La prise du pouvoir par Fidel Castro vue par la presse bretonne (janvier 1959)

Le 1er janvier 1959, face à l’irrésistible avancée de l’armée révolutionnaire, le président cubain Fulgencio Batista quitte précipitamment La Havane. En pleine guerre froide, la prise du pouvoir par Fidel Castro marque le début d’une longue période de rivalités avec les  Etats-Unis. Pourtant, cette victoire trouve un écho relativement mesuré dans la presse bretonne. Il faut dire que cette dernière est particulièrement préoccupée par une riche actualité nationale : l’élection de Charles de Gaulle à l’Elysée, l’entrée en vigueur du marché commun et, plus pragmatiquement, les fêtes de fin d’année.

De gauche à droite, en 1959 : Fidel et Raul Castro, Ernesto Che Guevara. Tirage argentique. Collection particulière.

Le 2 janvier, les journalistes bretons apprennent la fuite du dictateur Fulgencio Batista avec surprise. Si la victoire des révolutionnaires était prévisible, personne ne l’annonçait si rapide. Ouest-France parle alors d’un véritable « coup de théâtre » (Ouest-France, 2 janvier 1959, p. 2). De son côté, La Liberté du Morbihan opte pour le conditionnel en évoquant les « informations officieuses et qui n’ont pas été confirmées » (La Liberté du Morbihan, 2 janvier 1959, p. 1).

Dès le lendemain, les journaux détaillent plus amplement le déroulement des événements cubains. Ouest-France précise ainsi que (Ouest-France, 3 janvier 1959, p. 3)

« la violence des manifestations qui s’étaient déroulées à La Havane depuis 24 heures ne laissait aucun espoir à la junte de se maintenir. En province, les villes tombaient les unes après les autres sans résistance de l’armée régulière au pouvoir. Santiago, deuxième ville du pays, devenait la capitale provisoire et acclamait Fidel Castro, Urrutia et les soldats du 26 juillet [en référence à la révolution du 26 juillet 1953]. »

Le périodique évoque également les répercussions de la révolution cubaine en dehors de l’île. En effet, de nombreuses ambassades sont prises d’assaut à travers le monde, comme à Washington. L’ambassadeur, Nicolás Arroyo, contraint d’écourter ses vacances au ski,  trouve à son retour « ses locaux occupés par des hommes de Fidel Castro ». Le dénouement est bien plus tragique à Caracas puisqu’une « fillette est tuée lors de l’échauffourée » (Ouest-France, 3 janvier 1959, p. 3).

Le traitement de l’information reste malgré tout distancié, se cantonnant bien plus à la description qu’à l’analyse. D’ailleurs, Ouest-France semble davantage impressionné par la tournure hollywoodienne de cette révolution. Il rappelle ainsi les présences de deux acteurs américains lors de l’entrée triomphale de Fidel Castro dans La Havane : Errol Flynn, connu pour son rôle dans Les aventures de Robin des Bois, et George Raft « le héros de Scarface ». Mais surtout, le quotidien insiste sur la présence des « innombrables  photographes et cameramen de cinéma et de télévision qui se sont abattus sur la capitale cubaine » (Ouest-France, 7 janvier 1959, p. 2). Et comme dans tout bon film qui se respecte, il y a une « vedette », et c’est Fidel Castro qui tient le premier rôle aux yeux du monde. C’est en effet ce dernier qui est le principal sujet de tous les articles publiés dans la presse bretonne sur la révolution cubaine. Il relègue alors au second plan le président provisoire Manuel Urrutia. Quant à Ernesto « Che » Guevara, jamais cité en janvier 1959, il est encore loin d’être le symbole qu’il deviendra quelques années plus tard. L’emblème de cette révolution se cantonne alors à la fameuse barbe de Fidel Castro et de ses hommes.

Fidel Castro lors d'un discours, en 1960. Photo de Raul Corrales en carte postale. Collection particulière.

Il faut attendre le 17 janvier 1959 pour que Ouest-France s’interroge sur la portée géopolitique du changement de pouvoir. A la suite des premiers  « échanges de propos grinçants » entre Washington et La Havane, le quotidien interprète le rapport de force  par le prisme de l’économie.  Il précise que (Ouest-France, 17-18 janvier 1959, p. 5)

« les Etats-Unis ont de très gros intérêts à Cuba, notamment dans les sucreries et l’industrie lourde. Or, on sait que c’est la possession des exploitations de cannes à sucre qui a permis aux rebelles d’achever la déroute de Batista. »

Mais Ouest-France reste malgré tout convaincu que la situation devrait s’apaiser rapidement puisque « Cuba a évidement besoin des Américains, clients de ses principales richesses : canne à sucre et tabac ». Probablement préoccupée par une actualité nationale particulièrement riche, la presse bretonne s’intéresse finalement assez peu à la prise de pouvoir de Fidel Castro à Cuba. Elle est encore loin de s’imaginer du rôle que ce dernier s’apprête à jouer dans la guerre froide.

Yves-Marie EVANNO