Les étudiants rennais contre la loi Devaquet

« Rennes 2 la rouge », voici un qualificatif qui colle à l’université implantée dans le quartier de Villejean depuis la fin des années 1960 et qui rejaillit plus largement sur la réputation contestataire de la capitale bretonne. Il est porté comme un étendard militant par les générations successives d’étudiants prompts à se mobiliser contre les projets gouvernementaux. C’est ainsi qu’à la fin de l’année 1986, les étudiants rennais, soutenus par les lycéens de la ville, se mettent en grève contre le projet de loi porté par Alain Devaquet, ministre délégué chargé de l’Enseignement supérieur.

A gauche, aux côtés de Jacques Toubon, Alain Devaquet. Collection particulière.

A ce moment-là, la France découvre la cohabitation depuis environ 6 mois. A la suite des élections législatives du 16 mars, qui a vu la défaite de la gauche au pouvoir, Jacques Chirac est nommé à Matignon par le président François Mitterrand. Le nouveau gouvernement de droite entend mener une politique libérale, influencé sans aucun doute par le thatchérisme britannique et le reaganisme américain. Sur le plan de l’enseignement supérieur, le projet édicté par le Premier ministre, dans son  discours de politique générale devant l’Assemblée nationale le 9 avril, est de réformer l’université en revenant notamment sur la loi Savaray, votée deux ans auparavant. Le but est de donner plus d’autonomie aux universités, en leurs permettant notamment de sélectionner les étudiants dès l’entrée en première année et de fixer librement leurs frais d’inscription.

La colère gronde dans les amphis, ainsi que dans les salles de classe des lycées. La réaction des syndicats étudiants ne se fait pas attendre, à la suite notamment de l’UNEF-ID. Le 22 novembre, des délégués étudiants de toute la France réunis à la Sorbonne votent pour la grève générale. Les manifestations de jeunes prennent rapidement de l’ampleur dans les jours qui suivent. Le 28 novembre, le journal régional de FR3 Bretagne fait le point sur la situation :

« Plusieurs milliers d’étudiants et de lycéens se sont de nouveau rassemblés ce matin dans les principales villes bretonnes. Défilés et grèves dans les lycées  à Lorient, Brest, Saint-Brieuc, Lannion, Morlaix, Josselin et Pontivy. »

Dans la capitale régionale, la mobilisation est également très forte. Surfant sur le succès des manifestations des jours précédant, les 2 000 lycéens de Bréquigny ont voté en « AG » pour la grève, malgré un problème majeur qui se pose à eux, et qui est exposée par Béatrice, une élève de Première : « le problème […] c’est les cours, […] rattraper deux jours de cours ce n’est pas évident ». Mais elle oppose à ces désagréments l’angoisse de l’avenir si la réforme est votée : « Peut-être le bac, ils ne l’auront pas cette année, mais l’année prochaine s’ils ne peuvent pas rentrer en fac, ça revient exactement au même, voire pire ». Et d’ajouter un peu plus loin que « si le projet Devaquet passe, après ils vont continuer. Ils vont s’amuser à supprimer les bacs techniques, supprimer ceci, supprimer cela […] Si ça, ça passe on est foutus ». De manière plus terre-à-terre, dans certains lycées rennais, notamment à Laennec, certains élèves s’inquiètent « d’intimidations des proviseurs et de menaces d’exclusion ».

La faculté des lettres de Rennes à Villejean, au début des années 1980. Collection particulière.

Mais ces craintes n’y font rien et en « cinq jours, la contestation [prend] une ampleur imprévue ». Le comité de grève des lycéens à peine formé, avec le soutien des étudiants de Rennes 2, regroupe un grand nombre de jeunes « sans aucun passé militant ». Le journaliste relève que ce sont « souvent les filles qui sont à l’initiative pour mener les défilés et les débats ». Des défilés fournis sillonnent les rues de la ville en direction de la place de la Mairie. Là-bas, la convergence avec les étudiants s’opère autour d’une « AG de plein air ». Pour faire tenir la mobilisation, les jeunes souhaitent désormais « approfondir les débats et élaborer des propositions constructives ». Ainsi, Edouard Decote, étudiant du comité de grève de Villejean, explique qu’ils tentent de « former des groupes de réflexions pour élaborer un projet de loi alternatif ». Mais au final, aucun débat constructif entre deux projets n’a lieu. Quelques jours plus tard, le 6 décembre, Malik Oussekine, étudiant franco-algérien de l’École supérieure des professions immobilières (ESPI), meurt sous les coups de policiers voltigeurs. Le ministre Alain Devaquet démissionne dans la foulée et Jacques Chirac retire le projet de loi le 8 décembre.

Thomas PERRONO