Peu convaincant KZ Dora

C’est à Dora que François Le Gall, jeune Breton de 22 ans, meurt le 23 mars 1944. Il avait quitté le camp de Compiègne-Royallieu deux mois auparavant, transitant par Buchenwald tout d’abord avant de rejoindre le Konzentrationlager de Dora. En cela, le parcours de ce Finistérien est très proche de celui de dizaines d’autres résistants bretons, déportés en Allemagne en 1943-1944 : six Fougerais, dont Marcel Hamard, Joseph Huchet et Marcel Larmor, arrêtés mi-juillet 1943 à la suite d’un attentat à la grenade contre la Feldgendarmerie, vivent par exemple la même tragique expérience.

Un dessin sobre mais malheureusement très imprécis.

L’album signé par Robin Walter aux éditions Des ronds dans l’O, KZ Dora, a donc a priori de quoi parler1, tant la petite histoire qui y est transcrite, celle de deux amis déportés, Emile et Paul, qui se lient d’amitiés à Compiègne, croisée à celles de gardiens SS d’une part, d’ingénieurs en charge du développement des armes secrètes allemandes à Peenemünde d’autre part, a tout pour rejoindre la grande. La publication dans le même volume, préfacé par Stéphane Hessel, lui-même déporté à Buchenwald, et qui s’évade cependant lors d’un transfert de Dora – qu’il connut donc – à Bergen-Belsen, du témoignage de Pierre Walter, grand-père de l’auteur, qui l’inspira grandement, on s’en doute, offre d’ailleurs une indéniable plus-value à cet album dont la couverture, alliant sobriété et violence implicite, est particulièrement forte.

Malheureusement, ce témoignage de Pierre Walter apparait, au final, comme le point fort du livre, ce qui pose problème pour un album… de BD avant tout.  Le dessin et le scénario ne tiennent en effet guère leurs promesses. Les dialogues des jeunes résistants français, dans leurs dimensions trop « pédagogiques », sonnent tout aussi faux que ceux des SS qui ponctuent chacun de leurs échanges de rires que l’on n’imagine sadiques. Quant au dessin, l’on peine à reconnaître et identifier les différents personnages d’une planche voire d’une case à l’autre. Surtout, l’incapacité de l’auteur à dessiner avec un semblant de réalisme, même stylisé, les uniformes allemands conduits à décrédibiliser la plupart des pages mettant en scène les gardiens de Dora : l’on ne sait trop, parfois, si l’on a affaire à des SS ou à l’on ne sait quels représentants d’une milice sortie de Star Trek ou d’un quelconque – mauvais – film d’anticipation.

L'une incohérences les plus marquantes de l'album: les protagonistes parlent de génocide alors que le terme, inventé en 1944 par le juriste Raphael Lemkin, n'arrive que plus tardivement dans le vocabulaire courant.

Le sujet méritait mieux, à n’en pas douter. Là où Florent Silloray, dans Les carnets de Roger, nous convainquait – d’ailleurs plus que Tardi lui-même dans Moi, René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB – de l’utilité de la BD pour rendre compte d’une expérience familiale de la guerre, qu’il s’agisse de celle d’un père ou d’un grand-père, Robin Walter déçoit grandement ici.

L’histoire et, peut-être plus encore, la mémoire ne gagnent malheureusement pas grand-chose à la lecture de cet album.

Yann LAGADEC

 

WALTER, Robin, KZ Dora. L’intégrale, Vincennes, Des ronds dans l’O éditions, 2015.

 

1 WALTER, Robin, KZ Dora. L’intégrale, Vincennes, Des ronds dans l’O éditions, 2015.