La référence Ar Men

Ce n’est un secret pour personne, le centenaire de la Première Guerre mondiale fait vendre. Ou tout du moins, un certain nombre d’entrepreneurs, parmi lesquels des éditeurs, ont espéré que celui-ci fasse vendre en décidant de la publication, dans la perspective des dernières fêtes de Noël, de maints ouvrages venus se ruer sur les étals des libraires. Comme dans une sorte de gigantesque assolement triennal des offres commerciales, c’est aujourd’hui au tour des hommes de presse de croire en la Grande Guerre et de proposer dans les kiosques numéros spéciaux et autres dossiers thématiques, sans même parler, bien évidemment, des témoignages inédits.

Des hommes posent avec une mitrailleuse, photographie datée de 1916. Collection particulière.

Hommes de presse et éditeurs ont, à en juger par leurs dernières livraisons, l’inconstance en commun. Comme dans les rayons des librairies, les présentoirs des kiosques affichent des contenus très inégaux, certains se permettant même de dangereusement réactiver le mythe des 240 000 morts pour la France en titrant, faussement ingénus, sur « les Bretons: de chair à canon ? » (tout est dans le point d’interrogation). Là encore, sous couvert de vulgarisation à destination du plus grand public, le médiocre se révèle bien souvent être le support d’un discours politique. Or, si celui-ci est probablement très respectable (notre expertise en la matière est très limitée), force est d’admettre qu’il n’a pas à intervenir dans le champ historiographique, surtout lorsqu'il s'agit de contenus à destination de non-spécialistes, par définition peu aptes à déceler les partis pris des auteurs.

Heureusement, loin de ces regrettables dérives, certains titres se démarquent par leur rigueur et proposent une vulgarisation de très grande qualité aux lecteurs désireux d’en savoir plus. C’est d’ailleurs sans surprise que l’on retrouve dans cette catégorie de presse la revue ArMen, publication de référence qui, depuis 1986, joue un immense rôle pour la diffusion de la connaissance de la Bretagne, ce « monde à découvrir ».

Couverture du n°198 d'ArMen.

Le dossier que propose dans son numéro de janvier-février 2014 la revue ArMen est d’une grande qualité et surtout, en une trentaine de pages seulement, permet d’aborder un certain nombre de facettes de la complexité de ce conflit. En quatre temps, la revue interroge les historiens, les sources et les résonances encore présentes de ce conflit. C’est ainsi Y. Lagadec, que l’on ne présente plus dans ces colonnes, qui rappelle que, loin du mythe d’un départ « la fleur au fusil », c’est dans la « consternation générale », la « stupeur muette », que les Bretons accueillent la nouvelle de la mobilisation générale en août 1914. Ce sont G. Abolivier et A. Civran qui livrent une intéressante réflexion sur deux sources essentielles pour l’historien de la Grande Guerre, le courrier des combattants et les photographies prises par les poilus pendant le conflit. C’est enfin A.-G. Monot qui dresse un savoureux portrait de Kris, que les amateurs de bandes dessinées connaissent comme étant l’un des co-auteurs, avec Maël, de la série Notre mère la guerre.

Comme toujours chez ArMen, point que la revue partage d’ailleurs avec sa grande sœur maritime, Le Chasse-Marée, la présentation est soignée, l’iconographie recherchée, la mise en page sobre et aérée, le papier superbement glacé, les références bibliographiques pour approfondir tel ou tel point nombreuses. Nous vous conseillons donc d’autant plus l’achat de ce numéro que ce dossier spécial La Grande Guerre des Bretons est complété d’un très intéressant article de T. Kernalegenn sur l’histoire de l’Union démocratique bretonne, à l’occasion de la publication aux Presses universitaires de Rennes d’un ouvrage posant ce parti en objet d’étude. Or lorsqu’on connait l’impact de la Première Guerre mondiale sur l’Emsav, le mouvement breton, on comprend de suite la pertinence d’un tel choix éditorial, l’article de T. Kernalegenn venant – jusque dans son iconographie – prolonger avantageusement ce dossier spécial sur la Grande Guerre des Bretons.

Erwan LE GALL

 

PS : Nous voulions également traiter dans ces colonnes du dossier que consacre la revue Place publique Nantes-Saint-Nazaire à la Première Guerre mondiale mais des troubles postaux ne nous ont pas permis de pouvoir le consulter. Sans doute faut-il y voir de la part de la Poste une subtile et très réaliste commémoration de ce centenaire tant on sait nombreuses les récriminations des poilus contre l’acheminement du courrier.