5 questions à ... Michel Delannoy

Depuis que le Musée de la Grande Guerre de Meaux, aidé par une agence de communication, a eu l’idée d’utiliser les réseaux sociaux pour raconter la vie d’un poilu, on ne compte plus le nombre d’initiatives semblables permettant de découvrir via Facebook ou Twitter de remarquables fonds documentaires. C’est aussi l’idée qu’a eu Michel Delannoy pour faire connaitre les exceptionnelles archives de son grand-père, Brestois et artilleur pendant la Grande Guerre.

 

- Qui est le capitaine Longuet?

Ingénieur, militaire, industriel… il est un peu tout cela. Octave Longuet est né à Brest, en 1888, et est l’aîné d’une famille de quatre enfants. Son père Renaud aura effectué sur Brest une longue carrière dans la Royale, terminant mécanicien principal de 1e classe, décoré de la Légion d’Honneur et des palmes académiques. Il fréquente dans un premier temps l’école de la rue Vauban, obtenant son certificat d’études primaires en 1900 puis rejoint l’Ecole pratique d’industrie et de commerce qu’il quitte à l’été 1905. On notera que les prix d’études industrielles sont remis par un certain Gustave Eiffel !

Octave Longuet, jeune étudiant de la 3e division d'Arts et Métiers, à Angers. Collection Michel Delannoy.

Passionné par les différentes facettes de la mécanique, il passe le concours des Arts & Métiers d’Angers, qu’il réussit. Il reste trois années dans le cadre prestigieux de l’ancienne abbaye du Ronceray et sort en 1908 avec son brevet d’ingénieur en poche.

Attiré par l’uniforme, à moins que ce ne soit poussé par son père, il entame une formation d’élève-officier de réserve, dans le cadre de l’artillerie de côte, qui l’emmènera de Brest à Bizerte, en Tunisie, durant près de deux ans. En avril 1911, il est nommé sous-lieutenant de réserve et est affecté au 3e régiment d’artillerie à pied de Brest, qui s’occupe principalement de la défense de la ville ainsi que de sa rade. En 1912, il est nommé piqueur des chemins de fer à Argentan. Désigné bizarrement faute de candidat militaire comme cela apparaît sur le journal officiel. Le piqueur était une sorte de contremaitre qui avait en charge l’entretien des infrastructures.

Puis la guerre est arrivée… Cette guerre, il la fait au sein d’une artillerie lourde, en perpétuelle refonte matérielle et structurelle, changeant plusieurs fois de régiment et d’armement. D’abord en Bretagne durant la première année : à Brest en 1914, alors en instruction. Puis au camp de Meucon le premier semestre 1915 où, au sein de la 1e batterie du 3e régiment d’artillerie à pied, il s’entraîne aux tirs. A l’été 15, il rejoint la Champagne pour le baptême du feu, commandant une pièce de 270mm de côte, les mêmes qui défendaient le port de Brest, réquisitionnée par le commandement, comme beaucoup d’autres, afin de pallier cette artillerie lourde tant déficitaire. C’est en Champagne qu’il produira ses plus beaux clichés, fort nombreux d’ailleurs : les hommes, le matériel et bien sûr les ravages de cette artillerie lourde. Début 1916, il est envoyé en Alsace après avoir été formé sur un nouveau matériel, le 240 à échantignolles, un matériel rapidement obsolète. Ce sera pour lui une période des plus calmes aux environs de Thann. A l’été, c’est la bataille de la Somme qui l’oblige à traverser la France, où l’on découvre une artillerie monstrueuse, l’artillerie lourde sur voie ferrée ainsi qu’un tout nouveau type d’engin, le tank. En fin d’année 1916, de nouveau un passage en Champagne pour découvrir le 16cm de marine, armement qui équipe entre autre les bâtiments de guerre. Il retourne de nouveau en Alsace début 1917 dans des conditions très difficiles, souvent pris à partie par les contre-batteries adverses. En fin d’année, il retrouve durant quelques mois la Champagne avant se rendre début 1918 en Belgique près de Nieuport où, nommé capitaine, il commande sa propre batterie au sein du 73e régiment d’artillerie lourde. Il participera alors à l’assaut final courant octobre. Lors de l’armistice, il n’est pas démobilisé car son aide s’avère précieuse : d’abord en Champagne pour gérer toutes les restitutions de matériels ferroviaires auprès des différentes compagnies puis, en Allemagne, afin de s’assurer que les clauses du traité de Versailles soient bien respectées. Et finalement, c’est en juillet 1919 qu’il est démobilisé.

