Cohabitation avant l’heure ou fronde ? Quand Olivier Guichard rappelle à l’ordre Jacques Chirac

La constitution de la Ve République est indissociable de sa pratique. En théorie, le chef du gouvernement est en retrait derrière le président de la République mais maints exemples viennent rappeler que la situation peut être parfois bien différente. Que l’on songe par exemple aux cohabitations de 1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002. Toutes ont d’ailleurs en commun d’y mêler Jacques Chirac, que cela soit en tant que premier ministre, candidat à l’élection présidentielle où hôte de l’Elysée. Il est vrai qu’il a l’expérience de ce type de situations, lui qui parvient à susciter en 1974 l’ire du breton Olivier Guichard.

Une partie des soutiens de Jacques Chirac à la fin des années 1970. on reconnait notamment, à gauche, CHarles Pasqua et Jacques Toubon. Collection particulière.

Quelques mois seulement après la victoire de Valéry Giscard d’Estaing à l’élection présidentielle, la situation devrait en théorie être au beau fixe dans les rangs de la droite. Il n’en est rien et c’est même la division qui menace, à tel point que le grand quotidien du soir Le Monde n’hésite pas à affirmer, dans son édition du 18 janvier 1975, que « la remontée de l’UDR préoccupe les républicains indépendants »1. La situation est telle qu’Olivier Guichard, baron du gaullisme, petit-fils du directeur des Chantiers et ateliers de la Loire à Saint-Nazaire, inamovible maire de La Baule et parlementaire systématiquement réélu dans sa circonscription de Loire-Atlantique est obligé de donner de la voix pour rappeler à l’ordre… le premier ministre, Jacques Chirac.

Situation en effet paradoxale que ce début de septennat de Valéry Giscard d’Estaing où, dès les premières semaines, l’Elysée et Matignon s’érigent en autant de forteresses non seulement imprenables mais qui, de surcroît, se ciblent mutuellement. Bien qu’en position théoriquement subalterne, et donc défavorable, Jacques Chirac dispose de cartes importantes puisqu’il est également chef de l’Union des démocrates pour la République, formation politique gaulliste née en 1967 de la fusion de l’Union pour la nouvelle République et de l’Union démocratique du travail.

C’est d’ailleurs précisément l’angle que choisit Olivier Guichard pour l’attaquer. Evoquant « la confusion des responsabilités » de celui qui est à la fois premier-ministre et secrétaire général de l’UDR, il va même jusqu’à parler de « coup de force ». Il est vrai que Matignon se permet de contester l’agenda de l’Elysée en qualifiant « d’annexe » la question de l’élection au suffrage universel du parlement européen et en annonçant, sans pincettes, son opposition à toute réforme du mode scrutin et à la moindre introduction de proportionnelle dans le processus de composition de l’Assemblée nationale.

Olivier Guichard, garde des Sceaux, lors de la séance de rentrée de la Cour de cassation, en 1977. Collection particulière.

Cette crise est en définitive doublement paradoxale. Non seulement la zizanie règne à droite alors qu’elle vient, quelques semaines plus tôt, de remporter la magistrature suprême mais, de surcroit, des alliances assez surnaturelles se composent au gré des circonstances. Ainsi c’est le baron gaulliste Olivier Guichard qui s’en prend au chef du parti gaulliste Jacques Chirac, ce qui en définitive fait le jeu du Président de la République, qui lui n’est pas gaulliste. La suite on la connait. Jacques Chirac ne tarde pas à saborder l’UDR pour créer le RPR puis, la même année, démissionne de Matignon, déclarant ouvertement la guerre à Valéry Giscard d’Estaing. A front renversé, Olivier Guichard, lui, deviendra le garde des sceaux de Raymond Barre.

Erwan LE GALL

 

 

 

 

1 COPPOLANI, René et GARDAIR, Jean-Michel, La France de 1945 à 1976 à travers un choix d’articles du Monde, Paris, Hatier, 1976, p. 70-71.