroi la force de rester fidèles à l’idéal humain pour lequel ils sont tombés ». Le Figaro, n°238, 26 août 1938, p. 4.

21 On notera que du fait du rôle marginal du Corps expéditionnaire britannique lors de la bataille de Charleroi, le souvenir de cette bataille n’est pas un bon vecteur de l’entente cordiale.

22 « L’inauguration du monument à Abraham Bloch », Journal des mutilés et combattants, 19e année, n°919, 9 septembre 1934, p. 4.

23 http://lasambreaout1914.blogs.lalibre.be/about.html

24 « 10e anniversaire de la bataille de Charleroi », L’Ouest-Eclair, n°8356, 1er septembre 1924, p. 3.

25 OTTOBON, Louis, « Un émouvant pèlerinage au cimetière breton d’Auvelais », L’Ouest-Eclair, n°14902, 28 août 1937, p. 4.

26 « Les cérémonies commémoratives d’Arsimont, à la mémoire des morts du Xe corps d’armée », L’Ouest-Eclair, n°15609, 7 août 1939, p. 5.

27 Pour une première approche de ce tourisme de mémoire, BRANDT, Susanne, « Le voyage aux champs de bataille », Vingtième Siècle, Revue d’histoire, n°41, janvier-mars 1994, p. 18-22, en ligne.

28 Sur cette question, se rapporter à l’indispensable synthèse de HORNE, John et KRAMER, Allan, Les Atrocités allemandes, Paris, Tallandier, 2005.

29 Sur Le massacre de Tamines se rapporter à FRANCOIS, Aurore et VESENTINI, Frédéric, « Essai sur l’origine des massacres d’août 1914 à Tamines et Dinant », Cahiers d'Histoire du Temps Présent / Bijdragen tot de Eigentijdse Geschiendenis, n°7, 2000, p. 51-82, en ligne.

30 Le musée de la Tour de l’Yser à Dixmude est à cet égard particulièrement révélateur. La Bretagne n’est en effet pas totalement absente de ce lieu de mémoire puisque l’île de Sézambre, située au large de Saint-Malo, y est très explicitement mentionnée… moins en référence aux fusiller-marins de l’amiral Ronarc’h qu’en souvenir des Flamands qui y sont internés pendant la Première Guerre mondiale.

31 Témoignage cité in RENAULD, Ernest, « 21 août : anniversaire de Charleroi », L’Ouest-Eclair, n°14168, 22 août 1935, p. 4

32 SHD-DAT : 26 N 133/13, JMO Prévôté du 10e corps d’armée, 24 août 1914.

33 SHD-DAT : 26 N 636/6, JMO 47e RI. 24 – 28 août 1914.

34 COATANROCH, Gilles, « La retraite des P’tits vieux », Bulletin de liaison et d'information de l'association Bretagne 14-18, n°7, novembre 1998, p. 6-7.

35 Message téléphoné du GQG à général commandant la Ve armée, 27 août 1914, 6h30. cité in Ministère de la Guerre, Etat-Major de l'Armée - Service historique, Les Armées françaises dans la Grande Guerre, Paris, Imprimerie Nationale, 1925. Tome 1er – 2e volume, La manœuvre en retraite et les préliminaires de la bataille de la Marne, p. 51. Sur les tergiversations qui amènent à cet ordre, on renverra à LEMAIRE, Christian, « La bataille de Guise (28, 29 et 30 août 1914) », op. cit, p. 331-333.

36 Entre autres de Blancpain, Marc, Le carrefour de la Désolation, Paris, France Illustration, 1951 et Chez moi à l’orée du siècle, le roman du souvenir, Elmé, Franque in niviérch, 1998. Qu’on nous permette de saluer ici M. et Mme Pierrart qui nous ont permis de mieux connaître et apprécier l’œuvre de Marc Blancpain.

37 GHEWY, Charles, « Souvenirs de guerre », Bulletins de la Société archéologique de Vervins et de la Thiérache, Tome XXVI, 1981, p. 144.

38 LANREZAC, Charles, Le plan de campagne français et le premier mois de la guerre (2 août – 3 septembre 1914), Paris, Payot, 1920, p. 197.

39 On prête au général Von Kluck les mots suivants : « la deuxième bataille livrée aux Anglais au Cateau se terminait par leur grave défaite sans conduire à l’anéantissement recherché. » LOIZEAU, Général, « La manœuvre d’aile », Revue militaire française, n°139, janvier 1933, p. 13.

