A Houat, l’eau potable vaut de l’or

Houat est une petite île morbihannaise, située entre Belle Île et la presqu’île de Rhuys. En 1968, seulement 457 habitants y sont recensés. Pourtant, tous les étés, sa population quadruple. L'île est en effet à la fin des années 1960 une escale « privilégiée pour les yachtmen » et un lieu de séjour convoité par de nombreux touristes. Cet afflux pose inexorablement le problème des disponibilités en eau potable. A tel point qu'au-dessus de l’unique pompe du bourg, une pancarte en lettres rouges rappelle : « A Houat, l’eau potable vaut de l’or, économisez là »1.

Houat. Photo Yves-Marie Evanno.

Des solutions sont rapidement envisagées pour répondre aux besoins croissants en eau. La technique la plus répandue est d'acheminer l'eau potable du continent par des canalisations sous-marines. Une éventualité écartée dans le cas d'Houat en raison de son éloignement. Le ministère de l’Agriculture propose alors un projet novateur. Il décide en 1966 de financer la construction d'une usine de dessalement d’eau de mer.

L’appel d’offre est lancé en 1968. Le marché est accordé deux ans plus tard à l'entreprise Degrémont. Cette dernière  propose d'utiliser la technologie de l’osmose inverse. Cette méthode consiste à produire de l’eau potable en plaçant de l’eau de mer sous pression pour forcer les molécules d’eau à traverser une membrane infranchissable pour les molécules de sel de mer. L’eau douce est ainsi récupérée alors que la partie saturée en sel, appelée saumure, est traitée, diluée et réintégrée dans le milieu naturel.

Séduit par cette opportunité offerte à la recherche française, l’Etat assume seul les frais de construction de l’usine expérimentale2. Commencés le 21 mai 1970, les travaux aboutissent dix-sept mois plus tard, le 19 octobre 1971.

L'usine est rapidement considérée comme un fleuron de la technologie française. C’est ainsi que quatorze mois après sa livraison, elle est inaugurée par le conseiller général et ancien député Christian Bonnet. Ce dernier représente par la même occasion le Gouvernement en sa qualité de secrétaire d'Etat au Logement. Une cérémonie en grande pompe est organisée le samedi 16 décembre 1972. La population locale se montre optimiste quant aux bienfaits de l’usine. Pourtant, les premières critiques se font entendre au sujet du prix exorbitant de l'eau potable, « 20 fois plus chère » que sur le continent3. Qu’à cela ne tienne, qu'importe le coût si elle permet de mettre fin aux périodes récurrentes de rationnement.

Houat. Photo Yves-Marie Evanno.

L’illusion est néanmoins de courte durée. Atteinte de pannes récurrentes, l'usine suscite de plus en plus de critiques. La note est salée et les autorités décident de réduire son fonctionnement pour limiter ce « fiasco au plan économique ». A la fin de la saison 1975, la décision est prise, l'usine fonctionnera uniquement l'été4. Difficile de trouver plus mauvais timing puisqu’une redoutable sécheresse gagne l'Europe lors de l'hiver 1975-1976. Les réserves naturelles sont à sec, ce qui n'empêche pas la venue des touristes aux vacances pascales 1976. Faute de travaux d'entretien, l'usine ne peut être réactivée5. Elle rate alors l'ultime opportunité de prouver son intérêt. L'eau potable est en conséquence une nouvelle fois rationnée. L'histoire d'amour est définitivement terminée entre la jeune usine et la population.

D'autres solutions de captation d’eau plus traditionnelles sont alors mises en place. L'usine  de dessalement est réduite à une activité de complément jusqu'en 1993. Cinq ans plus tard, les pelleteuses viennent achever tout souvenir de cet échec6. Le projet expérimental ambitieux a donc été victime de son coût de fonctionnement en inadéquation avec la faible population de Houat. L’eau potable, même dessalée, vaut en effet de l’or sur les îles.

Yves-Marie EVANNO

 

1 BLAIZOT, François, & PATUREL, Louis, « La station de dessalement d’eau de mer de Houat (Morbihan), Le Moniteur, 15 juillet 1972, p. 151-153.

2 « M. Christian Bonnet a inauguré l’usine de dessalement d’eau de mer à l’île d’Houat », Ouest-France, 18 décembre 1972, p. 9.

3 Ibidem

4 « Une expérience peu concluante : L’usine de dessalement de l’eau de mer de l’île d’Houat va être mise en veilleuse », Ouest-France, 23 septembre 1978.

5 LE GUILLOU, J., « A Houat, c’est déjà l’été. Eau rationnée, îliens fâchés », Ouest-France, 13 avril 1976, p. 8.

6 « L’ancien usine d’eau rayée du paysage », Ouest-France (édition Auray), 25 mars 1998.