La naissance d’une commune : Keryado

Depuis la fin du XXe siècle, les communes françaises ont tendance à se regrouper au sein de communautés, voire tout simplement à fusionner. On comprend dès lors que la séparation d’une commune en deux entités distinctes deviene extrêmement rare, à la différence de ce qui se pratiquait au début du siècle. A titre d’exemple, entre 1901 et 1955, neuf communes voient le jour dans le Morbihan1. A chaque fois, cette « indépendance » intervient à la suite d’un processus long et complexe, comme en témoigne la création de la commune de Keryado en 1901.

Carte postale. Collection particulière.

A la fin du XIXe siècle, Keryado est un paisible quartier de Ploemeur. Progressivement, les relations entre les Keryadins et les habitants du bourg se dégradent. L’éloignement du quartier en est la principale raison. Et pour cause, les investissements entrepris par la mairie concernent prioritairement le centre et délaissent la périphérie. Or Keryado n’est plus vraiment un village rural, mais bien un deuxième bourg. On y recense plus de 4 000 âmes qui vivent de plus en plus sous l’influence de Lorient. Sociologiquement, Keryado est d’ailleurs majoritairement peuplé d’artisans et de retraités de la marine, alors que les 8 800 habitants de Ploemeur et de ses environs sont davantage tournés vers les métiers agricoles.

Il existe donc dans cet espace deux populations dont les aspirations sont diamétralement différentes, comme le laissent d’ailleurs entendre les résultats des élections législatives de 1898. Alors que le bureau du bourg de Ploemeur vote à 64% pour le candidat soutenu par la presse conservatrice, Eugène Flornoy, 79% des électeurs de Keryado soutiennent le radical-socialiste Paul Guieysse2. C’est finalement le sénateur Alfred Thuillier qui résume le mieux la situation : « Bref, des divergences de vues fréquentes entre la section de Kéryado et la commune de Ploemeur ont amené la population à penser qu'une séparation était indispensable. »3

Si le sénateur de la Seine s’intéresse aux affaires morbihannaises, c’est parce qu’il est nommé rapporteur du projet de loi relatif à l’érection de Keryado en commune. La discussion au Palais du Luxembourg est l’aboutissement d’un long chemin. Déjà, en 1884, un projet de rattachement à Lorient avait été envisagé, en vain4. En 1896, une pétition relance le débat auprès du conseil municipal de Ploemeur. Cette fois, tous les partis sont unanimes et les élus votent le principe d’une séparation. L’affaire est bouclée rapidement puisqu’elle reçoit l’aval du Conseil général, puis fait l’objet d’un projet de loi immédiatement adopté par l’Assemblée nationale.

Le sort des Keryadins se trouve alors entre les mains des sénateurs. Mais alors que les membres de la Chambre haute s’apprêtent à voter, Gustave de Lamarzelle réclame la parole au nom du maire de Ploemeur, en dépit de la rivalité politique qui anime les deux hommes5. Il rapporte que les Morbihannais viennent seulement de se rendre compte que le projet de loi prévoit un découpage qui n’est pas conforme aux souhaits et aux intérêts des habitants. L’administration a en effet décidé d’octroyer une parcelle supplémentaire à Keryado de façon à ce que les limites de la nouvelle commune correspondent précisément à la section cadastrale existante. La logique est ici économique puisqu’elle évite une refonte du cadastre, dont le coût incomberait à la jeune commune. Et si le conseil municipal de Ploemeur se dit prêt à prendre en charge l’intégralité de la dépense, ce n’est pas du goût de l’administration qui maintient sa position.

Carte postale. Collection particulière.

Désabusé, Gustave de Lamarzelle déclare que les habitants

« sont meilleurs juges de leurs intérêts que vous et moi. […]  Ils connaissent, encore une fois, leurs affaires mieux que personne et notre devoir est d'écouter leurs vœux. »6

Mais rien n’y fait. Rejeter le projet retarderait encore davantage l’érection de la commune. Les sénateurs adoptent la loi en l’état. Qu’importe, Keryado est née.

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 Keryado en 1901, Le Croisty en 1903, Lanester en 1909, Larmor-Baden en 1924, Larmor-Plage en 1927, Le Cours en 1932, Le Bono en 1947, Sainte-Anne-d’Auray en 1950 et Kernascléden en 1955.

2 « Résultat des élections », La République du Morbihan, supplément du 8 mai 1898, p. 1.

3 Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Sénat, 28 mars 1901, p. 602.

4 « L’annexion d’une partie de Ploemeur et de Caudan à Lorient », Le Morbihannais, 31 décembre 1884, p. 3. 

5 Gustave de Lamarzelle cède en effet son siège de député à Eugène Le Coupanec lors des législatives en 1893.

6 Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Sénat, 28 mars 1901, p. 603.