Dans les prisons d’Angleterre

« Je suis né le 4 avril 1781 à Béziers », affirme Josse Beauregard, le héros de la série éponyme due à Mosdi et Majo1. Pourquoi alors s’y intéresser sur un site dédié à l’histoire de la Bretagne contemporaine sera-t-on en droit de s’interroger ?

Une histoire nécessaire pour comprendre certains ressorts de l’époque contemporaine en Bretagne.

On pourra arguer – certes un peu rapidement – que l’officier de la marine de la Révolution et de l’Empire dit avoir rejoint, à 12 ans, un cousin « capitaine de vaisseau à Brest », son père, ancien colonel d’un régiment de l’armée royale, ayant été emprisonné après l’exécution de Louis XVI. Plus fondamentalement, l’album intitulé De Charybde en Sylla raconte une histoire qui fut celle de nombre de marins bretons de cette période : la capture en mer par les Anglais, avant de rejoindre les « prisons d’Angleterre », un cautionnement pour la plupart des officiers, une « prison de terre » ou un ponton pour les autres. « Les pontons ont laissé des traces » concluait en effet, en 1882, près de 70 ans après la dernière guerre franco-britannique, Paul Sébillot d’une enquête qu’il avait menée sur le littoral du Penthièvre, en pays de Matignon. Le folkloriste écrivait notamment avoir « connu d’anciens marins dont le rêve était de manger, avant de mourir, le cœur d’un Anglais tout cru », l’un, sur son lit de mort, pensant « faire à son confesseur une grande concession en déclarant qu’il se contenterait de le manger cuit »2. Sans doute y avait-il là quelque exagération, une certaine folklorisation de l’anglophobie de la part de Sébillot, une exagération qu’il convient cependant de ne pas surestimer : des recherches dans les registres de l’inscription maritime du bureau de Saint-Malo pour les années de la Révolution et de l’Empire montrent que 30 à 40 % des marins de cette portion de littoral ont connu au moins une fois les prisons d’Angleterre, parfois comme simple mousse3. La BD de Mosdi et Majo parle donc sur les côtes de Bretagne...

Elle parle mais, plus encore, elle parle bien. Certes, ce n’est pas le premier album à évoquer cette question : Le ponton, second volume de la série Les passagers du vent, de Bourgeon, avait constitué en ce domaine un fameux – et redoutable – précédent. L’angle choisi est ici différent, mais le lecteur (et, en passant, l’historien…) est convaincu à la fois par le dessin et le scénario.

Une captivité bien différente de celle que l’on connait au XXe siècle.

Capturé aux Indes, comme le sont d’ailleurs certains corsaires malouins de ces années de la Révolution et de l’Empire, à l’instar du fameux Guillaume Angenard, Josse Beauregard, le héros de BD, est ramené en Angleterre où il connait la captivité sur parole dans un cautionnement. Des relations avec « les petites Anglaises » aux bagarres de rue en raison des provocations de certains des sujets de Sa Majesté, en passant par les relations tendues avec le commissaire aux prisonniers, en général un notable local que nombre de récits d’anciens captifs décrivent comme corrompu, tout trahit l’important travail de documentation des auteurs. La « prison de terre » de Dartmoor, dans laquelle échoue Beauregard, émergeant des brumes (p. 26), est lugubre à souhait ; les « spectres » affamés qui hantent les lieux, ces « rafalés » qui ont tout perdu ou presque au jeu (p. 28), sont rendus de manière convaincante. Le rôle joué dans les loisirs de ces prisonniers par le théâtre, la multiplication des tentatives d’évasion, parfois avec la complicité de sujets britanniques, rémunérés ou pas, rappellent les meilleures lectures sur le sujet sans que la précision de la reconstitution historique ne vienne alourdir le moins du monde ce qui est et doit rester une fiction. On dévore l’album d’une traite.

Bref, une belle réussite qui convaincra les amateurs de BD comme ceux qui s’intéressent à la Bretagne de la période impériale… en attendant la suite annoncée, consacrée quant à elle aux pontons de Cadix.  

Yann LAGADEC

MOSDI, Thomas et MAJO, Josse Beauregard. De Charybde en Scylla, Grenoble, Glénat, 2012.

 

1 MOSDI, Thomas et MAJO, Josse Beauregard. De Charybde en Scylla, Grenoble, Glénat, 2012. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront dorénavant indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

2 SEBILLOT, Paul, Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne, Paris, Maisonneuve et Larose, 1882, t. 1, p. 374 et SEBILLOT, Paul, Légendes locales de la Haute-Bretagne, Nantes, Société des bibliophiles bretons, 1900, p. 147-148.

3 Sur ces questions, voir LAGADEC, Yann , LE PRAT, Youenn et PERREON, Stéphane, « Un aspect des relations trans-Manche : les échanges de prisonniers de guerre depuis la Bretagne pendant la Seconde guerre de Cent Ans (1689-1815) », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 2013, p. 257-284 ou Lagadec, Yann, « Un médecin de Gahard parmi les prisonniers de guerre en Angleterre : René-Hyacinthe-Joseph Bertin, voyageur prisonnier pendant la Révolution (1799) », Bulletin et mémoires de la Société archéologique et historique d’Ille-et-Vilaine, 2012,  p. 225-259.