Une imprimerie de patrons-modèles dans la Bretagne des années 1960

  Alors que la France devrait connaître un nouveau record pour le tirage d’un journal – le numéro 1178 de Charlie Hebdo est annoncé à 5 millions d’exemplaires –, il est intéressant de se pencher sur le passé florissant de cette industrie de l’imprimerie. En 1968, l’antenne régionale de l’ORTF filme deux reportages au sein de l’imprimerie des éditions Montouris : un premier sur l’impression du magasine Le Petit Echo de la Mode, un second sur la fabrique de patrons-modèles. Cette imprimerie est située à Châtelaudren dans les Côtes-du-Nord, une petite cité marchande d’à peine plus de 1.000 habitants, entourée de communes rurales encore largement agricoles.

L’imprimerie du Petit Echo de la Mode à Châtelaudren, située aux bords de l’étang, au centre de cette vue aérienne. Carte postale. Collection particulière.

Cette localisation atypique, dans la Bretagne rurale,  d’une industrie d’envergure nationale remonte à la fin de la Première Guerre mondiale. Au début des années 1920, la Société anonyme du Petit Echo de la Mode, qui édite la revue éponyme, mais aussi Pierrot, Lisette, Mon Ouvrage et Rustica, se trouve à l’étroit dans ses locaux qui bordent le parc Montsouris du XIVe arrondissement parisien. Une délocalisation en province se profile, mais au lieu d’envisager une installation dans le Nord ou l’Est de la France, où l’outil industriel a été ravagé par la guerre ; les dirigeants de la société d’édition regardent vers les Côtes-du-Nord, terres d’élections de Charles-Albert de Penanster, l’un des administrateurs. Une vieille papeterie, située sur la queue de l’étang de Châtelaudren, est alors transformée en imprimerie.

En 1968, l’imprimerie de l’Echo de la Mode – titre raccourci en 1955 – emploie désormais 150 salariés. En plus de l’impression de nombreuses revues et publicités, ce qui fait l’originalité de cette usine est la production de patrons de mode, puisqu’elle réalise 50% de la production française. Il s’agit alors de proposer aux femmes « de suivre la mode en confectionnant elles-mêmes leurs toilettes ». Les modélistes de la maison d’édition propose chaque saison – été, automne-hiver et printemps – environ 450 modèles basés sur « les tendances de la haute couture parisienne ».

Monsieur Mercier, le directeur de l’usine, insiste sur l’importance de la maîtrise des techniques modernes d’impression, notamment la photogravure en couleur. Puisque la main d’œuvre est en grande partie locale,  un effort important de formation interne a donc dû être réalisé. Mais cette France gaullienne, à l’industrie triomphante, est aussi une société profondément genrée. On remarque dans les deux reportages que des cloisons sociales, économiques et mentales séparent les hommes et les femmes. Au sein de la direction, c’est un homme qui occupe la position la plus haute, que les journalistes appellent « Monsieur le directeur », alors que l’on ne nous dit pas quelle position occupe la femme qui semble diriger le département création. Même constat à la production : les hommes sont aux machines, ils occupent les emplois qualifiés ; alors que les femmes sont « les petites mains » qui plient environ 2.000 patrons-modèles quotidiennement. Si ces « plieuses qui ont une grande dextérité » n’osent peu critiquer leurs conditions de travail devant la caméra, une d’entre-elles avoue que le salaire mensuel de 50.000 francs (anciens !) n’est pas cher payé pour ce travail « très dur ». Enfin, cette production de patrons-modèles, à destination des « ménagères », s’appuie sur les compétences en couture apprises par les écolières lors des cours de travaux ménagers.

Carte postale. Collection particulière.

Nous sommes en 1968, ce modèle de société est en plein bouleversement. Dans les années 1970 et plus encore au cours de la décennie suivante, les femmes commencent à s’émanciper. Les enseignes de prêt-à-porter répondent désormais aux besoins vestimentaires. L’édition de patrons-modèles connaît alors de nombreuses restructurations au niveau des titres de presse proposés : en 1976, l’Echo de la Mode s’allie avec Femmes d’aujourd’hui ; puis en 1984, c’est la Mode de Paris qui est absorbé. C’est cette même année que l’imprimerie de Châtelaudren ferme ses portes, usée par des vagues successives de licenciements.

Thomas PERRONO