Une pièce de 270 dans le secteur de Wargemoulin, dans la Marne. Collection Michel Delannoy.

A l’issue de la guerre, il fonde son entreprise de matériaux de construction en région parisienne, puis, dans les années 30 avec son frère, une deuxième spécialisée dans le transport fluvial sur les bords de Seine. Et même une troisième à l’aube de la seconde guerre mondiale, concernant la confection de petits meubles de cuisine ! Il se marie en 1919, a trois enfants dont deux filles, encore bien alertes aujourd’hui.

Malheureusement, ce que la première guerre lui a laissé, la vie, c’est la seconde qui lui prend. En effet, dans des conditions atroces lui et son fils André, ainsi que quatre autres personnes, tous civils, sont mitraillés et brûlés dans le petit village d’Auriac en Dordogne, le 30 mars 1944. C’est la Division Brehmer, qui, semant la terreur pendant près d’un mois dans le sud-ouest, est responsable de ce massacre.

- Etait-il attaché à la Bretagne?

Très certainement. Et ce pour trois raisons : d’abord, il y est né et ses racines sont brestoises. 5 générations se sont succédées dans la Royale, de Rochefort au milieu du XVIIIe siècle jusqu’à son père en 1910, 150 ans dont une grande partie sur Brest. Ensuite, il a passé toute sa jeunesse ainsi que sa scolarité sur Brest et, à l’entre-deux guerre, il venait fréquemment y retrouver ses attaches. Un exemple parmi d’autres, lors de l’inauguration du monument à la gloire des Bretons morts durant la Grande Guerre à Sainte-Anne d’Auray, il était présent, ce 24 juillet 1932.

Le Viaduc de Quimperlé, en juin 1915, photographié par Octave Longuet. Collection Michel Dalannoy.

Une troisième raison m’amène à cette même conclusion : sa passion pour la photographie témoigne de cet attachement, que ce soit en 1912-1913, alors qu’il était en Normandie, ou bien après-guerre, dans les années 20. On y retrouve principalement des clichés du Finistère, dont Brest bien évidemment. Connaissez-vous la cloche sonore d’Ouessant, le moulin de Montmarin sur La Rance, le bac de Plougastel ou le Gorbea Mendi au port de commerce de Brest? Tout cela est bien loin maintenant… Et même durant la guerre, il nous fera découvrir les beautés touristiques autour du camp de Meucon, tel le magnifique calvaire de Guéhénno qui n’a pas pris une ride depuis ou bien la chapelle de Burgo, malheureusement en ruines après son effondrement dans les années 20. Oui, il n’y a pas de doute, cette Bretagne lui était chère !

- Sa guerre nous est avant tout connue par les exceptionnelles photos qu'il réalise pendant le conflit. Pouvez-vous nous en dire plus?

Sa passion première, très certainement. Comme je le soulignais ci-dessus, il a commencé à s’adonner à la photo juste avant-guerre, puis il a continué durant la guerre, et plus rarement après, à amasser un véritable trésor visuel. Des centaines de clichés dont une bonne partie se présente sous forme de plaques de verre, le plus souvent au format 13 x 18cm. Un piqué remarquable, d’une grande richesse quant aux détails qui n’ont rien à envier à l’ère numérique que nous connaissons ! Elles ont réussi à résister aux épreuves du temps, bien conservées dans le grenier familial. Beaucoup d’autres photos nous sont également parvenus au format papier, couleur sépia. Et parfois plaque et tirage papier sont présents ensemble.

