Le changement d’heure à Molène en 1976

Quand arrive le dernier dimanche d’octobre, la presse – nationale comme locale – ressort l’un de ses plus beaux marronniers : le changement d’heure. Pourtant, au-delà du caractère anecdotique et répétitif du passage de l’heure d’été à l’heure d’hiver – et vice versa –, ce changement est un formidable objet d’histoire des sensibilités. Le reportage de la télévision régionale sur l’île de Molène, le 27 mars 1976, illustre bien la dichotomie dans le rapport au temps entre mondes rural et urbain, entre mondes îlien et continental.

Pour commencer, il faut replacer ce reportage dans son contexte. Le premier changement d’heure en France date du 14 juin 1916. L’heure officielle est alors avancée d’une heure sur celle du méridien de Greenwich. Par la suite, sous l’Occupation, Paris vit à l’heure allemande, soit deux heures d’avance. A la Libération, le Gouvernement provisoire de la République française revient à l’heure d’avant-guerre et fait reculer les horloges d’une heure. En 1975, le président de la République Valéry Giscard d’Estaing souhaite rétablir « l’heure d’été » dans le but d’effectuer des économies d’énergies, puisque la France a été frappée par le choc pétrolier deux ans auparavant. La mesure prend effet le 28 mars 1976. Le pays vit alors avec deux heures d’avance sur le soleil.

Les habitants de Molène, qui utilisaient l’heure du méridien de Greenwich jusqu’en 1970, accueillent la mesure avec scepticisme, voire défiance. Un marin lance à la volée : « C’est encore un truc à Giscard ça ?! » Une autre habitante, restauratrice, affirme que « seul le soleil nous dirige ici, c’est tout ! » Pour ces îliens, c’est le soleil qui dicte leur rapport au temps, qui rythme leur journée. Comme pour ce paysan qui est capable de dire l’heure en observant la position du soleil avec son bras. A écouter les Molénais, cette nouvelle heure officielle ne les concerne pas, puisque les paysans se lèvent avec le soleil, se couchent quand leur travail est terminé et que les marins vivent selon les heures des marées. D’ailleurs, pour la restauratrice interrogée, « nous n’aurons jamais deux heures de retard, c’est vous qui aurez toujours deux heures d’avance ! »

Molène dans les années 70. Carte postale, collection particulière.

Ce reportage est aussi le témoin, au milieu des années 1970, de la fin d’une certaine civilisation rurale en Bretagne. Jusque dans les années 1950-1960, les communautés rurales – a fortiori sur une île – ont pu continuer à vivre presque coupées du siècle. Mais la modernisation à marche forcée (électricité, téléphone, téléviseur, machinisme agricole…) qui s’effectue en deux décennies accroche ces sociétés au rythme de la ville. Alors qu’ils ont toujours vécu en décalage avec le continent, les Molénais risquent désormais d’être « déphasés », selon les mots du reporter. La réponse de la restauratrice : « nous vivons avec le mode de vie que l’on a choisi », résume cette résistance à la modernisation uniformisatrice.

Il reste que les liaisons avec le continent s’effectuent à l’heure légale. C’est pourquoi le maire tient à ce que l’heure d’été prenne effet sur l’île, bien qu’il concède que les habitudes peuvent perdurer dans la vie quotidienne de certains de ses administrés.

Thomas PERRONO