La presse bretonne et le faux charnier de Timisoara

Le 21 septembre 2016, l’ancienne parlementaire et ministre Christine Boutin annonce sur le réseau social Twitter la mort de Jacques Chirac. La fausse révélation, très vite diffusée et presque aussi rapidement démentie, n’a pas été relayée par les médias sérieux. A bien des reprises, la presse s'est pourtant laissée trahir en diffusant des informations non vérifiées dans l'espoir d'avoir la primauté de l’événement. De la vraie-fausse mort de Jean-Pierre Chevènement à celle de Martin Bouygues, en passant par la diffusion du portrait du cadavre d’Oussama Ben Laden, les exemples sont nombreux. A  une époque où l'information circule presque instantanément, les journalistes sont parfois tentés de diffuser un scoop avant de s'assurer de la fiabilité de leurs sources. Mais accuser internet et les réseaux sociaux serait abusif tant cela reviendrait à considérer que l'erreur était impossible du temps de la bonne vieille presse écrite. Par son ampleur, la découverte du faux charnier de Timisoara, en Roumanie, est très certainement l'un des exemples les plus révélateurs de la diffusion, à grande échelle, de fausses informations.

Carte postale de propagande montrant Nicolae Ceausescu à la chasse. Collection particulière.

A la fin du mois de décembre 1989, la presse suit avec beaucoup d'attention la chute du régime de Nicolae Ceausescu. Une ville concentre l'émotion des Français : Timisoara. Et pour cause, le 20 décembre, La Liberté du Morbihan annonce qu'il s'y déroule un véritable massacre puisque, « selon des témoignages concordants », il y aurait « au moins 400 victimes ». Chaque jour, les communiqués se succèdent, tous plus macabres les uns que les autres. Un journaliste de l'AFP, repris par de nombreux médias dont Le Télégramme (21 décembre 1989) déclare :

« Comment savoir le nombre de morts ? Les chauffeurs de camions qui transportaient des mètres cubes de corps étaient abattus d’une balle dans la nuque par la police secrète pour éliminer tout témoin. »

Le lendemain, le quotidien finistérien évoque une « ville martyre », annonçant qu'il y aurait entre 1 000 et 2 000 victimes. Cette estimation ne cesse de croître pour atteindre « 4 630 » selon un « envoyé spécial » de Libération. Au moment où des milliers de chérubins attendent impatiemment leurs cadeaux, l'annonce de la « centaine d'enfants tués » (Le Télégramme, 21 décembre 1989) constitue sans nul doute un véritable choc émotionnel. Le Télégramme insiste d’ailleurs sur la solidarité des Bretons. Le quotidien s'implique lui-même en s'associant avec TF1 pour lancer une opération humanitaire intitulée « Opération Roumanie » afin de collecter un maximum de nourriture et de médicaments.

Un mois plus tard s'ouvre le procès des « dignitaires du régime de Ceausescu, inculpés de ''complicité de génocide'' », procès que La Liberté du Morbihan (27-28 janvier 1990) n'hésite pas à qualifier de nouveau « Nuremberg ». Alors que l'émotion semble retombée, Le Figaro lance une véritable bombe médiatique. Le quotidien révèle, dans son édition du 30 janvier 1990, que les journalistes ont été dupés. Les corps découverts à Timisoara étaient en réalité des cadavres exhumés d’un cimetière et maquillés pour donner l’illusion d’un massacre.

Extrait du journal de 20 heures d'Antenne 2 du 23 décembre 1989.

Dans un article publié au mois de mars 1990 dans Le Monde diplomatique, Ignacio Ramonet estime que cette découverte constitue sans doute « la plus importante tromperie depuis l’invention de la télévision ». Elle résulterait en partie d'une surenchère constante entre les différents médias, peu soucieux de vérifier leurs sources. Cette rivalité audiovisuelle est constatée dès le 28 décembre 1989 par un journaliste du Télégramme. Ce dernier relaye la plainte des dirigeants de La Cinq qui accusent leurs homologues des chaînes publiques – Antenne 2 et FR3 – de leur interdire d'utiliser les moyens techniques dont disposent l'Ambassade de France à Bucarest. Les responsables de La Cinq évoquent alors « une véritable censure d'une information à caractère dramatique et universel ». Mais si la rivalité audiovisuelle explique peut-être une part de l'emballement médiatique, les journalistes de la presse écrite ont eux aussi joué un rôle important dans ce qui constitue toujours aujourd'hui l'une des plus importantes « tromperies » depuis l'invention des médias.

Yves-Marie EVANNO