40 Commentant les mémoires de Lanrezac, le général Maud’huy écrit dans un article célèbre du Gaulois en 1920 : « Cela devait être ; ne récriminons donc pas plus que les victimes ne l’ont fait, mais maintenant que le sacrifice a été accompli, que la patrie a été sauvée, nous devons rendre justice à ces bons serviteurs frappés par la destinée, c comme d’autres l’ont été par les balles ou les obus. Parmi les sacrifiés, le plus innocent et, on peut le dire, le plus glorieux, est le général Lanrezac. » MAUD'HUY, Général de, « Causeries d’un vieux soldat », Le Gaulois, n°45 552, 6 mai 1920, p. 1.

41 VALARCHE, Edmond, La bataille de Guise les 28, 29 et 30 août 1914 au 10e corps d’armée, Paris, Berger- Levrault, 1929, p. 28.

SHD-DAT : 26 N 133/1, JMO 10e corps d’armée, 29 août 1914.

43 Le 47e RI disposait en effet de 2 groupes de l’artillerie divisionnaire équipés de 75 prêts à intervenir. SHD/DAT : 26 N 507/4, JMO 40e brigade, 29 août 1914.

44 SHD-DAT : 26 N 659/1, JMO 71e RI, 29 août 1914.

45 SHD-DAT : 26 N 628/1, JMO 41e RI, 29 août 1914:  « Le 70e tient tête à l’attaque allemande et progresse même vers le nord quand une erreur de réglage de notre artillerie jette nos obus sur lui et produit un commencement de panique. » Il est à noter qu’il  s’agit de souvenirs rédigés a posteriori puisque le JMO du 70e RI pour cette période a disparu.

46 SHD-DAT : 26 N 637/1, JMO 48e RI, 29 août 1914.

47 Anonyme, Historique sommaire du 41e régiment d’infanterie, Paris, Henri-Charles Lavauzelle, 1920, p. 6.

48 SHD-DAT : 26 N 34/1, JMO Ve armée, 30 août 1914.

49 MENU, Charles, « Les journées des 29 et 30 août 1914 », Revue militaire française, février-mars 1935, p. 152.

50 VALARCHE, Edmond, op. cit., p. 39-40.

51 http://www.terascia.com/la-bataille-de-guise/2/

52 PRIGENT, Julien et RICHARD, René, Le capitaine Charles Mahé au 48e Régiment d'infanterie de Guingamp, Carnet et lettres de guerre (août 1914 - 9 mai 1915), Plessala, Bretagne 14/18, Sans date, p. 16. 

53 HARDY-HEMERY, Odette, Fusillé vivant, Paris, Gallimard, 2012, p. 108.

54 LAFFICHE, Jean, Message d’un capitaine courageux, Plessala, Bretagne 14-18, sd., p. 7.  

55 Arch. Dép. I&V: 1 J 70, coupures de presse sur le 10e corps.

56 KEEGAN, John, The face of the battle,…, op. cit. p. 10.

57 Anonyme, Historique du 71e régiment d’infanterie pendant la campagne contre l’Allemagne, 1914-1918, Saint-Brieuc, Francisque Guyon éditeur, 1920.

58 SHD-DAT : 26 N 636/6. JMO 47e RI. Constitution du régiment.

59 Paroisse de Saint-Servan, Livre d’or des Morts pour la Patrie, Rennes, Imprimerie Oberthur, 1920. p. 142.

60 Marcel, Prosper Dubois naît le 11 août 1886 à Laval. Saint-Cyrien de la promotion « La dernière du vieux Bahut » (1905-1907), cet officier est affecté à la 7e compagnie du 47e régiment d’infanterie. Il réside à Saint-Servan, au n°1 de la rue amiral Magon. Quelques semaines avant la mobilisation générale, il effectue un stage à Cologne, pour se perfectionner en Allemand. Blessé à Guise, cet officier est promu capitaine en octobre 1914 et est tué à l’ennemi le 11 septembre 1916. BAVCC/Mémoire des hommes ; www.saint-cyr.org/flipbooks/Memorial/ ; SHD-DAT : 26 N 636/6, JMO 47e RI ; Annuaire officiel d’Ille-et-Vilaine, Rennes, Imprimerie François Simon, 1913, p. 184 ; Paroisse de Saint-Servan, Livre d’or des Morts pour la Patrie, Rennes, Imprimerie Oberthur, 1920, p. 142-145.

