5 questions à ... Paysages en bataille

Paysages en bataille est l’une des plateformes électroniques d'histoire les plus novatrices du moment, proposant une éco-histoire de la Première Guerre mondiale  sous une forme ludique et efficace. Nous avons-voulu en savoir plus à l’occasion d’une opération de crowdfunding lancée pour le financement de 200 capsules vidéo de format court. Une démarche à suivre !

 

Pouvez-vous nous présenter Paysages en bataille ?

Le concept tient en quelques mots : une enquête, un blog, 200 capsules vidéo, et une application pour smartphone. Pour découvrir les 4 ans de la Grande Guerre au travers de la lecture des paysages contemporains sur les 700 km de l'ancienne ligne de front.

Capture d'écran du site Paysages en bataille.

Vous lancez une opération de crowdfunding: pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet?

Alors que l'on s'apprête à commémorer le centenaire de la Première guerre mondiale, les paysages sont devenus les derniers témoins de ce conflit. Il ne reste plus de poilus : tous les combattants de 1914-1918 sont décédés. Mais certains arbres qui ont traversé le conflit, certains monuments qui sont encore sur les lieux des anciens champs de bataille nous racontent l'Histoire de la Grande Guerre. Journaliste et archéologue de formation, j'ai eu envie de proposer au public de me suivre dans mes pérégrinations le long des 700 kilomètres de l'ancienne ligne de front. Au travers de 200 capsules vidéo de format court, l'idée est de faire parler les éléments du paysage actuel, pour raconter les petites histoires qui composent la grande Histoire. Comment les combattants des tranchées, qui étaient pour la plupart des paysans, ont-ils perçu le conflit ? Comment ont-ils ressenti, en particulier, les blessures qu'ils infligeaient à leur propre environnement ? Quelles ont été les séquelles environnementales de 14-18 ? Comment la nature s'est-elle relevée de ce conflit ? Cette relecture dynamique du paysage fait l'originalité de ce projet créateur de liens. Les informations ajoutées en marge des vidéos, via le blog et via la future application pour smartphone, permettront de dessiner un panorama complet de la ligne de front et de tout ce qui y est/sera entrepris pour que l'on se souvienne de cette « Grande » Guerre, une guerre effroyable. La Première guerre mondiale a bouleversé les rapports sociaux, et modifié notre regard sur le monde. Le véritable enjeu de ces commémorations est de transmettre un message de paix, qui ne peut véritablement passer et être utile que si l'on crée du lien.

Présentation du projet Paysages en bataille.

En lisant attentivement les articles de votre site, on a presque l'impression de découvrir une sorte d'éco-histoire de la Grande guerre. D'où vous est venue l'idée d'aborder ce conflit par cet angle particulier?

J'ai une formation d'archéologue et historienne de l'art. Mais après quelques années de pratique, j'ai réorienté ma carrière : je suis journaliste indépendante depuis 2004 et je réalise de nombreux reportages et chroniques dans la presse écrite mais aussi en radio et télévision, dans le domaine de l'environnement et de la nature.

Mon papa, le Docteur Patrick Loodts, m'a demandé de l'aider à écrire son livre, La Grande Guerre des Soignants. Médecins, infirmiers et brancardiers de la Grande Guerre , paru en 2009 aux Editions Memogrames. C'est à l'occasion de la rédaction de ce livre que je me suis intéressée à la Première Guerre Mondiale.

Lors d' une visite sur le site de Vauquois, en Argonne, j'ai été saisie par le paradoxe qui émane de ce lieu dévasté. A  25 km au nord-est de Verdun, Allemands et Français s’y sont affrontés de septembre 1914 à avril 1918, dans une effroyable guerre des mines qui a ravagé le tertre et le village qu’il portait. De l'ancien village perché sur la butte, il ne reste que quelques pierres. Les cratères qui ont éventré la colline laissent encore percevoir la violence des affrontements qui ont eu lieu durant 4 ans à cet endroit. Mais le site, superbement émouvant, offre encore une vue exceptionnelle sur la région.

Je me suis rendue compte qu'il en était ainsi pour  de nombreux champs de bataille de 14-18, car ainsi que l'exprime le géographe Yves Lacoste : « (…) parmi les endroits d’où l’on peut voir un paysage, celui dont la vue est la plus belle est presque toujours celui qui est le plus intéressant dans un raisonnement de tactique militaire ». L'idée est alors née de sillonner les paysages qui portent les stigmates de la Première Guerre Mondiale, à la recherche de ce lien entre les hommes, la nature et l'Histoire.

