Compagnon de ruptures : Etienne Schlumberger

La nouvelle a été annoncée hier par l’Ordre de la Libération : Etienne Schlumber, est mort le 9 septembre 2014 à Crozon, dans le Finistère, à l’âge de 99 ans. Il était l’un des 19 membres survivants de cette « aristocratie de la résistance », pour faire écho aux célèbres propos de Thierry d’Argelieu dont il était proche. L’ironie de ce décompte macabre veut d’ailleurs qu’il ait été le dernier marin survivant, même s’il n’était pas absolument conforme à l’archétype de la Royale.

Né d’un père aviateur mort pour la France en 1915, Etienne Schlumberger est en effet polytechnicien – promotion de l’année 1938 dont il sort 37e – et c’est dans le génie maritime, à la section réparation des sous-marins de l’arsenal de Cherbourg, qu’il débute sa carrière, en février 1940. Il est donc moins, pour le moment, un naviguant avalant les miles sur toutes les mers du globe qu’un ingénieur spécialisé dans les submersibles.

Le sous-marin Ondine. Carte postale (détail). Collection particulière.

Avec la défaite de 1940 vient pour Etienne Schlumberger une triple rupture. Rupture tout d’abord avec l’ordre légal puisqu’il s’enfuit en Angleterre à bord du sous-marin Ondine tout en assurant le remorquage de trois autres submersibles dont il avait la charge à l’arsenal de Cherbourg. C’est alors le ralliement à la France libre, dès juillet 1940, et le début d’une véritable épopée qui marque une rupture dans sa carrière professionnelle puisqu’il devient dès lors naviguant. Promu enseigne de vaisseau de 1e classe sur l’aviso Commandant Duboc, il prend part à l’échec de Dakar aux côtés de Thierry d’Argenlieu et, ce faisant, se trouve en face de l’Amiral Marzin, demeuré fidèle à Vichy et dont les mémoires ont été publiées il y a peu. Promu lieutenant de vaisseau et commandant en second du Commandant Duboc, il participe à la prise de l’Erythrée, aux dépends des Italiens, puis connaît les terriblement dangereuses navigations en convoi, croisières transatlantiques sous la menace perpétuelle des redoutables U-boots de la Kriegsmarine. Affecté en 1942 sur le sous-marin Junon, il effectue de nombreuses missions, notamment de débarquement d’agents et de commandos, en Norvège.

L'aviso commandant Duboc en 1946. Carte postale (détail). Collection particulière.

Exemplaire, le parcours d’Etienne Schlumberger n’en est pas moins en rupture avec l’engagement de nombreux marins qui rejoignent la France libre à la faveur d’un changement de pavillon du bâtiment sur lequel ils servent1. Tel n’est pas le cas ici puisqu’il y a une démarche active pour fuir l’occupant et poursuivre le combat alors que, le 19 juin 1940, il n’était pour l’immense majorité des gens pas question de France libre puisque celle-ci était tout aussi inconnue qu’embryonnaire. Constamment maître de sa destinée, Etienne Schlumberger choisit d’ailleurs une nouvelle fois la rupture lorsqu’en désaccord sur la question Indochinoise, il demande une autre affectation et prend la tête de la Direction des études de l’Ecole navale, en 1947.

Quittant la Royale en 1953, il travaille pour la compagnie Shell jusqu’en 1975 où, profitant d’une retraite bien méritée, il se lance dans un tour du monde à la voile, dernière rupture d’une vie toujours maîtrisée.

Erwan LE GALL

 

1 Sur cette question on se permettra de renvoyer à LE GALL, Erwan, « L’Engagement des Français libres : une mise en perspective », in HARISMENDY, Patrick et LE GALL, Pour une histoire de la France libre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p. 29-47.