5 questions à ... Franck David

Comme nous vous l’avions annoncé il y a de cela quelques jours, nous avons tellement apprécié le comprendre le Comprendre le monument aux morts que Franck David vient de publier aux éditions CODEX que nous avons deécidé de passer son auteur au crible de notre désormais traditionnelle rubrique 5 questions à ! Un entretien dense dans lequel il est question – bien sûr – de mémoire mais surtout de transmission de l’histoire.

 

D'où vous vient cet intérêt pour les monuments aux morts?

Je ne suis pas du tout un spécialiste de la Grande Guerre. Cet intérêt pour le monument aux morts – j'insiste sur le singulier – est récent. Il date de mon retour en France après une dizaine d'années passées à l'étranger et d'une pratique déjà éprouvée de l’enseignement à partir du local, du visible, du sensoriel. Il procède ensuite d'un constat simple. Le monument aux morts est partout, comme une verrue souvent disgracieuse au cœur de l'espace public. Pourtant il ne sert plus qu'à des commémorations figées, exclusives, mal articulées avec le présent et les contemporains. J'ai voulu appréhender avec des collégiens l'ignorance voire le rejet dans lequel il était consigné. Prenant le parti de commencer le cours sur la Grande Guerre au pied du monument, j'ai mesuré son appropriation progressive par des adolescents qui ensuite se sont penchés sur le monument de leur commune. Le monument avait retrouvé du sens et l'histoire reprenait chair. Ils ont publié leur travail sur le site Chemins de mémoire et pris goût à l'observation curieuse de ce monument ré-historicisé.

Monument aux morts de la Grande Guerre, Vannes (Morbihan). Photo Steve Dubois sous licence Creative Commons.

Vous avez écrit un véritable manuel à destination des enseignants qui souhaiteraient travailler avec leurs élèves sur les monuments aux morts. Est-ce à dire que ce type d'ouvrage, selon vous, manquait? 

Cet ouvrage, je l'ai cherché. J'ai redécouvert Antoine Prost, qui a posé les bases d'une approche historique du monument aux morts comme lieu de mémoire. Puis j'ai lu Annette Becker qui de son côté s'est penchée dans un beau livre sur les monuments sculptés les plus emblématiques. Un ouvrage collectif majeur, mais épuisé, a dressé en 1991 un état de la recherche : Monuments de mémoire, édité par la Mission permanente aux commémorations et à l'information historique. Leurs travaux et leur notoriété ont suscité quelques autres publications et surtout beaucoup de mémoires de maîtrise couvrant le plus souvent un département. Des passionnés à leur tour se sont lancés dans un inventaire. Aujourd'hui des sites internet ont repris le flambeau, parfois dans une démarche collaborative, mais souvent dans un souci d'exhaustivité. Aussi, une synthèse manquait même si la publication de la thèse de S. Tison – Comment sortir de la guerre, en 2011 aux Presses universitaires de Rennes – apportait un souffle nouveau à cette question du monument aux morts. Ce sont en fait des collègues, des libraires, des élus locaux aussi qui m'ont incité à produire un petit guide de lecture du monument aux morts.

La nature relativement consensuelle de la mémoire de la Première Guerre mondiale ne constitue pas un obstacle au travail scolaire sur ce conflit. Pensez-vous qu'une initiative telle que la vôtre soit déclinable pour d'autres conflits?

Tout dépend naturellement de ce qu'on entend par "initiative telle que la vôtre". Travailler sur les traces laissées par l'histoire dans le quotidien, à la frontière entre l'histoire et le territoire des géographes, est forcément transposable. Il suffit d'observer un paysage et d'essayer de voir si un dénominateur commun transparaît d'un lieu à un autre. Pour rester dans le champ des conflits, je pense aux guerres de religions à travers le vandalisme de certains édifices religieux. Plus près de nous la dénomination de la voirie, mais aussi les plaques et stèles ponctuant villes et campagnes de références à la Seconde Guerre mondiale permettraient de la même manière de décliner une approche à la fois pédagogique pour le grand public et en même temps de véhiculer les travaux récents des spécialistes. Je verrais bien une étude sur les rues, places, monuments se référant à 39-45, leur disposition, leur orientation, la manière dont ils irradient un espace urbain, certes en filigrane, mais selon des logiques d'urbanisme mémoriel riches de sens. L'étude des stèles liées aux combats de l'Occupation et de la Libération dégagerait aussi un regard neuf sur le positionnement de ces actes, leurs acteurs, les enjeux de leur mémoire et leur inscription dans le paysage. 

Monument aux morts de Mailleraye-de-Bretagne (Loire-Atlantique). Cliché Les soldats de Loire Inférieure.

L'un des grands intérêts de votre livre est que l'on aperçoit aisément votre expérience d'enseignant transparaître. Or si vous parlez de vos élèves, jamais vous n'évoquez leurs parents. Quelle est leur réaction face à ce travail sur les monuments aux morts?

Enseignant, je m'adresse d'abord aux élèves avec lesquels je construis un parcours d'enrichissement personnel fait de connaissances et d'expériences vécues. J'insiste beaucoup sur la notion d'expérience à laquelle je suis très attaché. Les parents peuvent penser ce qu'ils veulent des choix opérés ou de ce que leurs enfants en racontent. Ils sont parfois surpris mais finalement très ouverts. Pour être franc je n'ai guère eu de retour sur l'étude des monuments aux morts. Il serait aisé de se gargariser d'un commentaire élogieux pris dans la masse des silencieux mais le plus souvent l'indifférence ou le consentement tacite ont prévalu. Comme quoi le monument aux morts ne suscite pas de polémique...

Quel accueil a reçu votre ouvrage jusqu'à aujourd'hui?

Il est encore tôt pour mesurer l'impact du livre. L'éditeur semble satisfait des premières ventes avant même que le titre soit référencé chez les libraires. Les services d'archives et du patrimoine, les bibliothèques départementales ou municipales ont plutôt bien réagi en cernant l'intérêt du projet, à savoir doter leur public d'un usuel généraliste sur LE monument aux mort. Quelques sollicitations pour des conférences commencent à poindre. Le grand public est encore très discret, principalement du fait de la difficulté pour un petit éditeur d'avoir une visibilité. Néanmoins, il convient de remarquer qu'après les enseignants, un lectorat semble émerger chez des curieux qui ont envie de savoir ce que le monument de leur commune peut avoir à leur raconter, à leur enseigner. Au point qu'un retirage pourrait être nécessaire.