5 questions à un labellisé
Un fonds d’archives numérisé tel que le fichier des morts pour la France 14-18 sur Mémoire des hommes est tellement gigantesque qu’il est pratiquement inutilisable sans indexation. C’est pour cela que nous soutenons le défi « 1 Jour – 1 Poilu ». D’ailleurs, son promoteur, Jean-Michel Gilot, a choisi En Envor pour vous faire part d’une grande nouvelle qui nous fait très plaisir !
Pouvez-vous nous rappeler la genèse et les objectifs du projet « 1 Jour – 1 Poilu » ?
Le projet « 1 Jour – 1 Poilu » est né en novembre 2013, dans la foulée de l’ouverture au public du programme de transcription des fiches des soldats morts pour la France au titre de la Grande Guerre sur le site Mémoire des Hommes. Il visait à fédérer une communauté de participants autour de cette œuvre collective qui doit nous permettre, à terme, de mieux connaître les victimes du conflit et les circonstances de leur décès.
Tout est parti d’un principe simple : si nous étions 880 (seulement…) à travers le monde à transcrire la fiche d’un poilu mort pour la France chaque jour, la base du Ministère de la Défense – regroupant, rappelons-le, pas moins de 1 million 325 290 fiches –, pourrait être intégralement complétée pour le 11 novembre 2018 !
« 1 Jour – 1 Poilu » transcrit donc chaque jour la fiche d’un Poilu et invite le plus grand nombre d’internautes à faire de même jusqu’au 11 novembre 2018. Tout le monde peut participer à ce « défi collaboratif », en s’inscrivant au programme d’annotation et en utilisant le sigle de reconnaissance « #1J1P » sur les réseaux sociaux pour signaler les transcriptions réalisées.
Au-delà du progrès dans la connaissance qu’il doit permettre d’accompagner et d’accélérer, le projet « 1 Jour – 1 Poilu » comporte aussi une dimension mémorielle. J’ai l’habitude de le rappeler sur « 1 Jour – 1 Poilu » : derrière chaque fiche, il y a un homme (et même parfois une femme), et derrière chaque homme, une histoire de vie. De ce point de vue, transcrire n’est pas toujours seulement transcrire. Quand vous connaissez l’histoire de la personne, c’est un acte qui peut avoir quelque chose d’émouvant. Dans le même esprit, chaque « tweet » enregistrant une transcription représente également une forme d’hommage quotidien rendu aux victimes tout au long des 1563 jours de commémoration du conflit.
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A Bénaménil, en Meurthe-et-Moselle, le cimetière en décembre 1916 (détail). BDIC: Albums Valois, VAL 153/005. |
Où en est le projet ?
Déployé sur le réseau social Twitter, « 1 Jour – 1 Poilu » compte aujourd’hui 2000 abonnés et près de 100 participants actifs transcrivant en moyenne au moins une fiche par jour – et en réalité parfois bien davantage…
Selon les chiffres officiels du 10 avril dernier, 166 000 fiches ont d’ores et déjà été transcrites, dont 118 400 par les internautes, soit 13% de la base.
73 baromètres hebdomadaires ont été publiés par « 1 Jour – 1 Poilu ». Ils permettent de retracer l’évolution des indexations. En phase de démarrage du programme (environ 3 mois), on a transcrit environ 200 fiches par jour. Après une longue traversée du désert (près de 5 mois), à 100 fiches/jour, le véritable décollage s’est produit lors des commémorations de la mobilisation et de l’entrée en guerre (200 fiches/jour du 6 août au 6 novembre 2014). Enfin, une nouvelle poussée a été enregistrée à partir du 11 novembre jusqu’à aujourd’hui (400 fiches/jour).
Ces chiffres (estimatifs) appellent deux observations :
- 100 participants transcrivant une fiche par jour, c’est déjà une contribution très significative, puisque cela représente, a minima, 25 à 30% de l’ensemble des transcriptions réalisées à l’heure actuelle ;
- Les poussées dans la progression du volume de transcriptions coïncident avec les périodes de forte médiatisation liées aux événements commémoratifs (2 août, 11 novembre 2014).
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Mai 1916 dans un cimetière militaire de Vadelaincourt, dans la Meuse. BDIC: Albums Valois, VAL 211/086. |
« 1 Jour – 1 Poilu » a présenté en mars dernier une demande de labellisation « Centenaire »; quel est l’intérêt et le sens de cette démarche dans le cadre du projet ?
Les chiffres le démontrent : pour relever le défi de l’indexation sur Mémoire des Hommes il faut d’abord conduire avec succès la bataille de la communication et de la médiatisation (et corrélativement, de la pédagogie !). Car j’en suis convaincu : les volontaires existent en nombre suffisant, et ils sont prêts à se mobilier. Mais encore faut-il qu’ils connaissent l’existence même du programme et ses enjeux ! Ce programme doit donc d’abord être connu, et reconnu, auprès du public le plus large possible.
