Quand la télévision débarquait dans les salles de classe

Dans les salles de classe d’aujourd’hui, même les tableaux noirs ont cédé leur place à des tableaux numériques. Preuve s’il en est de la place primordiale qu’occupe désormais les nouveaux outils de l’information et de la communication – expression qui paraît bien galvaudée aux oreilles des digital natives… – dans l’enseignement scolaire. Si la démocratisation des ordinateurs personnels et le déploiement d’internet a considérablement accéléré le phénomène, celui-ci n’est pourtant pas nouveau. Pour preuve, dès 1965, des élèves du « C.E.G. » (collège d’enseignement général) de Janzé, en Ille-et-Vilaine, suivent une partie de leurs cours par l’intermédiaire d’une télévision installée dans la classe, comme en témoigne un reportage diffusé sur le petit écran de Bretagne actualités1.

Le CEG de Janzé. Carte postale. Collection particulière.

Devant de studieux élèves de 5e, c’est une femme aux allures de speakerine qui donne une leçon de mathématiques sur le cercle. Le professeur n’a pas disparu pour autant : il est assis au fond de la salle de classe et prend des notes. La pédagogie utilisée par la « télé-professeure » est avant tout ludique. Que pensent les élèves de cette nouvelle façon de faire cours ? A la question du journaliste de savoir si une leçon transmise par l’intermédiaire de la télévision, c’est se sentir « un peu comme à la maison », l’élève interrogé répond par l’affirmative, puisqu’il aime regarder le petit écran chez lui. Au passage, un telle affirmation témoigne assurément d’une évolution sociétale puisque le taux d’équipement des ménages en téléviseurs connaît une croissance exponentielle au cours de la décennie 1960 : de 25% en 1962, à 62% six ans plus tard2. Néanmoins, on notera que si l’élève apprécie le support du cours, cela ne l’empêche pas de trouver que la leçon « est un peu compliquée ».

Et les enseignants, qu’en pensent-ils ? Se sentent-ils déstabilisés, comme dépossédés de leur savoir ? A écouter le professeur de mathématiques, cela ne semble pas être le cas. Au contraire, l’enseignant trouve

« qu’en 6e et 5e, l’intérêt des émissions est évident. [Les télévisions] apportent grâce à l’animation quelque chose de concret aux enfants, [qui] en retirent un très gros avantage. »

Pour autant, il parait plus sceptique sur cette méthode d’enseignement des mathématiques dans les classes supérieures, puisque

« nous assistons à un passage du concret à l’abstrait. Ces émissions sont [alors] beaucoup plus difficiles à saisir. Et bien souvent ces émissions passent au dessus des enfants. »

Le directeur du collège a également une position prudente vis-à-vis « des méthodes audiovisuelles : radio, télévision, magnétophone » :

« Je crois que la télévision apporte quelque chose de très valable et très intéressant dans certaines matières d’enseignements : par exemple en histoire, c’est un fait ; en géographie, les documents sont remarquables ; les sciences d’observations bien sûr, les dessins animés apportent quelque chose de très valable. Maintenant en mathématiques, je suis beaucoup plus sceptique. »

Ses craintes portent également sur l’absence de dialogue entre le professeur filmé et les élèves :

« Il s’adresse ex cathedra. Il n’a pas de réaction des élèves devant lui et évidemment si un mot n’est pas compris, il ne peut pas le savoir. »

Collection particulière.

Au final, à travers cette expérience de « télé-enseignement » au sein du collège de Janzé en 1965, on comprend bien que l’on se situe aux prémices d’un bouleversement de l’école, en tant qu’institution et dans la manière dont sont transmis les savoirs. En effet, on est alors en pleine vague de massification scolaire avec l’arrivée dans le secondaire des enfants du baby-boom. La démocratisation de l’enseignement est également en plein développement, et ces nouvelles méthodes pédagogiques en sont un des vecteurs. On voit ainsi se dessiner la place qui va être réservée à l’audiovisuel dans les salles de cours, et ce pour plusieurs décennies. Les documentaires sont avant tout utilisés pour les sciences sociales (histoire et géographie) ainsi que pour les sciences de l’homme et de la terre, mais également pour l’apprentissage des langues étrangères. Pour autant, la place du professeur n’est pas remise en cause. Il demeure le détenteur du savoir et c’est lui qui le transmet. La vidéo n’est qu’un support de son enseignement. Un paradigme qui est peut-être en train de changer avec le bouleversement d’internet, qui nous permet désormais d’accéder au savoir partout et tout le temps. Pour le meilleur ?

Thomas PERRONO

 

 

 

 

 

 

1 INA. « Télé-enseignement à Janzé », Bretagne actualités, ORTF, 23/04/1965, en ligne.

2 « L’équipement des Français en biens durables fin 1968 », Economie et statistique, n°3, Juillet-Août 1969, p. 65-68.