La fin du blocus de Berlin et le début de nouvelles craintes

« Moment historique pour l'Europe » titre La Liberté du Morbihan le 12 mai 1949 pour annoncer que, dans la nuit, « à 0 heure 1 minute », l'URSS a levé le blocus de Berlin-Ouest. C’est la fin du litige qui oppose depuis près d’un an Moscou aux trois autres puissances d’occupation de l’Allemagne (Etats-Unis, Royaume-Uni et France). Officiellement, Staline conteste l’adoption du Deutsche Mark dans la trizone, décision constituant, selon lui, une violation des accords de Postdam. Dans les faits, le blocus est le résultat de l’escalade des tensions entre les deux blocs depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est l’une des crises majeures de la Guerre froide et l’une des premières déconvenues de la diplomatie soviétique.

Le pont aérien sur l'aéroport berlinois de Tempelhof pendant le blocus. Collection particulière.

Si le soulagement est perceptible dans la presse bretonne, il l’est d’autant plus à Berlin-Ouest. La population savoure la fin de l’isolement et l’éloignement du risque de pénurie. En effet, la catastrophe sanitaire a été évitée de peu grâce au pont aérien établi par les puissances occidentales. Un correspondant relate les premières minutes de cette liberté retrouvée  dans La Liberté du Morbihan du 13 mai :

« A minuit et 1 minute, la barrière a été levée sur le pont qui franchit le canal de Teltow, à la limite du secteur américain de Berlin et, sous le feu des projecteurs des actualités cinématographiques, une colonne de voiture s'est mise en route. […] Plusieurs automobilistes avaient apporté de la wodka (sic) et du gin et voulaient à tout prix trinquer avec le personnel du poste soviétique. Le colonel soviétique Kalinine, qui parlait un Anglais parfait a décliné poliment toutes les offres de fraternisation de ce genre : ‘Je suis très content, dit-il, mais je ne préfère rien boire avant demain matin’. »

Pourtant, derrière ces scènes de liesse parfaitement légitimes, se cachent de véritables inquiétudes. En premier lieu, un journaliste breton rappelle que la situation n'est « encore que provisoire : il y a encore deux Allemagnes, avec deux régimes d'occupation, deux projets de constitution politique, deux monnaies, il y a encore deux villes de Berlin et la dualité de la monnaie n'y sera réduite que par la prochaine conférence des Quatre à Paris » (13 mai). Très clairement, le journaliste projette un avenir distinct pour les deux Allemagnes. Les semaines qui suivent lui donnent raison puisqu’il faudra désormais parler distinctement de République fédérale d’Allemagne et de République démocratique d’Allemagne.

Les observateurs se montrent également inquiets lorsqu’ils relayent les « réserves » émises par les diplomates occidentaux sur les véritables motivations de Staline. Les visées expansionnistes de l’URSS sur l’Europe de l’Ouest sont clairement annoncées dans les colonnes de La Liberté du Morbihan (12 mai) :

« Le but prêté à la Russie par Washington demeure, en effet, à long terme, la domination de l'Europe occidentale. A ce sujet, un diplomate américain autorisé a déclaré : ‘Il est impossible de croire que les Soviets sont prêts à abandonner leur politique d'expansion européenne uniquement pour consolider leurs avantages en Extrême-Orient. L'Europe occidentale représente un potentiel industriel trop important, alors que les ressources de la Chine nécessiteront au moins plusieurs décades avant de pouvoir être exploitées utilement’. »

Affiche de propagande représentant Staline (détail). Collection particulière.

Impossible alors pour le lecteur breton de ne pas craindre une nouvelle guerre. Dans un département comme le Morbihan, et plus encore dans sa partie orientale, traditionnellement conservatrice, on s’imagine parfaitement le ressentiment à l’égard de ces nombreux électeurs de Parti communiste constituant une armée silencieuse que l’on croît prête à agir aux ordres de Moscou. La fin du blocus de Berlin ne constitue donc qu'une infime victoire. Elle est insuffisante pour dissiper les nouvelles menaces qui planent sur l’Europe.

Yves-Marie EVANNO