61 Sur ce point on renverra au paradigme des « cercles du possible » de LANDSBERG, Paul-Louis, « Réflexions sur l’engagement personnel », Vingtième siècle, revue d’histoire, n°60, octobre-décembre 1998, p. 118-123, en ligne.

62 VALARCHE, Edmond, La bataille de Guise …, op. cit., p. 143-146.

63 Sur ce point PROST, Antoine et WINTER, Jay, Penser la Grande Guerre, un essai d’historiographique, Paris, Seuil, 2004, p. 27-29.

64 Carnet de campagne 14-18 d’Emile Orain du 47e régiment d’infanterie, www.chtimiste.com.

65 Carnet de guerre de Louis Leseux, brancardier, musicien et téléphoniste de la compagnie hors rang du 47e Régiment d’Infanterie, www.chtimiste.com.

66 http://vincent.juillet.free.fr

67 « The experience of the Battle of Guise proved highly ambiguous and subject to considerable reconstruction, even as battle go. Indeed, for most of the soldiers of the 5e DI, little distinguished the “victory” at Guise from the “defeat” at Charleroi. Certainly, the French had won a piece of contested terrain for the first time since the shooting started. But casualties had been heavy, and the gains were given up the next day without a fight. The protagonists could scarcely have known that they were involved in a maneuver that would make possible the Battle of the Marne, much less that that maneuver would be successful. The pieces of victory had to be put together after the fact. » SMITH, Leonard V., Between Mutiny and Obedience: the Case of the French Fifth Infanterie Division during World War I, Princeton NJ, Princeton University Press, 1994, p. 55.

68 VALARCHE, Edmond, op. cit. p. 158.

69 JOFFRE, Joseph, Mémoires du Maréchal Joffre, 1910-1917, op. cit. p. 352-353.

70 « Un rapport officiel du général French sur les opérations de l’armée anglaise », L’Ouest-Eclair, n°5520, 12 septembre 1914, p. 4.

71 SMITH, Leonard V., Between Mutiny and Obedience: …, op. cit. p. 58: « Guise proved a victory mostly in retrospect ».

72 FERRO, Marc, « La Grande Guerre 1914-1918 », Paris, Folio, 1990 (1e éd. 1969), p. 99.

73 ORTHOLAN, Henri, « Le Général Lanrezac », 14/18 Le magazine de la Grande Guerre, n°26, Juin / Juillet 2005, p. 28-35.

74 LANREZAC, Charles, Le plan de campagne français …, op. cit., p. 247.

75 Les deux protagonistes de l’affaire relatent la scène dans leurs mémoires respectives. LANREZAC, Charles, op. cit., p. 276-277. JOFFRE, Joseph, Mémoires..., op. cit., p. 370-372.

76 CONTAMINE, Henry, 9 septembre 1914, la Victoire de la Marne,Paris, Gallimard, 1970, p.73. Notons par ailleurs que selon Henry Contamine les mémoires du généralissime ont été écrites sous le regard de Joffre devenu maréchal par le général Laffargue, « un officier dont l’enquête historique ne semble pas avoir été exhaustive ». Contamine, Henry, 9 septembre 1914, op. cit., p. 269 et La Revanche, 1871-1914, Paris, Berger-Levrault, 1957, p. 127.

77 HANOTAUX, Gabriel, L’Aisne pendant la Grande Guerre, Paris, Librairie Félix Alcan, 1919, p. 26.

78 VALARCHE, Edmond, op. cit., p. 3.

79 MIQUEL, Pierre, La bataille de la Marne, Paris, Plon, 2003, p. 373.

80 KEEGAN, John, La première guerre mondiale, Paris, Perrin, 2003, p. 135.

81 BEAU, Georges, et GAUBUSSEAU, Léopold, Août 14 : Lanrezac a-t-il sauvé la France ?, Paris, Presses de la Cité, 1964, p. 234.

82 HERWIG, Holger H., The Marne, 1914, the opening of the World War I and the battle that changed the world, New-York, Random House, 2011, p. 189-190.

83 « La grand’croix du général Lanrezac », Le Figaro, 29 août 1924, 70e année, 3e série, n°242, p. 1.

