L’affaire Redureau ou l’horrible meurtre du Troppmann breton ?

Le Landreau, paisible commune de 1 600 âmes située entre Nantes et Cholet, est restée tristement célèbre pour avoir été le théâtre de l’un des pires crimes du XXe siècle. Le 1er octobre 1913, au petit matin, les habitants du village de Bas-Briacé sont alertés par les hurlements d’un enfant. Il s’agit de Pierre Mabit, tout juste âgé de 4 ans, et dont le père est propriétaire d’une ferme. En pénétrant dans la demeure familiale, les voisins découvrent sept cadavres qu’ils identifient rapidement comme étant les parents du jeune garçon, sa grand-mère, ses deux sœurs, son frère et une jeune domestique. La scène du crime est difficilement soutenable, les victimes ayant toutes été égorgées, presque décapitées.

Carte postale. Collection particulière.

Très vite alertés, les gendarmes ne tardent pas à rejoindre la ferme. Leurs soupçons portent rapidement sur le domestique employé par la famille Mabit, Marcel Redureau. Ce dernier est retrouvé dans la matinée et, sans chercher à se défendre, avoue « cyniquement qu’il était l’auteur du septuple crime »1.

Tout au long de la journée, les habitants des environs se réunissent dans le village pour tenter de comprendre ce qui s’est réellement passé. Un correspondant du Petit journal raconte ainsi être obligé de

« fendre absolument la foule qui entoure la maison tragique pour y parvenir. Les gendarmes retiennent les curieux à distance. »2

Un tel meurtre attire également une dizaine de journalistes qui parviennent à « [s’]entretenir avec l’assassin de la famille Mabit, pendant que le parquet procédait aux constatations d’usage »3.

Le lendemain, les Français découvrent avec horreur les détails du « plus effroyable » crime enregistré en France depuis 60 ans selon Le Gaulois4. De nombreux journaux dressent alors un parallèle avec la célèbre affaire Troppmann, ce

« mécanicien, [qui] empoissonna le nommé Kinck, mécanicien comme lui. Troppmann attira ensuite dans un champ à Pantin, la veuve de Kinck et ses six enfants, puis les assassina. »5

L’Ouest-Eclair parle même de « Troppmann breton » pour désigner le jeune meurtrier6.

Il est indéniable que ce genre d’affaire, si elle suscite la peur et le dégoût, n’en demeure pas moins une formidable occasion de vendre du papier. Le traitement médiatique est immédiat, sensationnel, et se soucie peu des résultats de l’enquête de police qui vient juste de débuter. L’Ouest-Eclair décrit pourtant avec une implacable précision le forfait et insiste sur l’immoralité d’un meurtre commis sur une femme enceinte, une vieillarde et trois jeunes enfants âgés de 8 à 2 ans. Le quotidien ajoute également que, sans aucune compassion, Marcel Redureau aurait déclaré que « s’il avait pensé au dernier enfant, il l’aurait tué comme les autres ».

Carte postale. Collection particulière.

Cette affaire, aussi horrible soit-elle, interpelle sur les méthodes utilisées par la presse.  En comparant Marcel Redureau à Jean-Baptiste Troppmann, elles conduisent à des conclusions aussi hâtives qu’inexactes. En effet, à la différence de l’Alsacien, le jeune domestique n’est qu’un jeune adolescent de 15 ans, n’ayant jamais été accusé de violence auparavant. Mais surtout, il ne s’agit pas d’un crime dicté par la cupidité mais bien d’un acte totalement désintéressé ayant pour point de départ une simple dispute. C’est d’ailleurs parce qu’elle  semble incompréhensible, que la réaction du Marcel Redureau suscite autant d’intérêt de la part de nombreux écrivains. C’est le cas d’André Gide qui revient sur cette affaire en 1930 dans la collection  « Ne jugez pas » de Gallimard7. Sans chercher à disculper le criminel, l’écrivain français tente d’élucider certaines inexactitudes, dans le but de comprendre comment un si jeune homme a pu commettre un pareil crime. Il soulève alors les nombreuses incohérences du traitement médiatique de l’affaire.

Quant à Marcel Redureau, il est déclaré coupable par la cour d’assises de Nantes le 3 mars 1914. Il échappe toutefois à la guillotine – contrairement à Jean-Baptiste Troppmann – en raison de son âge. Condamné à 20 ans de prison, il meurt finalement des suites de la tuberculose en 1916.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 « Un Troppman (sic) de Quinze ans », L’Ouest-Eclair, 2 octobre 1913, p. 1.

2 « Un crime à la Troppmann », Le  Petit journal, 2 octobre 1913, p. 1.

3 « Un jeune émule de Troppmann. Sept personnes égorgées par un gamin de quinze ans », Le Petit Parisien, 2 octobre 1913, p. 1.

4 « Effroyable boucherie », Le Gaulois, 2 octobre 1913, p. 1.

5 « Un Troppman (sic) de Quinze ans », L’Ouest-Eclair, 2 octobre 1913, p. 1. La référence est également utilisée dans Le Petit journal, Le Gaulois, Le Petit Parisien et La Lanterne.

6 « L’horrible tragédie du Landreau », L’Ouest-Eclair, 3 octobre 1913, p. 1.

7 GIDE, André, L'affaire Redureau, Paris, Gallimard, 1930.