L’inauguration d’Euro Disney et la crainte de l’impérialisme américain

Le 12 avril 1992, le parc d’attraction Euro Disney est inauguré en grande pompe à Marne-la-Vallée malgré une grève du RER et une tentative d’attentat1. C’est l’aboutissement d’une longue période de séduction entre le géant américain et les différents gouvernements français. Mais l'ouverture du parc de loisirs ne met pas pour autant un terme aux critiques. En effet, depuis l’annonce de l’accord entre les deux partenaires, les réactions négatives se sont multipliées, certains individus étant convaincus d’assister à une ultime intrusion de l’impérialisme américain qui viendrait achever la perversion des bonnes âmes françaises. La couverture de l’évènement réalisée par Alain Cabon pour Ouest-France est, à cet égard, particulièrement révélatrice.

Carte postale promotionnelle. Collection particulière.

Le 10 avril 1992, le journaliste commence par rappeler la genèse du projet. Pour obtenir la venue du complexe de loisirs – le quatrième parc estampillé Disney après ceux de Californie (1955), Floride (1971) et Tokyo (1983) –, Barcelone et Marne-la-Vallée se livrent une lutte acharnée. Or, ce jeu de séduction a des répercussions importantes puisque, selon Alain Cabon, « la France a déroulé le tapis rouge ». Il explique ainsi que cette dernière « a offert à Disney toutes facilités pour acquérir à bas prix un terrain de 2 000 hectares, grand comme le cinquième de Paris. […] Des avantages fiscaux. Une bretelle d’autoroute […]. Une desserte de RER […] En attendant, pour 1994, la gare TGV ». Soit une dépense totale de « 4 milliards [en francs] de fonds publics » 2. Cet effort financier de l’Etat est immédiatement comparé à celui réalisé quelques années plus tôt pour le parc Astérix (inauguré en 1989) qui, bien que français, « a payé » sa bretelle d’autoroute.

L’auteur semble déplorer qu’en dépit de cet investissement important, le recrutement d’un personnel français à Euro Disney ne soit pas privilégié. Il regrette ainsi « les accents appuyés entendus dans les hôtels ou sur les parterres qui déroulaient les ultimes tapis verts »3. La présence du « petit neveu du grand Walt, que la compagnie sort à bon escient pour dire les origines lointainement françaises du génial tonton, titulaire, – le saviez-vous ? – de la Légion d’Honneur ? » ne change rien à ce regrettable constat4.

Définitivement, l’arrivée en France de Mickey constitue, selon le journaliste, un véritable « choc des cultures : c’est le nouveau monde qui débarque sur le vieux contient. Cinq cents ans après »5. Preuve supplémentaire, les télévisions américaines s’empressent de couvrir l’évènement et NBC, la grande chaine nationale, « interviewe [les responsables états-uniens] comme à la guerre du Golfe, et ils s’expriment en héros assurés », comme si l’Europe assistait à l’arrivée de nouveaux conquistadores 6. Et si l’auteur reconnaît l’efficacité des attractions, il met les lecteurs en garde et leur suggère de prendre « un peu de monnaie quand vous viendrez car oncle Picsou est très fort. Et entraînez-vous à l’anglais. Et au Coca-Cola ! » 7.

Carte postale promotionnelle. Collection particulière.

Cette position n’a, à bien y réfléchir, rien d’étonnant de la part d’un journal classiquement conservateur comme l’est Ouest-France. Pour autant, on remarque combien l’air du temps en ces années 1990 est marqué par la crainte de « l’impérialisme américain ». Alors que Washington apparait, depuis l’effondrement du mur de Berlin, comme l’unique superpuissance mondiale, de surcroît dôtée d’un soft-power sans équivalent, la France se bat pour imposer « l’exception culturelle » dans les accords du GATT, censés harmoniser les pratiques commerciales. Mais à aucun moment il n’est question de défense de « l’identité » française, vocabulaire qui lui n’apparaît dans le discours politique qu’à partir des années 2000.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 Le samedi 11 avril 1992, vers 23 heures, « une explosion a coupé, à hauteur d’homme, un pylône électrique ». L’attentat n’a pas eu d’incidence « en raison des dispositifs de bouclage d’EDF ». Cabon, Alain, « Euro Disney : le rush américain », Ouest-France, 13 avril 1992, p. 6.

2 CABON, Alain, « Euro Disney ouvre dimanche », Ouest-France, 10 avril 1992, p. 6.

3 CABON, Alain, « Euro Disney : le rush américain », Ouest-France, 13 avril 1992, p. 6.

4 Ibid.

5 CABON, Alain, « Euro Disney ouvre dimanche », Ouest-France, 10 avril 1992, p. 6.

6 CABON, Alain, « Euro Disney : le rush américain », Ouest-France, 13 avril 1992, p. 6

7 Ibid.