Rêver d’un nouveau monde

Evoqué en 1963, interrompu dans les années 1970 avant d’être relancé en l’an 2000, le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes a déchaîné les passions durant de nombreuses décennies et ce, jusqu’à son abandon le 17 janvier 2018. A ce titre, on peut raisonnablement affirmer que, par son ampleur médiatique, la défense du site a marqué l’histoire récente de la Bretagne. Sujette à de nombreux fantasmes et autres critiques, la désormais célèbre « Zone à défendre » est le sujet central de La ZAD. C’est plus grand que nous, la nouvelle bande dessinée de Thomas Azuélos et Simon Rochepeau publiée aux éditions Futuropolis¹.

Des forces de l'orde quasi robotisées par le dessin.

C’est justement pour dépasser « ce que racontent les journalistes » que les deux auteurs ont souhaité aller directement à la rencontre des zadistes². Mais plutôt que d’en faire un énième documentaire, les deux hommes ont opté pour l’écriture d’une histoire oscillant entre réalité et fiction. C’était, selon eux, le seul moyen de réaliser une « fresque collective » permettant de saisir l’ensemble des « enjeux politiques et humains » de la ZAD. Qui plus est, recourir à la fiction leur permettait de respecter le souhait des protagonistes qui, dans leur majorité, préféraient conserver leur anonymat.

Dès les premières pages (p. 5-32), les auteurs nous plongent dans le démantèlement de la ZAD ordonnée par le gouvernement Ayrault en novembre 2012. La violence qui en ressort rappelle inévitablement les témoignages recueillis à l’époque. Les zadistes n’hésitaient pas à comparer leurs affrontements avec les CRS à de véritables scènes de « guerre »³. Les auteurs mettent en abîme la rupture profonde qui sépare les personnages principaux et l’Etat qu’ils qualifient « [d’]autoritaire » (p. 40). Cette dichotomie rythme d’ailleurs l’intégralité du volume puisqu’elle perdure au-delà l’abandon du projet, les héros déclarant désormais vouloir poursuivre le combat de façon à continuer « d’inventer un monde nouveau » (p. 204).

Malgré un parti pris évident, les auteurs se refusent de verser dans une description manichéenne de la lutte. Ils cherchent au contraire à présenter les zadistes dans ce qui les unit et ce qui les oppose. Thomas Azuélos et Simon Rochepeau parviennent à nous faire découvrir un large panel de personnages qui se livrent à de réelles luttes d’influence. Entre Max, l’anarchiste partisan de la violence, Diony, l’insupportable profiteur, Katy, l’écologiste, ou encore Yann, le naturaliste, il y a de bien des divergences. Et puis, dans la ZAD, il y a également les agriculteurs qui résident sur les lieux depuis de nombreuses années et qui défendent une terre bien plus qu’un mode de vie. Les désaccords entre ces différents personnages sont nombreux, notamment au sujet de l’utilisation des pesticides, et les antagonismes se manifestent par des actes violents comme lorsque le matériel des agriculteurs est détérioré (le tracteur, p. 74 et la voiture, p. 146). L’assemblée générale, organisée à la fin de l’ouvrage, met parfaitement en scène ces rivalités où, dans un brouhaha complet, les insultes fusent sur fond de machisme ambiant (p. 155-163)….

Quelques équipements emblématiques de la ZAD: sweat à capuche et masque à gaz.

Ce faisant, Thomas Azuélos et Simon Rochepeau livrent un formidable témoignage sur la vie au sein de la ZAD entre 2012 et 2018. Si la bande dessinée doit, bien évidemment, être étudiée comme une œuvre de fiction, elle s’avère néanmoins un objet précieux pour les chercheurs qui s’intéressent à Notre-Dame-des-Landes. C’est en effet un album à valeur de témoignage qui nous est proposé par Futuropolis. Nous ne pouvons donc, pour toutes ces raisons, qu’en conseiller la lecture.  

Yves-Marie EVANNO

AZUELOS, Thomas et ROCHEPEAU, Simon, La ZAD. C’est plus grand que nous, Paris, Futuropolis, 2019.

¹ AZUELOS, Thomas et ROCHEPEAU, Simon, La ZAD. C’est plus grand que nous, Paris, Futuropolis, 2019. Afin de ne pas surcharger inutilement l’appareil critique, les références à cet ouvrage seront indiquées dans le corps de texte, entre parenthèses.

² Dossier de presse accompagnant la sortie de la bande dessinée, février 2019.

³ « Notre-Dame-des-Landes : ‘‘C’est la guerre ici’’ », nouvelobs.com, 23 novembre 2012, en ligne.