Les Trans-Musicales : vitrine de la scène rock à Rennes

« Strasbourg a ses saucisses, Le Mans ses rillettes et Rennes ses rockers »1, voilà un slogan qui envoie du pâté ! Et il est peu de dire qu’à Rennes, à la fin des années 1970 et début des années 1980, on le clame haut et fort : dans le rock tout est bon ! A cette époque, loin de l’image sage d’une ville de province endormie, la scène rock rennaise est prolifique et influence largement la new wave française.

Février 1980, le groupe rennais Marquis de Sade fait la couverture du numéro 4 du magazine Actuel, qui proclame fièrement et non sans second degré que « les jeunes gens modernes aiment leur maman ». Collection particulière.

C’est Marquis de Sade, créé en 1977 qui fait figure de pionnier, avec ses leaders Frank Darcel et Philippe Pascal. Philippe Maujard, le chanteur d’Ubik, venu à «  Rennes […] puisque tout le monde parle de Rennes », avoue en 1985 que « [Marquis de Sade] était un des premiers groupes français, qui avait un potentiel international » ; bien que celui-ci se sépare dès 1981. En 1982, le disquaire Hervé Bordier voit en Marquis de Sade « une dynamique » qui a entraîné la création d’une « floraison de groupes »2. Pour le journaliste d’Antenne 2 :

« 50 groupes rennais [sont] recensés. Evidemment, tous ne sont pas au top niveau mais il y en a une bonne dizaine qui tiennent la route. »

Parmi ceux-ci, on peut mentionner : Les Nus, Octobre, Sax Pustuls, Ubik, Kalashnikov de Dominic Sonic, Marc Seberg ; mais également Niagara et Etienne Daho qui connaissent une notoriété plus large. La scène rock rennaise est portée par la légalisation des radios locales privées en 1981, sur lesquelles « le rock s'est engouffré dans le créneau et occupe l'antenne du matin jusqu'au soir ». Des magazines relaient également le dynamisme de la création musicale : Tam-Tam et Migrennes.

Plus encore, ce sont les Trans-Musicales qui propulsent le rock rennais au niveau national, voire international. Ces « rencontres » musicales naissent en 1979 dans le foisonnement associatif rennais, à l’initiative de l’association Terrapin qui cherche à « renflouer » ses caisses en organisant un concert dans la salle de la Cité. Douze groupes rennais et 1 800 personnes participent à la première édition qui se déroule les 14 et 15 juin. Alors qu’à l’origine les Trans-Musicales ne sont pas pensées pour devenir un rendez-vous régulier, les organisateurs cèdent à l’enthousiasme engendré par la première édition et remettent ça en décembre 1980. Pourtant, à écouter Hervé Bordier, l’un des fondateurs des « Trans » :

« ce n'est ni un festival ni un tremplin. On s'en défend parce que je ne crois pas que ça aura cette fonction là, dans la mesure où on y présente que des gens totalement inconnus. »

Toutefois, au fur et à mesure des éditions, la réputation des « Trans » grandit. Le cercle des groupes à l’affiche dépasse rapidement les cadres rennais et breton. Nombreux sont les chanteurs et les groupes français qui se font connaître à Rennes : les Négresses vertes, Noir Désir en 1986, la Mano Negra en 1988, Daft Punk en 1995 etc. Les « Trans » rayonnent également à l’international, puisqu’elles voient les premiers pas en Europe de Lenny Kravitz en 1989 et plus encore de Nirvana en 1991.

Le groupe de musique électronique français Justice aux Trans-Musicales, en 2006. Wikicommons.

Au fil des deux décennies 1980-1990, les Trans-Musicales sont ainsi devenues « la » scène rock des futurs groupes à succès. Néanmoins, peu à peu, elles acquièrent un statut que rejetait Hervé Bordier en 1982 : « ça ne sera pas, enfin je ne l'espère jamais, une institution ». En effet, bien que la scène rock rennaise conserve toujours actuellement un dynamisme certain, il faut bien reconnaître qu’une mémorialisation, voire une patrimonialisation, de ces années pionnières est à l’œuvre ces dernières années. C’est d’abord la création d’un site internet en 2010 qui se nomme « Mémoires de Trans »3 ; puis le projet « Rennes 1981 » qui a vu notamment la reformation du groupe Kalashnikov lors d’un grand concert à l’Ubu en 2011 ; mais également la publication de Rok, une sorte d’encyclopédie de la « musique électrifiée en Bretagne », à l’initiative de Frank Darcel, le fondateur de Marquis de Sade.4 La boucle est bouclée…

Thomas PERRONO

 

 

 

1 INA – L’Ouest en mémoire. « Le rock à Rennes », journal de 20h d’Antenne 2, 27 décembre 1985.

2 INA – L’Ouest en mémoire. « Les Trans-Musicales de Rennes », Rennes soir FR3 Bretagne, 15 décembre 1982.

3 http://www.memoires-de-trans.com/accueil/

4 DARCEL Frank et POLARD Olivier, Rok de 1960 à nos jours - 50 ans de musique électrifiée en Bretagne, Chantepie, Editions de Juillet, 2010, 2 tomes.