Mes intérêts pour l'environnement et pour l'Histoire ont ainsi convergé autour du projet Paysages en bataille, une grande enquête que j'ai initiée en 2010 sur le thème des séquelles environnementales de la Grande Guerre. Après une première série de publications en 2012, grâce au soutien du Fonds pour le Journalisme, j'ai eu envie de poursuivre ce projet avec l'écriture d'un livre, et l'élaboration d'une série de capsules audio-visuelles.

Les bornes Vauthier.

En vous focalisant sur le front ouest, terrestre, n'avez-vous pas peur de ne traiter qu'un des aspects du conflit? Une région comme la Bretagne - qui se trouve sur un front, maritime certes mais un front - n'est elle pas elle aussi forgée dans certains de ses paysages - on pense notamment aux installations portuaires construites par les Américains en 1917 - par la Grande Guerre?

Il faut bien commencer par quelque part, et couvrir les 700 kilomètres de la ligne de front occidentale est déjà ambitieux. Mais ce n'est pas un objectif final. Le projet tel qu'il existe ouvre sans cesse de nouvelles portes vers de nouveaux territoires d'explorations possibles. Ce n'est pas pour rien que l'on dit que cette guerre fut mondiale. Sur le terrain, je croise de nombreuses personnes venues de Grande-Bretagne, de Nouvelle-Zélande, d'Australie, et de bien d'autres pays, pour rendre hommage à leurs aïeux, se souvenir. Les histoires que ces personnes me racontent auront leur place dans le projet.

Quant aux Bretons, figurez-vous qu'il en sera par exemple déjà question dans la capsule consacrée à la bataille de Maissin. Un Calvaire breton du XVIe siècle a été transféré depuis le village de Le Tréhou (Finistère) vers le cimetière militaire qui se trouve dans ce village. Il commémore le sacrifice des Bretons du IIe corps lors de la bataille des frontières, en août 1914. Ce fut un combat particulièrement meurtrier. Sur la seule journée du 22 août, les pertes françaises se chiffrent à 99 officiers et 4.085 hommes (dont 2.000 fantassins de la 44e brigade), les pertes allemandes à 95 officiers et 3.581 hommes (dont un grand nombre de la 25e division).

Sur cette vidéo on peut apercevoir une stèle en mémoire d'Henri Collignon, anien préfet du Finistère engagé volontaire à l'âge de 57 ans et dont une rue de Rennes porte le nom.

Quels sont vos souhaits pour le centenaire à venir du conflit?

D'un point de vue très pratique et personnel, j'espère que les internautes nous aideront à réaliser ce projet. Nous lançons une opération de crowdfunding sur Kisskissbankbank. Notre objectif est de réunir 10 800 euros pour tourner les 10 premières capsules, mais aussi et surtout, de créer l'engouement du public autour de ce projet, pour éveiller l'attention de partenaires publics et privés. J'espère que ce projet pourra se développer dans toute son ampleur. J'ai essayé de développer une façon dynamique de raconter l'Histoire, en la décloisonnant d'autres thématiques. Ce que je souhaite aussi au travers de ce projet, c'est créer du lien entre les différentes régions et personnes concernées par les commémorations. En ce moment, tout le monde s'active au niveau local, mais il existe peu d'initiatives transversales. Le tourisme de mémoire recouvre des enjeux économiques et politiques. C'est vrai en France, mais aussi en Belgique, où depuis le début, les préparatifs des commémorations sont entourés de polémiques. C'est sans doute ce qui explique qu'il semble si difficile de coordonner les futurs événements, ou des initiatives comme le projet d'inscription des paysages et sites de mémoire de la guerre 14-18 au patrimoine mondial de l'Humanité de l'UNESCO, conduit par l'association Paysages et Sites de Mémoire de la Grande Guerre.  J'aimerais que ce projet fournisse un vrai panorama de la ligne de front et de tout ce qui y est/sera entrepris pour que l'on se souvienne de cette guerre qui a bouleversé les rapports sociaux, et modifié notre regard sur le monde. Car le vrai enjeu de ces commémorations, c'est un message de paix, qui ne peut véritablement passer et être utile que si l'on crée du lien.