Sous les pavés la plage : l’équipe En Envor publie Tourisme et mai 68

Docteur en histoire et chercheur associé au TEMOS (FRE 2015), Johan Vincent est spécialisé dans l’étude du tourisme. Parue en 2008 aux Presses universitaires de Rennes, son Intrusion balnéaire est aujourd’hui un véritable classique et il a publié plusieurs articles pour En Envor, revue d’histoire contemporaine en Bretagne dont un remarqué « A la recherche de la satisfaction touristique en Bretagne : analyse à partir des enquêtes de presse de 1924 et 1977 »1. Inutile donc de préciser que l’intéressé est un grand connaisseur des réalités touristiques, maîtrise qui justement lui permet de s’attaquer aux zones d’ombres, aux angle-morts, aux cas allant à rebrousse-poil des idées reçues, comme avec ce stimulant Tourisme et mai 68. Le cas français2.

Les Vedettes vertes, dans le golfe du Morbihan. Carte postale. Collection particulière.

Le 50e anniversaire de mai 1968 a en effet donné lieu à un nombre très important d’ouvrages qui, tous ou presque, invitent à réinvestir ces années décisives. La situation est d’ailleurs telle qu’il faudra sans doute plusieurs années pour digérer cette production historiographique et pour analyser toutes les archives qui ont émergé à l’occasion de cette commémoration, comme si l’histoire était en quelque sorte en retard permanent sur l’histoire. Mais il faut bien avouer que rares sont les ouvrages qui proposent une approche originale de la période. Celles-ci peut-être embrassée dans un cadre chronologique plus ou moins large, ou en redonnant la parole aux acteurs « anonymes », mais la démarche n’en demeure pas moins le plus souvent classique, pour ne pas dire convenue et éminemment descriptive.

En s’attaquant à la dialectique Tourisme et mai 68, Johan Vincent fait assurément œuvre originale, et utile. En effet, les grèves ne sont pas sans conséquences et c’est en réalité tout un secteur qui est impacté par les événements : non seulement les villégiateurs ne peuvent pas se rendre sur le lieu de leurs vacances mais dans bien des hôtels, c’est la main d’œuvre qui pose problème. Soit elle est absente, puisque les saisonniers eux-mêmes n’ont pas pu se rendre à leur travail, soit elle est employée à ne rien faire, faut de clients, ce qui n’est par ailleurs pas un sort plus enviable. Dans la semaine du 21 au 28 mai 1968, un millier de personnes annule leur excursion à bord des Vedettes vertes qui sillonnent le golfe du Morbihan. Le célèbre hôtel Négresco à Nice ne compte que 16 clients, contre les 335 prévus. Au village VVF de Guidel-Plage (Morbihan), le manque à gagner pour le mois de mai 1968 s’élèverait à 200 000 francs. Les flux touristiques eux-mêmes se modifient et si la manne étrangère se raréfie, les cars désertent Paris pour réinvestir la cathédrale de Chartres et le château de Chantilly.

Mais surtout, en s’intéressant à cette question du tourisme, Johan Vincent invite à finalement saisir la réelle portée de mai 1968. Les événements sont en effet rapidement, pour ne pas dire immédiatement, conscients de leur dimension historique et c’est ainsi que l’on voit, comme dans une sorte de préfiguration du dark tourism, quelques individus partir en goguette, dans le quartier latin, pour « visiter » en plein mai 1968 des barricades. Johan Vincent cite notamment le cas d’une Genevoise qui se rend à Marseille pour « voir une grève générale une fois dans [sa] vie ».

Le village vacances de Guidel-plage, dans le Morbihan. Carte postale. Collection particulière.

Aussi, pour réellement saisir la portée, la rupture de mai 1968, il est impératif de la déconnecter de sa trame narrative, pour ne pas dire de sa légende. Qui se rappelle en effet que le 17 mai 1968 s’ouvre à Paris, au Parc des Expositions de la Porte de Versailles, le salon du tourisme ? Et, plus encore, qui se rappelle de la foule qui s’y est massé, soucieuse de bien préparer ses congés ? Loin de l’anecdote, il y a au contraire une réalité historique qu’il convient de ne pas oublier, celle de barricades et d’occupations qui, bien que réelles, n’en demeurent pas moins limitées dans le temps et dans l’espace. Or c’est un fait : pendant qu’une partie de la population manifeste, une autre travaille, a économisé et continue autant que possible de mettre de l’argent de côté, pour réserver pour ses vacances d’été. Johan Vincent le souligne du reste parfaitement bien : après la chienlit, « c’est le moment des vacances qui va rassembler les Français ».

VINCENT, Johan, Tourisme et Mai 68. Le cas français, Auto-édition / Amazone.fr, 2018.

 

 

 

 

1 VINCENT, Johan, L’Intrusion balnéaire. Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008 et « A la recherche de la satisfaction touristique : analyse à partir des enquêtes de presse de 1924 et 1977 », En Envor, revue d’histoire contemporaine en Bretagne, n°7, hiver 2016, en ligne.

2 VINCENT, Johan, Tourisme et Mai 68. Le cas français, Auto-édition / Amazone.fr, 2018.