Les Mathurins et les inondations

Aujourd’hui, en cas de catastrophe naturelle telle qu’incendie de forêt, glissement de terrain ou inondation, il n’est pas rare de faire appel aux militaires. L’Armée reste en effet un important gisement de bras qui, en de telles circonstances, se révèle indispensable. Mais tel est également le cas en janvier 1910 lors des inondations qui frappent Paris, au moment de la crue, que l’on dit du siècle, de la Seine. Bien entendu, il ne nous appartient pas dans ces lignes de revenir sur cet évènement, par ailleurs bien connu. Pour mémoire, rappelons juste que la crue est à son maximum à la fin du mois de janvier 1910 et qu’à ce moment le zouave du pont de l’Alma a de l’eau jusqu’aux épaules ! En revanche, ce qui nous intéresse est le traitement qui est fait de l’action des quelques dizaines de fusiliers-marins envoyés dans le cadre de cette catastrophe par le préfet-maritime de Lorient sur ordre du Ministre de l’Intérieur.

Carte postale. Collection particulière.

Il est assez difficile de se faire une idée précise du nombre de ces militaires et de leur action dans le cadre de ces inondations. Dans son édition du 28 janvier, L’Ouest-Eclair évoque le chiffre de 88 volontaires dont un bon nombre de fusiliers-marins qui, entre autres, paraissent affectés dans le secteur du pont Saint-Michel, de l’île de la Cité et du boulevard de La Tour Maubourg. Mais cette histoire reste, selon toute vraisemblance, encore en grande partie à écrire.

Il est toutefois assez frappant de mesurer l’écart entre l’action de ces hommes – nécessairement modeste bien qu’hautement méritante, puisqu’après tout ils ne sont même pas une centaine et confrontés à une gigantesque catastrophe naturelle – et son traitement médiatique par deux quotidiens, l’un régional, l’autre national. Dans son édition du 28 janvier, L’Ouest-Eclair nous apprend que 40 seulement de ces fusiliers-marins sont originaires de la péninsule armoricaine, soit moins de la moitié des effectifs. Or, il est intéressant de remarquer que l’image qui rapidement s’impose est celle du fusilier-marin breton. C’est ainsi que le quotidien rennais affirme le 4 février que « les marins de Lorient se sont conduits en braves » et ont « conquis la population », texte repris pour partie d’un article du Matin qui n’hésite pas, dans son édition du 3 février, à dire en première page la gloire des « braves Mathurins ».

Très hagiographique, ce propos se distingue du reste de la presse parisienne qui ne semble pas encore emportée par l’image du fusilier-marin breton.  Tel est ainsi le cas du Figaro qui, dans son édition du 2 février, publie une série de portraits d’individus s’étant particulièrement distingué lors des inondations. Si le premier d’entre eux est celui du capitaine de frégate Charles Monnet commandant le « détachement de marins affectés aux opérations de sauvetage », c’est bien pour rappeler qu’« enfant de Paris, [il] avait eu dès son plus jeune âge la vocation de se faire marin ». Et si le Petit parisien s’intéresse au second-maître Pahic du détachement de fusiliers-marins envoyé à Paris, c’est pour mieux se demander à la suite de sa disparition s’il n’a pas été « tué par des Apaches ».

Carte postale. Collection particulière.

Du point de vue des représentations, les inondations de l’hiver 1910 qui frappent Paris mettent donc en exergue l’incontestable esprit de clocher qui frappe L’Ouest-Eclair au moment d’évoquer les fusiliers-marins. Loin d’être tous bretons, ils n’ont, à défaut d’avoir « conquis la population » (comment le pourraient-ils d’ailleurs en n’étant même pas cent ?), eu que les honneurs de la première page d’un quotidien national, ce qui est déjà très bien. D’ailleurs, il y a sans doute lieu de se demander dans quelle mesure ce n’est pas à partir de cet article que se fixe au moins pour partie, l’image sympathique et rassurante du fusilier-marin breton dans l’imaginaire parisien. En effet, en histoire comme en bien d’autres domaines, les générations spontanées n’existent que très rarement. Et lorsqu’on connait l’importante médiatisation qui entoure la brigade des fusiliers-marins de Ronarc’h dès l’été 1914, on est en droit de se demander si l’article du Matin ne constitue pas, au final, un formidable bassin d’incubation pour l’image du fusilier-marin breton.

Erwan LE GALL