Sophie Boudarel (généalogiste professionnelle) de La Gazette des Ancêtres, La Revue Française de Généalogie, En Envor, L’Yonne Républicaine, la journaliste Stéphanie Trouillard (France24 Web), Sandrine Heiser (adjointe au Délégué aux commémorations nationales) lors de plusieurs conférences, ont contribué à relayer l’initiative « 1 Jour – 1 Poilu » et l’œuvre d’indexation dans la presse et auprès du public. Mais hormis ces initiatives que je tiens à saluer, le projet a été essentiellement relayé sur les blogs, le bouche à oreille et les réseaux sociaux. Il reste donc beaucoup à faire.
Cette démarche de labellisation « Centenaire » a donc pour premier objectif d’accroître la visibilité et la notoriété du projet pour élargir la base des participants.
Nous sommes désormais à la moitié de l’objectif / jour, avec deux fois plus de participants qu’au mois d’août dernier. Doubler encore le nombre des participants sans attendre Verdun (2016) ne nous parait pas hors de portée…
Vous avez participé les 10 et 11 avril dernier aux Rencontres du Web 14-18 organisées par la Mission du Centenaire à Paris. Quel est votre retour d’expérience sur cet événement ?
Cet événement a représenté une formidable opportunité pour des porteurs de projets numériques liés à la Grande Guerre issus des horizons les plus divers (historiens, généalogistes, blogueurs, journalistes, archivistes, etc.) de se rencontrer et d’échanger en confrontant leurs problématiques respectives. J’ai été ravi d’y participer et de dialoguer avec de nombreux visiteurs et intervenants, en particulier avec Mme Sandrine Aufray, Chef de projet Mémoire des Hommes, à laquelle j’ai formulé des souhaits pour l’évolution future du site : des statistiques en temps réel sur les indexations réalisées, et des possibilités d’export des données sur filtres, pour pouvoir commencer l’exploitation de la base en procédant à des recoupements statistiques à partir de lots partiels.
Je crois que vous avez une bonne nouvelle à nous annoncer ?
Oui : le comité national de labellisation de la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale, après avis de son conseil scientifique, a décidé d’attribuer le label Centenaire au projet « 1 Jour – 1 Poilu ».
C’est un événement très important pour la suite, et je tiens tout particulièrement à remercier pour cette décision M. Antoine Prost, président du Conseil scientifique de la Mission, les membres du Conseil, M. Joseph Zimet, le Général Elrick Irastorza, et M. le ministre Jean-Marc Todeschini qui a cité l’initiative « 1 Jour – 1 Poilu » dans son discours d’ouverture des Rencontres du Web 14-18.
J’associe bien entendu à ces remerciements Marie-Christine Bonneau-Darmagnac, qui m’a encouragé à présenter cette demande, et l’équipe-projet transdisciplinaire d’ « 1 Jour – 1 Poilu », composée de membres qui ont tous soutenu activement cette initiative dès son origine : Michaël Bourlet, Chef du département histoire et géographie aux Écoles militaires de Saint-Cyr Coëtquidan ; Erwan Le Gall, directeur du cabinet d’ingénierie mémorielle et culturelle En Envor ; Sophie Boudarel, généalogiste professionnelle ; Sandrine Heiser, adjointe scientifique auprès du délégué aux Commémorations nationales, Ministère de la Culture et de la Communication, Archives de France (SIAF) ; Stéphanie Trouillard, Journaliste Internet France24.com, spécialisée en Histoire de la Première et Seconde Guerre mondiale, ainsi que trois partenaires : La Revue Française de Généalogie (Charles Hervis), La Gazette des Ancêtres (Sophie Boudarel) et En Envor.
Enfin, parce que sans elle « 1 Jour – 1 Poilu » ne serait rien, je dédie ce label à la « Task Force » #1J1P : c’est elle, l’âme et le moteur de ce projet !
Je conclurais sur une note personnelle. Lorsque mon aïeul le Dr Joseph La Bonnardière (esprit iconoclaste doté, à l’évidence, d’un « nez » publicitaire et… grand amateur d’histoire) inventa ce simple mot : « thalassothérapie », il y a 150 ans, il ne créa pas seulement un concept : il ouvrit la voie à ce qui allait devenir une véritable industrie à l’échelle mondiale. Preuve qu’avec une idée simple et une volonté forte, on peut parfois aller très loin, à condition de valoriser la créativité bien davantage que nous ne le faisons aujourd’hui et de lui donner les moyens de son expression. Cela vaut pour tous les domaines, y compris – et peut-être surtout – pour ceux où n’appliquons guère habituellement ce principe…
La bataille est engagée. Elle ne fait encore que commencer !
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