Les multiples vies du Blosne

Etrange destin que celui du Blosne. Petit cours d’eau prenant sa source à Domloup, commune située au sud-est de Rennes, il se jette 13 kilomètres plus loin dans la Vilaine, non loin du Moulin d’Apigné. Réel, il n’en est pas moins invisible, recouvert par une urbanisation sans cesse plus dense. Or si ce nom est familier aux oreilles des Rennais, c’est que c’est précisément celui de ce petit cours d’eau enfoui sous le béton qui est choisi pour dénommer le grand ensemble du sud de la ville, l’ancienne ZUP sud. Une telle anecdote raconte bien le livre qu’André Sauvage et toute son équipe consacrent à ce quartier de Rennes. Ce bel ouvrage retrace en effet en trois parties astucieusement définies l’histoire du Blosne.

Au départ, le Blosne est un espace pas vraiment urbanisé au sud de la gare de Rennes, essentiellement occupé par des cheminots, puis, après la Seconde Guerre mondiale, par des baraquements provisoires. C’est l’époque où la paroisse Sainte-Thérèse, aujourd’hui au cœur de la métropole brétillienne, compte 22 fermes, la plupart bâties en schiste. Bréquigny est alors un château orné d’un domaine de plusieurs dizaines d’hectares.

Viennent ensuite les trente glorieuses et l’heure de l’expansion, synonyme de dilemme pour les élus rennais. Ceux-ci font en effet face à un développement urbain spontané qui, bien que témoin du dynamisme de la cité, n’en manque pas moins de cohérence architecturale.

Refusant de céder au charme des zones pavillonnaires reproduites à l’infini, la ville fait alors le pari d’une troisième voie incarnée ici par un grand ensemble déclaré zone d’urbanisation prioritaire.

Mais un quartier ne se limite pas à des réalisations architecturales. Là est d’ailleurs le mérite de cet ouvrage que de le rappeler en laissant la parole aux habitants du Blosne, lui donnant ainsi vies. Il faut ici insister sur le pluriel car entre immigration portugaise, marocaine puis kurde, c’est une véritable diversité qui se dévoile, sans fards.

Le métro: un élément venu restructurer l'urbanisme du Blosne, lui donnant assurément une autre vie. Wikicommons.

Là est d’ailleurs sans doute la grande réussite de ce livre. Trop souvent, ces zones urbaines sont regardées avec un regard condescendant, comme si leur création récente les condamnait. Or, dans un pays où l’histoire non seulement jouit d’un grand prestige mais parait, de surcroît, de nature à adouber l’objet qui en est pourvu, faire l’histoire de ce Blosne est un acte doublement militant. Car au-delà d’une démarche qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler la Public history américaine, cet ouvrage est avant tout un beau livre d’histoire qui, assurément, comptera dans les bibliographies rennaises et bretonnes.

Erwan LE GALL

 

SAUVAGE, André, Le Blosne, Du grand ensemble au vivre ensemble, Rennes, Presses universitaires de rennes, 2013.