De Charles de Gaulle à François Hollande : quand le Président part au bout du monde

En s’envolant le 20 février 2016 vers la Polynésie, François Hollande perpétue la tradition des lointains voyages présidentiels1. S’absentant sept jours pour parcourir près de 46 000 kilomètres, il ne parvient toutefois pas à égaler le record de l’un de ces prédécesseurs, Charles de Gaulle. Lorsque ce dernier prend la direction de l’Amérique du Sud en septembre 1964, il ne revient en effet que trois semaines plus tard à Paris ! Il faut dire que les tournées ont été très largement écourtées ces dernières décennies, ce qui oblige les dirigeants à ne rester que furtivement avec leur hôtes. Valéry Giscard d’Estaing ne demeure ainsi que trois heures sur l’île de Wallis le 19 juillet 1979. En outre, le protocole a évolué. Alors que la garde républicaine accompagnait le départ du général de Gaulle au son de La Marseillaise sur le tarmac de l’aéroport, le Premier ministre saluait le Président, pour symboliser la transmission ponctuelle des clés du pays. Aujourd’hui, un tel cérémonial n’est plus d’actualité. Néanmoins, il demeure de nombreuses permanences dans le traitement médiatique de ces voyages présidentiels.

Valéry Giscard d'Estaing, en 1978, lors d'un voyage au Portugal. Collection particulière.

L’organisation logistique de ces longs périples stimule la plume des journalistes. Ainsi, on apprend que François Hollande est contraint en février 2016 d’abandonner son Airbus 330 à Tahiti afin de se rendre avec un appareil plus petit à Wallis-et-Futuna. On découvre également que l’avion permet de remonter le temps puisqu’en « franchissant la ligne du changement de date qui passe entre les deux archipels, le président vivra en effet un second lundi 22 février ». Ces observations ne sont pas sans rappeler que le pilote du « Boeing 707 d’Air France » de Charles de Gaulle voit son portrait diffusé en une du quotidien breton La Liberté du Morbihan le 19 septembre 19642. Ce type d’informations, d’apparence futile, semble pourtant nécessaire afin de satisfaire un lectorat désirant vivre le voyage par procuration. C’est pourquoi le traitement d’un périple présidentiel à l’étranger ne peut échapper aux descriptions touristiques et folkloriques, comme s'ils avaient quelque part pour fonction de dire le monde au peuple. Ainsi, François Hollande ne parvient pas échapper à la diffusion de photographies le représentant avec des colliers de fleurs wallisiens. En 1964, La Liberté du Morbihan ne déroge pas à cette ligne éditoriale. Le quotidien y va de sa description quotidienne – et parfois un brin romantique – des paysages andins. De son côté, Charles de Gaulle est contraint d’accepter les cadeaux officiels, tel ce « coffret à cigarette en or » qui lui est offert à Bogota, et d’autres présents plus locaux comme le révèle le journal télévisé du 18 octobre 1964 :

« De l'Argentine typique, le Président ramènera deux calebasses d'argent ciselé, offertes par Monsieur Ilias, un splendide poney moucheté de noir et le souvenir d'une fête champêtre qui lui fut offerte dans une estancia à la limite de la pampa argentine avec le concours d'authentiques gauchos. »

Enfin, la ferveur populaire est mise en avant. La Liberté du Morbihan insiste en 1964 sur le « spectacle délirant » du Venezuela où « plus d’un million de personnes » acclament le Président, ou encore « l’accueil extraordinaire » reçu en Colombie. Là, c’est bien la popularité de la France, et par extension la fierté nationale, qui est testée, sollicitée. Une fois ces codes dépassés, les journalistes prennent d’ailleurs le temps de décrypter et spéculer sur les motivations politiques de tels voyages. Le 20 septembre 1964, un journaliste de La Liberté du Morbihan relaye les raisons officielles évoquées par l’Élysée :

« Ce que représente ce voyage, un des plus longs, un des plus beaux et des plus importants qu’un président de la République n’ait jamais accompli ? Tout d’abord un succès de prestige personnel pour le général de Gaulle, et aussi pour la France qu’il fera acclamer. »

Si cet objectif est réaffirmé lors du retour du Président le 16 octobre, les journalistes ne sont pas dupes pour autant sur les motivations de C. de Gaulle. L’un d’entre eux affirme :

 « Mais on sait bien qu’en entreprenant ce voyage, le général de Gaulle visait d’autres buts […] essentiellement politiques qui ont leur place dans le grand ensemble que le général de Gaulle s’efforce de bâtir entre les deux blocs URSS et USA. »3

Charles de Gaulle, en 1964, lors d'un voyage au Venezuela. Collection particulière.

En pleine guerre froide, cette interprétation renvoie à la politique d’indépendance nationale entreprise par le général de Gaulle. Reste à savoir si ces préoccupations trouvent encore aujourd’hui grâce auprès des médias français. « Espace de temps de cerveau disponible » oblige, la surface médiatique est de plus en plus réduite et la tentation de se limiter aux belles images folkloriques semble grande. Il n’est à cet égard pas anodin de remarquer qu’en 2016 Europe 1 fait évaluer le bilan carbone du périple de François Hollande, bilan estimé à l’équivalent des émissions de gaz à effet de serre annuelles de 115 Français. Si la question du coût environnemental est posée, tel n’est pas le cas de celle du gain politique d’un tel voyage.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

 

 

 

1 Le parcours de François Hollande est le suivant : Paris, Tahiti, Wallis, Futuna, Tahiti, Pérou, Argentine, Uruguay et Paris.  Sur les voyages présidentiels, se rapporter à Mariot, Nicolas, Bains de foule. Les voyages présidentiels en province, 1888-2002, Paris, Belin, 2006.

2 Les références à La Liberté du Morbihan, sont extraites des éditions du 19 septembre au 16 octobre 1964.

3 « Le général de Gaulle », La Liberté du Morbihan, 16 octobre 1964, p. 16.