Retour à Plozévet dix ans après les enquêtes

De 1961 à 1966, Plozévet est au centre de l’une des plus ambitieuses enquêtes jamais réalisées en sciences humaines et sociales. C’est sous l’impulsion de la Délégation générale à la recherche scientifique et technique que « des brigades de chercheurs parisiens : sociologues, ethnographes, historiens, biologistes » investissent la commune bigoudène où « ils interrogent, fouillent, filment, prennent mensurations sur mensurations ».1 La vocation interdisciplinaire du travail est également le moyen de confronter les façons de faire de ces différentes sciences.

La Mairie de Plozévet. Carte postale. Collection particulière.

En effet, alors que les années 1960 voient la modernisation rapide de la France, il apparaît important pour la communauté scientifique d’étudier un monde « traditionnel » qui s’efface pour de bon, afin de capter les transformations à l’œuvre dans une micro-société rurale. Plozévet, commune d’environ 3 500 habitants du Sud-Finistère, est choisie parce qu’elle a l’avantage d’être à la fois agricole et maritime. De plus, la luxation congénitale de la hanche y est supérieure à la moyenne nationale, ce qui est interprété comme le signe d’un faible brassage génétique. De ces enquêtes, il ressort une quarantaine de rapports et d’articles scientifiques, ainsi que cinq films ethnographiques portant sur Le Bourg, Les Pêcheurs, Les Agriculteurs, Les Gestes du repas et Le Costume. Mais c’est surtout le travail du sociologue Edgar Morin, à partir de 1965, qui a le plus retenu l’attention. L’enquête publiée sous le titre Commune de France, la métamorphose de Plodémet (sic) dépasse largement le seule cadre de la communauté scientifique et laisse une trace durable dans les mémoires plozévétiennes.2

C’est ainsi que dix ans plus tard, des journalistes de FR3 Bretagne reviennent à la rencontre des habitants de Plozévet pour tenter de comprendre si ces enquêtes leur ont  « appris quelque chose » sur eux-mêmes ; et si cela les a transformés, à force d’être « interrogés sur leurs habitudes, leur conception de la vie, du monde… » Tout d’abord, un habitant reconnaît que « les Plozévétiens se sont laissés pénétrer très facilement par les chercheurs ». C’est plutôt après coup, quand les films ont été diffusés et que les ouvrages sont sortis, que des réserves, des critiques, voire des rancœurs voient le jour. Il est notamment reproché aux cinéastes et photographes d’avoir voulu capter des scènes d’une vie paysanne déjà révolue :

« Ils sont allé dans les maisons, ils ont photographié un tas de choses, ils ont filmé une personne préparant la soupe. Ces gens-là ont fait du tape-à-l’œil ! Par exemple pour faire un repas de bouillie ils ont mis des couverts d'argent sur la table ! »

Les habitants y ont perçu une volonté de les renvoyer dans une sorte d’arriération.

Le livre d’Edgar Morin a également alimenté les conversations familiales et de comptoirs. Alors qu’il est jugé globalement comme fidèle « au caractère et à la personnalité bretonne et bigoudène en particulier et celle de Plozévet surtout » ; des critiques se font jour. Tout d’abord, les Plozévétiens reconnaissent très largement ceux qui se cachent derrière les pseudonymes utilisés par le sociologue. La peur du « qu’en-dira-t-on » est vive, si bien que certaines personnes regrettent après coup leur participation  aux enquêtes. Ensuite, certains reprochent les caricatures faciles :

« Moi, il m'a dit que j'étais anticlérical, [mais] moi je n'ai jamais été anticlérical. […] Et déjà, il nous traitait de bolcheviks, [alors que] nous ne sommes pas plus bolcheviks que les autres, nous. Parce que nous sommes dans un pays ici que, quoi... On est tous communistes, quoi, plus ou moins. »

Carte postale. Collection particulière.

Au final, enthousiaste ou mitigé, le souvenir des enquêtes menées au début des années 1960 à Plozévet est particulièrement vivace, au point d’être devenues elles-mêmes un sujet de réflexion sur son impact sur la population locale. A la fin des années 1990, un documentaire est parti sur les traces des habitants qui ont vécu cette aventure scientifique.3 Un projet baptisé Plozarch est également à l’œuvre avec pour ambition de « compléter, actualiser et éventuellement corriger » les données produites dans les années 1960.4 Plozévet n’a donc pas fini d’être un objet d’étude…

Thomas PERRONO

 

1 INA – L’Ouest en mémoire. « Vivre à Plozévet », Une façon de vivre, FR3, 27 octobre 1976.

2  MORIN Edgar, Commune de France, la métamorphose de Plodémet, Paris, Fayard, 1967. Notons que le nom de Plozévet a été volontairement modifié.

3 NATHAN Ariel, Retour à Plozévet, 1999, produit par Vivement lundi ! et le Musée de Bretagne.

4 Le carnet d’enquête Hypotheses.org du projet Plozarch – Plozévet en quête d’enquêtes est disponible en ligne.