l'A.A.F. et les données personnelles

L’Association des archivistes de France mène une campagne afin de sensibiliser l’opinion au sujet  d'un projet de règlement européen sur les données personnelles. En Envor a voulu en savoir plus et a posé cinq questions à Isabelle Vernus, vice-présidente de l’Association des archivistes de France et directrice des Archives départementales de Saône-et-Loire et Alice Grippon, déléguée générale de l’Association des archivistes de France.

 

Pouvez-vous nous présenter en quelques mots l'Association des archivistes français?

Fondée en 1904, l'Association des archivistes français regroupe aujourd'hui plus de 1650 adhérents, professionnels des archives du secteur public comme du secteur privé. Organe permanent de réflexions, de formations et d'initiatives, elle entend défendre les intérêts des professionnels, promouvoir le métier d'archiviste et sensibiliser le grand public à l'importance citoyenne des archives en France mais également à travers le monde.

Qu'est-ce que le projet de règlement sur les données personnelles?

Ce règlement a initialement pour objectif de protéger les citoyens, en empêchant que de grands opérateurs privés du web (Google, Facebook, etc.) puissent conserver et utiliser des données personnelles. Pour cela, la Commission européenne et le Parlement européen se préparent à adopter, avant l'été, une solution radicale : un règlement qui obligera tous les organismes publics et privés à détruire ou à anonymiser ces données une fois que le traitement pour lequel elles auront été collectées sera achevé, ou passé un court délai.

Ce règlement portera sur les données personnelles sur toutes leurs formes, informatiques ou papier si ces dernières font l'objet d'un traitement informatisé. Il s’appliquera immédiatement et s’imposera aux législations nationales déjà en place.

Il est évident que la réutilisation des informations personnelles à l’insu des citoyens et à des fins commerciales, qui est largement facilitée par les techniques informatiques, doit être combattue par tous les moyens. Mais la solution proposée va avoir des effets très inquiétants.

En quoi est-ce un danger pour les amateurs d'histoire et de généalogie?

Le règlement menace tous les citoyens d’être ainsi privés d’une part de leur mémoire et de l’accès aux informations les concernant. Plus qu’une simple opposition, les archivistes ont donc la volonté de rouvrir le débat afin d’éviter une suppression irrévocable des données. La question dépasse les intérêts des amateurs d'histoire, les enjeux sont beaucoup plus généraux...

Vous avez fini vos études ? L’école ou l’université éliminera votre dossier. Vous avez vendu un bien immobilier ? Les services du cadastre détruiront les traces de votre propriété. Vous n’êtes plus employé par votre entreprise ? Celle-ci supprimera les informations vous concernant. A chacun de veiller sur ses propres données, ne comptez plus sur les services publics ou sur votre employeur !

De manière très binaire, le choix sera de détruire, ce qui sera le cas général, ou de conserver pour une raison juridique ou à des fins historiques, statistiques ou scientifiques, ce qui sera donc l'exception. Dans ce dernier cas, il faudra justifier la conservation par la nécessité d'un nouveau traitement à caractère historique, statistique ou scientifique ; cette justification devant être périodiquement reformulée...

Qui plus est, des milliers d'amendements ont été déposés depuis la publication du projet de règlement, dont certains visent à durcir encore les propositions initiales, au nom du droit à l'oubli.

Quelles autres actions prévoyez-vous à l'avenir?

Nous travaillons actuellement au renforcement de nos partenariats, tout en faisant remonter nos actions vers le gouvernement. D'autres pays européens sont mobilisés autour de ce texte. La pétition est accompagnée d'une campagne d'affiches, si c'est nécessaire nous irons à la rencontre des institutions européennes le moment venu.

Les archivistes semblent en pointe de ce combat sur les données personnelles, loin devant les historiens et même les généalogistes, que l'on sait pourtant prompts à réagir. Comment expliquez-vous cela?

L'objectif premier de ce texte (d'éviter que de grands opérateurs privés du web tels que Google ou Facebook) puissent conserver et utiliser des données personnelles) est louable et même nécessaire pour protéger les citoyens contre les dérives. Mais notre métier nous met constamment en contact avec des historiens, mais surtout avec tous les citoyens qui, pour une raison administrative ou personnelle, ont besoin d'avoir accès à des données les concernant, eux ou leurs proches ; et ce, parfois bien longtemps après la période où ces données servaient directement à un certain usage.

Le sujet est très complexe et il était nécessaire d'analyser le projet de règlement, avec ses très nombreux amendements, pour voir que les axes pris sont dangereux pour la démocratie. Très vite, les historiens et les généalogistes nous ont rejoint en masse et c'est grâce à eux que la pétition prend une telle ampleur.