La conquête de la Manche

C’est sur une « sensationnelle prouesse » qui aujourd’hui semble bien anecdotique mais qu’il convient au contraire de replacer dans son contexte que titre L’Ouest-Eclair le 26 juillet 1909 : Louis Blériot vient de traverser la Manche ! A Brest, La Dépêche n’est pas en reste et salue une « prouesse historique ». Il est vrai que cinq ans seulement avant la Première Guerre mondiale et les prodigieux As, les aéros semblent alors bien balbutiants… et c’est bien ces temps pionniers que résume la vie du vainqueur de la Manche.

Né à Cambrai en 1872, Louis Blériot est un ingénieur diplômé de l’école Centrale et un entrepreneur, fondateur d’une compagnie portant son nom et produisant notamment des phares à acétylène pour l’industrie automobile, elle aussi alors balbutiante. C’est en 1901 grâce à Clément Ader qu’il découvre les « plus lourds que l’air ». Conquis, il crée quatre ans plus tard son propre atelier de fabrication d’aéroplanes. Mais les débuts sont difficiles et marqués par une série d’échecs : appareils retournés au sol par le vent, crash au décollage… En novembre 1906, Louis Blériot doit ainsi s’incliner devant le pionnier franco-brésilien Alberto Santos-Dumont pour le record du vol le plus long : 220 mètres au-dessus du parc de Bagatelle à Paris, trajet effectué en 21 secondes. L’année suivante, après avoir parcouru 300 mètres et atteint l’altitude de 25 mètres, Blériot se crashe à la suite d’une panne de moteur, heureusement sans dommage si ce n’est pour l’appareil.

Carte postale. Collection particulière.

C’est finalement en 1909 avec la conception du Blériot XI que Louis Blériot franchit un pas décisif lui permettant de conquérir les sommets. D’une envergure de 8,50 m pour un poids de 450kg, cet appareil pouvant atteindre les 110 km/heure est bien entendu très rustique mais suffisamment fiable pour que la porte des airs s’ouvre définitivement. Le 13 juillet 1909, Blériot parcourt ainsi en vol 41 kilomètres en 56 minutes… une distance incroyable si l’on songe au record de Santos-Dumont seulement vieux de trois ans !

Indissociable de ces démarches pionnières, l’esprit de compétition se développe et amène les pilotes à relever les défis les plus fous. C’est ainsi que Louis Blériot relève le gant du Daily Mail, journal britannique ayant promis 25 000 francs à celui qui le premier parviendra à franchir la Manche. Louis Blériot décolle donc de Calais le 25 juillet 1909 à 4 heures 35 du matin pour atterrir 31 minutes plus tard dans une prairie de Douvres, devant une foule immense constituée de … quatre personnes ! Un vol plus compliqué qu’il n’y parait puisque ce jour-là le vent souffle fort sur les côtes britanniques. Revenu sur le plancher des vaches, le héros déclare d’ailleurs à la presse :

« Une fois au large la stabilité était parfaite ; j’avais l’impression devant l’immensité que je n’avançais pas. Quelle longue demi-heure ! Enfin, les falaises anglaises sont en vue. Mais je ne voyais toujours pas Douvres où je devais atterrir pour remplir les conditions du prix. A ce moment, j’éprouve de violents soubresauts. Le vent s’est levé très violemment, et je suis la côte anglaise pendant six kilomètres. Mais voici Douvres. Je passe au-dessus du port et de l’escadre ; je découvre alors une petite crique, et j’aperçois le drapeau français qu’agite mon ami René Fontaine. Je descends brusquement et, dans l’atterrissage, je fausse mon hélice. Peu importe ! J’ai traversé la Manche. »

Carte postale. Collection particulière.

Avec cet exploit, Louis Blériot  devient célèbre dans le monde entier, de même que son appareil qui connait un incroyable succès commercial puisque sa production ne cesse qu’en 1931 ! C’est d’ailleurs une évocation de cette traversée de la Manche qui figure longtemps sur le papier à en-tête de la société Blériot-Aéronautique, entreprise qui fièrement se targue d’être le « fournisseur des ministères de la guerre & de la marine & des gouvernements étrangers ». C’est là aussi une facette essentielle de l’histoire de l’aviation : l’épopée commerciale !

Erwan LE GALL