21 avril 2002 : tous contre Le Pen

21 avril, plus qu’une date, c’est devenu une expression courante de la France contemporaine. Elle symbolise l’extrême droite aux portes du pouvoir avec la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002. « Non » (Libération), « Le séisme » (Les Echos, Le Figaro), « La bombe Le Pen » (France soir), « Le choc » (Le Parisien) : le lendemain, la presse nationale fait part de la sidération qui a saisi les Français la veille à 20 heures, quand le visage du leader du Front national est apparu sur les écrans de télévisions à côté de celui de Jacques Chirac. Le duel tant annoncé entre le président de la République et le premier ministre sortants – Jacques Chirac et Lionel Jospin – n’aura donc finalement pas lieu…

La Trinité-sur-Mer. Carte postale. Collection particulière.

Jean-Marie Le Pen est né à La Trinité-sur-Mer, un port de pêche situé entre la presqu’île de Quiberon et le Golfe du Morbihan. Pourtant,  à la lecture des résultats du premier tour, force est de constater que sa région d’origine est loin d’être un fief électoral. Avec 11,81% des bulletins exprimés, son score est inférieur de 5 points à la moyenne nationale. Il est même relégué à la troisième place derrière Jacques Chirac (21,6%, +1,8 point) et Lionel Jospin (18,07%, +1,9 point).  Pourtant face à ce « coup de tonnerre », en Bretagne comme partout en France, des manifestations anti-Le Pen se multiplient immédiatement : « Dès dimanche soir, le mouvement de rue a été lancé à Rennes, quelques minutes après l'annonce des résultats du premier tour, 4 000 personnes se sont retrouvées dans la rue ». 1  Un mouvement qui s’amplifie au fil des jours : « Hier soir [24 avril], ils étaient le double, 8 000 donc, à dénoncer l'extrême droite […] ». Sur la place de la mairie, les slogans fusent : « Le fascisme ne passera pas, le fascisme ne passera pas, le fascisme ne passera pas ! » Les allusions aux heures sombres de la Seconde Guerre mondiale sont sans détours : « Vous savez moi j'ai connu Rennes occupé par les nazis hein ». Au-delà de ce que l’on pourrait qualifier de point Godwin2, ce manifestant rappelle que « monsieur Le Pen a un passé qui répond de ses idées ». Il fait là clairement référence aux propos négationnistes du leader d’extrême-droite qualifiant les chambres à gaz de « point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale».

Après les slogans vient le temps du questionnement : comment en est-on arrivé là ? Une jeune femme regrette de s’être abstenue au premier tour : « On est quand même en tort, parce que c'est à cause des gens comme nous qui ne sont pas allés voter […] » Il est vrai qu’avec un taux de 28,4% (24,4% en Bretagne), le premier tour de l’élection présidentielle de 2002 constitue alors un record – encore jamais égalé – depuis l’instauration de l’élection au suffrage universel en 1965. Une autre cause est également soulevée :

« J'ai voté dans mes convictions et […] [je n’ai] pas pensé à voter utile. Je [ne] pensais pas [qu’en] France, […] on était sur le fil du rasoir, tout simplement. »

Le nombre de candidats, voilà un autre record en 2002 : ils sont 16 à se présenter devant les électeurs. Un morcellement particulièrement sensible à gauche avec la présence de trois candidats d’extrême-gauche (Olivier Besancenot, Arlette Laguiller et Daniel Gluckstein) et cinq candidats de la gauche de gouvernement (Lionel Jospin, Jean-Pierre Chevènement, Christiane Taubira, Robert Hue et Noël Mamère). Une concurrence qui coûte cher au premier ministre sortant, lui qui avait pourtant promu la gauche plurielle après sa victoire aux législatives de 1997.

Pour le second tour, un impératif se présente à Jacques Chirac : faire l’union nationale autour de sa candidature pour battre le Front national. Le 23 avril, il tient son premier meeting de l’entre-deux-tours à Rennes. Dans son discours, il rejette clairement Jean-Marie Le Pen – sans jamais le citer – en dehors du champ républicain : « La république ne transige pas quand il en va de l'essentiel, quand il en va de l'esprit et du cœur de notre pays ».3 Les militants présents abondent dans le même sens : « on n’a pas les mêmes valeurs [que le FN] ». A gauche, alors que Lionel Jospin met plusieurs jours avant d’appeler à faire barrage à Jean-Marie Le Pen, les élus socialistes ne désertent pas le terrain. Ainsi, Edmond Hervé, le maire de Rennes, est présent lors de la manifestation anti-Le Pen du 24 avril « pour défendre la démocratie ». Il n’oublie pas non plus la prochaine échéance électorale des élections législatives du mois de juin : « Le Parti socialiste et le gouvernement ont fait une excellente action au cours de ces cinq années, et lorsque l'on compare les décisions que nous avons prises avec l'opposition de droite, moi je suis fier d'avoir appartenu à cette majorité parlementaire et je suis très fier de l'action de Lionel Jospin ».

Jean-Marie Le Pen, le 1er mai 2002. Collection particulière.

Le 5 mai suivant, lors du second tour, la stratégie d’union nationale autour de Jacques Chirac se révèle payante. Sa victoire est sans appel. Il recueille 82,21% des suffrages, contre 17,79% pour son adversaire. En Bretagne, l’écart est encore plus important : 88,56% contre 11,44%. Le président réélu a gagné près de de 20 millions de voix entre les deux tours, contre seulement 700 000 pour le leader d’extrême-droite. Au final, Jean-Marie Le Pen au second tour : un « soufflé qui retombe », comme le prophétisait un électeur de Jacques Chirac lors de son meeting rennais, ou bien une mauvaise graine plantée dans le terreau de la démocratie française qui est appelée à grandir ?

Thomas PERRONO

 

 

 

 

1 INA – L’Ouest en mémoire. « Manifestation anti-Le Pen à Rennes », journal télévisé 12-14, France 3, 25/04/2002, en ligne.

2 Mike Godwin, un avocat américain, a énoncé en 1990 la loi qui porte son nom : « Plus une discussion dure longtemps, plus la probabilité d'y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Hitler s'approche de 1. »

3 INA – Youtube. « Jacques Chirac en meeting à Rennes fustige le Pen », journal télévisé, France 3, 23/04/2002, en ligne.