Le jour où les Bretons ont vu la lune

Le 3 février 1966, après de nombreuses tentatives infructueuses, les scientifiques russes parviennent pour la première fois à poser sur la lune un engin d’origine terrestre, la sonde Luna-9. L’évènement est immédiatement relayé dans le monde. C’est un grand pas pour les scientifiques et un énorme succès pour l’URSS face à son rival américain. En effet, c’est un point majeur marqué dans la guerre froide que se livrent dans l'espace les deux grands.

La sonde Luna-9. Crédits: NASA.

Dès l’annonce officielle du succès de l’opération, les terriens prennent conscience qu’ils vivent un évènement amené à faire date. Les journaux bretons ne s’y trompent pas. Le 5 février, La Liberté du Morbihan titre en une : « Un évènement historique. Depuis hier soir, les Russes communiquent avec la Lune »1. La rédaction d’Ouest-France est tout aussi enthousiaste et évoque de son côté l’« extraordinaire exploit de Luna-9 »2. Mais, au-delà des superlatifs, les Bretons découvrent surtout de nouvelles photos de la lune. Si elles ne sont pas les premières à être diffusées, l’exactitude des informations transmises par Luna-9 « bouleversent les données actuelles », pointant dès lors les approximations des clichés antérieurs, principalement ceux réalisés par les Américains.

De manière générale, les quotidiens bretons insistent sur les formidables perspectives qu’une telle réussite offre à la science. La conquête de la lune – et de l’espace – devient en quelque sorte une réalité. Émerveillé, un journaliste d’Ouest-France estime que « chaque jour la science se rapproche de la science-fiction ». L’optimisme est partagé par l’ensemble des journalistes et, selon La Liberté du Morbihan, « ce succès marque une étape nouvelle et essentielle sur la voie menant au premier débarquement d’un équipage humain sur la lune ». Les données acquises – et jalousement gardées – par les scientifiques russes, laisse penser aux observateurs que l’URSS a pris une avance « importante sur les Américains ».

En pleine guerre froide, les tensions internationales transparaissent inévitablement dans les analyses journalistiques. L’exploit russe y est d’autant plus honoré qu’une telle performance n’était prévue par « les Américains au mieux en 1967 » avant que le journaliste d’Ouest-France n’enfonce un peu plus le clou en précisant « plus vraisemblablement en 1968 ». A ce « nouveau succès spatial à l’actif de l’URSS », les Américains répondent avec courtoisie pour ne pas perdre la face. Le 5 février, Ouest-France annonce qu’ils « espèrent – quand même – être les premiers hommes sur la lune ». Mais personne n’y croit… à tort. Trois ans plus tard, Neil Armstrong relègue aux oubliettes l’exploit de Luna-9.

Vue de la lune transmise par la sonde Luna-9. Crédits: NASA.

De Bretagne, les journalistes ne tranchent pas réellement en faveur d’un camp. C’est au contraire l’absence de coopération entre les deux puissances qui est pointée du doigt car elle permettrait de réaliser plus rapidement la colonisation du « septième continent de la Terre » précise Lucien Barnier. Toujours est-il que ce mois de février 1966 est l’occasion pour de nombreux Bretons de découvrir des clichés de la lune. Des vues plus conformes à celles découvertes par les plus jeunes en 1953 lorsque Tintin alunissait en compagnie de ses amis fidèles amis3.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 Pour La Liberté du Morbihan, voir les éditions des 5, 6 et 8 février 1966.

2 Pour Ouest-France, voir les éditions des 4, 5, 6 et 8 février 1966.

3 En 1954 pour la version publiée en album. HERGE, On a marché sur la Lune, Bruxelles, Casterman, 1954.