On m’a souvent posé la question, « Mais comment faisait-il ? ». Effectivement, comment allier le côté professionnel et le côté photographe ? Pour ma part, je n’ai pas vraiment la réponse. Cependant, il a réussi à couvrir tous les « fronts » où il était présent. A sa décharge, l’artillerie lourde était en retrait de 3 à 5 km des lignes de front, ce qui devait lui permettre de prendre plus facilement des photos. Je ne connais pas le type d’appareil qu’il utilisait, mais il devait être volumineux compte tenu du format des plaques et utilisé sur pied dans certaines conditions.

Tir d'une pièce de 120 long. Collection Michel Delannoy.

- Vous avez d'ailleurs publié ces photographies dans un magnifique album.

Effectivement, j’ai pris le parti de mettre en page cette extraordinaire collection, 80% des photos y sont présentes. D’abord un travail de fourmi qui aura duré trois années afin de restituer ce que j’appelle l’espace-temps concernant ces fameuses plaques de verre, dépourvues de toute légende. Qui, où et quand… Trois années à me plonger dans les livres, consulter des sites, partager sur des forums, mais le jeu en valait vraiment la chandelle, pour reprendre l’expression. C’est ainsi plus de 90% des plaques de verre qui ont retrouvé leur environnement. C’était de loin la partie la plus passionnante. J’ai d’ailleurs une anecdote à ce sujet : j’avais retrouvé une branche familiale éloignée de celui qui fut son commandant d’unité durant plus de trois ans, le capitaine Gateau. Et quand j’ai demandé à cette personne si elle avait des photos, elle m’a répondu : « oui, juste une photo jaunie, où il pose près de sa pièce ». Et cette photo était un pâle tirage d’une des plaques de verre réalisée par mon grand-père : incroyable, non ?

Ensuite, la seconde phase était consacrée à l’écriture du livre. J’ai tout à fait conscience que je ne suis ni historien, ni écrivain, et je n’étais pas là pour réécrire l’histoire, je laisse cela aux spécialistes ! Par contre, remettre ces photos dans le contexte du parcours de mon grand-père devenait intéressant. C’est ainsi que j’ai consulté les archives municipales de Brest, son dossier militaire à celles de Vincennes, ainsi que les journaux de marche et des opérations des différents régiments le concernant, disponibles dorénavant sur Internet. Ces derniers retracent au jour le jour le parcours de chaque unité durant la guerre. Je me suis également attaché à donner une plus-value technique dans les légendes afin d’enrichir la portée de ces clichés.

L’accent a vraiment été mis sur la qualité d’impression permettant une mise en valeur remarquable de ces photos. Ce livre, réalisé en autoédition, est accompagné d’un blog où vous pouvez y retrouver les grandes lignes: www.guerre14longuet.canalblog.com

- Vous animez également un compte Facebook intitulé Capitaine Longuet, Artilleur de la Grande Guerre. Pouvez-vous nous en dire plus?

Plusieurs amis m’ont incité à ouvrir une page Facebook dédié au capitaine Longuet. Au début, je n’étais pas vraiment friand, mais pourquoi pas ? Cette page existe donc depuis plusieurs mois maintenant et j’y mets très régulièrement des photos avec un petit commentaire, faisant revivre le capitaine Longuet. Actuellement, après son passage en Bretagne, nous sommes en pleine bataille de Champagne, dans cet automne 1915.

Bientôt une petite centaine de « J’aime », cela progresse doucement mais sûrement. Mais une déception tout de même, j’aurais aimé plus de répondant, une participation active, des commentaires… de la part de ceux qui me suivent, régulièrement, ou non. Je conçois vraiment cette page comme un échange, et non comme un monologue, ce qu’il est encore trop à mes yeux. Quant à ceux qui suivent cette page, qu’ils soient rassurés, nombreuses sont les photos à venir !