Actualités de l'histoire

C’est par un détour par les Archives départementales de la Loire que débutent cette semaine les actualités de l’Histoire pour saluer le formidable travail réalisé par Lucien Barou. En effet, cet ancien élève de l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud et auteur d’une thèse en dialectologie portant sur les patois du Forez vient de publier une monumentale enquête en cinq volumes à partir de 187 témoignages collectés pour son doctorat. Intitulée Mémoires de la Grande Guerre. 187 Poilus du Forez et de sa périphérie témoignent…, cette étude est assurément destinée à faire date et à s’imposer comme une référence bibliographique incontournable. Précisons d’ailleurs que la Bretagne n’en est pas totalement absente puisque parmi les témoins constituant ce corpus figure le père André Avril : né en avril 1890 à Landéhen, dans les Côtes-du-Nord, il est mobilisé au titre du service auxiliaire  avant de poursuivre sa carrière ecclésiastique dans la Loire en devenant prêtre aumônier au patronage Saint-Joseph de Saint-Etienne.

Paysage du Forez. Carte postale. Collection particulière.

Il ne semble pas nécessaire d’exposer longuement en quoi un tel travail est important. En revanche, nous souhaiterions insister sur la démarche des Archives départementales de la Loire qui ont décidé de la mise en ligne – à titre gratuit – des cinq volumes de cette formidable étude, lui assurant à coup sûr une réelle publicité. Il y a là une démarche qui non seulement participe clairement de la plus large diffusion possible des connaissances mais qui, espérons-le, devrait faire école tant nous sommes ici, nous semble-t-il, dans la définition même de ce qu’est une mission de service public. D’ailleurs, dans le même esprit, nous ne pouvons que signaler – et saluer – la publication en ligne en accès libre et gratuit des actes du colloque Guerres futures, guerres imaginées: vers une histoire culturelle de l’avant-1914 tenu en novembre 2011, manifestation qui regroupait des chercheurs de renom tels que Gerd Krumeich, John Horne, Stéphane Tison ou encore Franziska Heimburger.

Par ailleurs, une initiative telle que celle menée par Lucien Barou et les Archives départementales de la Loire rappelle combien ce centenaire de la Première Guerre mondiale vient d’en bas. Pour autant, à force de répéter jusqu’à satiété la formule percutante d’Antoine Prost, on en aurait presque eu tendance à oublier qu’en 2014 il venait aussi d’en haut. A ce propos, on ne manquera pas de lire sur le site de l’Observatoire du centenaire de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne l’analyse aussi féroce que stimulante de Stéphane Audoin-Rouzeau qui souligne combien la parole politique lors des commémorations officielles fut aussi omniprésente que creuse. Il est vrai que pour un élu la prise de parole lors de telles manifestations est la plupart du temps sans risque – qui irait reprocher que l’on dénonce la guerre ? – et il y a probablement une tentation d’en profiter d’autant plus grande que les sondages sont bas. Pour autant, il est frappant de remarquer combien cette parole vide non seulement tranche avec ce que l’on a pu observer en Belgique où les commémorations sont à chaque fois l’occasion d’un vibrant plaidoyer pro-européen mais, de surcroît, semble essaimer dans les régions. Quiconque suit par exemple les rocambolesques aventures du sauvetage du Musée de la résistance de Saint-Marcel ne peut qu’être frappé par l’absence totale de projet discursif de la part des élus en charge de ce dossier. Autrement dit, dans le concert de déclarations incantatoires et nécessairement très volontaristes, il n’y a personne pour poser les questions essentielles : que doit dire ce Musée et, accessoirement, comment ?

Visuel du 70e anniversaire des combats de Saint-Marcel: une commémoration sans lendemain?

Ces interrogations sont non seulement légitimes mais essentielles. Car, au final, il y a bien là ce qui distingue l’histoire de la mémoire. Outil politique du temps présent, cette dernière n’est, dans le cadre qui nous importe ici puisque cette notion est polysémique, rien d’autre qu’un usage public de l’histoire. Or, contrairement à la discipline scientifique qui se suffit à elle-même, le développement des connaissances étant sa seule finalité, la commémoration ne peut se comprendre que dans le cadre d’un projet politique. Encore faut-il qu’il y ait un cap à suivre…

Erwan LE GALL