5 questions à ... Jean-Yves Le Clerc

L’information est tombée la semaine dernière : les Archives départementales d’Ille-et-Vilaine viennent de mettre en ligne les registres matricules ! Une heureuse nouvelle que de nombreux généalogistes et historiens attendaient de longue date, surtout en cette période de centenaire de la Première Guerre mondiale ! Souhaitant connaître l’envers du décor d’un chantier aussi immense que la numérisation et la mise en ligne de plus de 500 000 feuillets, nous avons posé 5 questions à Jean-Yves Le Clerc, conservateur du patrimoine à la direction des archives et du patrimoine d’Ille-et-Vilaine.

 

Pourquoi numériser les registres matricules de recrutement ?

La numérisation des registres matricules répond à une demande forte des chercheurs et des généalogistes en ces temps intenses de commémoration, demande qui se traduit par des nombreux mails sur notre adresse de contact par un nombre important de communications en salle de lecture. Cette demande est de plus encouragée par les célébrations liées au centenaire de la Grande Guerre. De plus, la numérisation permet de protéger les originaux de trop de manipulations ou de communications en salle de lecture, dimension qui est bien entendu essentielle.

Carte postale. Collection particulière.

Pour un service d’archives, quelle masse de travail représente un tel chantier ?

Un chantier de plusieurs mois et un volume financier de plusieurs dizaines de milliers d'euros. Il faut rédiger les pièces du marché public lié à cette opération et procéder ensuite à l’analyse des offres des différents candidats avant de choisir celui que nous retiendrons. Il faut également préparer les documents à la numérisation en repérant les difficultés auxquelles peut se heurter le prestataire, organiser et nommer les fichiers issus de la numérisation, les contrôler, les découper (informatiquement !) pour obtenir la qualité de visionnage que nous proposons sur internet notamment dans les fonctions de zoom, attacher ces fichiers à des fiches descriptives et enfin les charger sur les serveurs du Département pour qu’elles puissent être accessibles depuis le site internet des Archives.

Quel était votre cahier des charges en initiant cette démarche de numérisation ?

La démarche de numérisation de ces documents s‘est faite en trois étapes. Tout d’abord, nous avons numérisé en 1999 avec la société Archimaine de Laval les tables alphabétiques de ces registres, ce qui nous a permis de les mettre en ligne sur le site des Archives dès 2009. Ce sont 8 514 pages que nous avons alors numérisées pour un coût d’environ 20 000 francs à l’époque. En 2011, nous avons passé un marché public pluriannuel pour numériser les feuillets des registres matricules, opération que nous avons effectuée en 2011, 2012 et 2013 avec la société Arkhenum de Bordeaux. Environ 510 000 pages ont été scannées pour une somme de plus de 100 000 euros cumulés sur ces trois exercices budgétaires.

Un cahier des charges pour une opération de ce type équivaut à un document d'une dizaine de pages où sont précisées toutes nos attentes et contraintes. Ici, nous avions mis en avant la possibilité de numériser chez le prestataire en niveaux de gris mais notre préférence était la numérisation en couleur dans nos locaux. C’est cette option qui a été retenue car elle présentait de nombreux avantages : pas d’envoi des registres à Bordeaux donc pas de risques liés au transport ou à un stockage temporaire hors des conditions de conservation habituelles des documents, moins de manipulations, continuité du service de consultation des originaux, disponibilité des documents pour préparer les manifestations du Centenaire, réactivité des Archives à répondre aux questions des opérateurs sur les documents…. Le prestataire a donc recruté plusieurs opérateurs dans la région et installé plusieurs machines dans nos locaux pendant un certain nombre de mois lors de ces dernières années.  

Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous avez été confrontés ?

Nous avons essayé de contourner les difficultés en choisissant l’option de la numérisation in situ mais les principaux problèmes consistaient dans le nombre de registres à traiter (près de 1 000 de 500 pages chacun), dans la présentation de ces registres et notamment leurs formats différents au long des années. Mais la complication majeure de cette opération est la prise en charge des retombes très nombreuses et notamment des papillons de papier collés à même le registre pour inscrire les faits supplémentaires de la carrière militaire du soldat pour lesquels la case prévue à l’origine n’est pas suffisante. C’est ce qui explique pourquoi pour le même matricule, nous pouvons avoir plusieurs fichiers présentés dans un ordre logique de lecture. Au total, ce sont 921 registres des classes de 1859 à 1940 (années des 20 ans du conscrit) qui ont été numérisés. Pour des raisons de secret médical, seules les registres des classes de 1859 à 1921 sont consultables pour l’instant en ligne.

Avez-vous des informations à propos d’une éventuelle interface nationale permettant d’accéder à l’ensemble des registres matricules numérisés, et pas seulement ceux du département d’Ille-et-Vilaine, ou à tout le moins sur la possible instauration d’une démarche d’indexation collaborative à l’échelle de la France entière ?

Non, je n’ai pas d’informations précises sur cette démarche nationale, sans doute à cause du contexte de la réforme territoriale qui rend aléatoire ce genre de démarches actuellement. Mais la volonté d’une indexation de l’ensemble des registres matricules militaires français a bien été présentée il y a quelques mois dans une correspondance du Service interministériel des Archives de France venue notamment après la publication en mars 2011 d’un rapport au Premier ministre intitulé Quel avenir pour les Archives de France ?. Dans ce document de Maurice Quénet, Conseiller d'État en service extraordinaire, l’ambition d’un portail national commun aux services d’archives pour la diffusion des fonds et des instruments de recherche est clairement affichée. Depuis, cette idée de futur portail national des Archives de France a été annoncé dans la feuille de route du Gouvernement sur le numérique et ne doit donc pas être tout à fait abandonnée.