84 ORTHOLAN, Henri, « Le Général Lanrezac », op. cit., p. 35.

85 « L’inauguration du monument commémoratif de la victoire de Guise », Le Petit Parisien, n°19 053, 20 avril 1929, p. 3

86 Il y aurait d’ailleurs lieu de se demander si la politique de mémoire de la bataille de Guise telle qu’elle est menée après la guerre ne diffère pas fondamentalement de celle initiée pendant l’occupation allemande. On sait en effet qu’en 1915 a lieu à Origny-Sainte-Benoite, près de Saint-Quentin, une cérémonie en hommage aux morts français de la bataille.

87 LAGREE, Michel, HARISMENDY, Patrick, DENIS, Michel (dir.), L’Ouest-Eclair. Naissance et essor d’un grand quotidien régional, 1899-1933, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2000.

88 « Autour d’un livre », Le Temps, 4 janvier 1934, n°26 425, p. 8 ; Le Figaro, 2 août 1931, 106e année, n°214, p. 5.

89 Ibid.

90 DE LARDEMELLE, Charles, 1914, Le redressement initial, Paris, Berger-Levrault, 1934.

90 KOELTZ, Colonel, « Légendes militaires »,  La Revue de Paris, Année 43, Tome premier, Janvier-Février 1936, p. 471-472.

« Les fêtes franco-belges de Charleroi », Le Figaro, n°238, 26 août 1938, p. 4 ; « M. Rivollet inaugure un monument à la mémoire des morts français de Charleroi », Le Figaro, n°239, 27 août 1938, p. 4.

Preuve de l’importance accordée à cet événement par Le Temps, l’article est écrit par un « envoyé spécial » et est publié en dernière page. MILLET, Raymond, « Le 20e anniversaire de la bataille de la Marne », Le Temps, n°26672, 10 septembre 1934, p. 6. De manière symptomatique, la maréchal Pétain dans le discours qu’il prononce à cette occasion voit en Guise « une expérience localisée de demi-tour offensif ».

La publication débute dans le n°13031 daté du 20 août 1934.

95 « Les fêtes franco-belges de Charleroi », La Croix, n°15803, 26 août 1934, p. 2 ; « A la mémoire des soldats français morts à Charleroi », La Croix, n°15800, 23 août 1934, p. 1 ; « Après vingt ans sans vaine et provocante parade, les Français célèbrent à Meaux l’anniversaire de la victoire de la Marne dans la prière et dans l’union », La Croix, n°15816, 11 septembre 1934, p. 1 ;  « Le maréchal Franchet d’Esperey succède au maréchal Lyautey », La Croix, n°15872, 16 novembre 1934, p. 1.

96 L’expression est de ROUSSO, Henry, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Seuil, 1990, p. 29.

97 WIEVIORKA, Olivier, La mémoire désunie, le souvenir politique des années sombres, de la Libération à nos jours, Paris, Seuil, 2010.

98 LANREZAC, Henri, « Bataille de Guise, août 1914 », Bulletins de la Société archéologique de Vervins et de la Thiérache, Tome X, 1964, p. 124.

99 BEAU, Georges, et GAUBUSSEAU, Léopold, Août 14 : Lanrezac a-t-il sauvé la France ?, op. cit.

100 http://www.aisne.gouv.fr/presse/discours/Discours_Bataille_Guise_27-08-2011.pdf

101 http://www.lunion.presse.fr/article/autres-actus/guise-en-memoire-de-la-bataille-de-guise

102 HELLOT, Général, « Les préliminaires de la bataille de la Marne », Le Figaro, 22 janvier 1931, 106e année, n°22, p. 1-2.

103 Et encore, du point de vue de l’unité de temps, la question est contestable. En effet, pour beaucoup, demeurés à l’arrière, le 29 août 1914 est le jour de la publication du communiqué annonçant la situation du front « de la Somme aux Vosges » et rendant par la même occasion publique les désastres de la semaine précédente. Pire encore, l’Histoire nous gratifie non pas d’une mais de deux batailles de Guise, la seconde survenant elle aussi pendant la guerre de mouvement, mais en 1918.

104 Notons que l’historique du 70e RI parle pour sa part de « bataille de l’Oise ». Anonyme, Historique du 70e régiment d’infanterie, Rennes, Imprimeries Oberthur, 1920.

105 KEEGAN, John, La première guerre mondiale, op. cit. p. 134.

106 www.caverne-du-dragon.com; www.chemindesdames.fr

107 www.familistere.com