L’Arabe du futur est Breton

Les amateurs de BD connaissaient déjà les aventures rennaises de Pascal Brutal, le personnage créé par Riad Sattouf. Leur inscription dans un futur mal défini – Rennes y est la capitale d’une région largement autonome… et Sattouf lui-même dirige la Syrie ! – fait que l’historien, au contraire de l’amateur de BD, n’y trouvera peut-être qu’un intérêt limité. Tel n’est pas le cas du dernier album de l’auteur qui a passé une partie de son enfance en Bretagne. L’Arabe du futur. Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984) permet au lecteur de (re-)découvrir de l’intérieur, avec le regard d’un enfant, la vie en Lybie puis en Syrie au tournant des années 1980 et, accessoirement, en passant, aux abords du cap Fréhel, dans les Côtes-du-Nord d’alors.

Soyons franc : sans doute n’est-ce pas le chapitre II du livre, consacré aux quelques mois passés sur les bords de la Manche, qui nous en apprend le plus, même s’il permet de saisir ce que put être, pour une part, la situation d’un universitaire syrien plongé dans ce microcosme maritimo-rural. Ce chapitre – qui, accessoirement, justifie la publication de ce bref compte-rendu sur ce site consacré à la Bretagne, et ce n’est pas là le moindre de ses intérêts… –  s’insère surtout dans un récit plus large, celui qui conduit le jeune Riad et sa famille dans la Libye de Kadhafi tout d’abord, puis dans la Syrie d’Hafez el Assad.

Le caractère ubuesque de la société rêvée par le colonel libyen, avec ses maisons ou appartements sans clés, que l’on n’est donc pas sûr de retrouver sans nouveaux occupants le soir si l’on n’a pris garde d’y laisser quelqu’un, avec ses distributions de nourriture fort peu variées, ressort bien plus nettement ici qu’à travers d’autres descriptions qui avaient pu en être faites. Sattouf rend parfaitement compte aussi des décalages croissants entre certaines strates de la société syrienne du début des années 1980 et le monde qui se construit autour. Les anecdotes graphiques pullulent, riches de sens, révélant l’antisémitisme viscéral de certains, jusque dans les petits soldats avec lesquels jouent les enfants, la place de la propagande en faveur du régime – la Syrie n’a de ce point de vue rien à envier à la Libye –, la violence de la répression aussi, ainsi que l’illustrent ces pendus en place publique laissés plusieurs jours suspendus au bout de la corde qui a provoqué leur mort, à la vue de tous. « Comme ça, les gens se tiennent tranquilles et obéissent » explique le père du jeune Riad dans la BD.

On est loin, ici, de la vision sans doute plus empathique d’un Jacques Ferrandez, dans ses superbes Carnets d’Orient. Voyage en Syrie. L’un comme l’autre cependant nous ramènent, indirectement, à une brûlante actualité : l’écart entre leurs Syrie respectives et celle que nous donnent à saisir les images qui nous en parviennent semble aujourd’hui  abyssal.

Yann LAGADEC

 

SATTOUF, Riad, L’Arabe du futur. Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984), Paris, Allary éditions, 2014.