Remplacer l’essence par l’alcool en tant que carburant

Et si les voitures roulaient à l’alcool plutôt qu’avec de l’essence ? C’est la question que pose en substance une « chronique scientifique » du journal L’Ouest-Eclair, dans son édition du 21 septembre 1908. La recherche d’un carburant alternatif pourrait nous apparaître comme une bizarrerie à une époque où l’automobile ne relève pas de la consommation de masse, mais est au contraire un objet de luxe et de distinction sociale. Pourtant, un certain nombre d’arguments utilisés semblent nous être tout à fait contemporains.

En panne d'essence? Collection particulière.

Rappelons tout d’abord que s’il nous est encore difficile aujourd’hui de dissocier l’automobile des carburants issus du pétrole, ça n’était pas du tout le cas aux temps pionniers, à la fin du XIXe et au début du XXe siècles. Les premiers véhicules sont alors propulsés par des énergies motrices multiples : la vapeur, le gaz et même l’électricité comme avec la voiture présentée par Gustave Trouvé lors de l’Exposition internationale d’électricité à Paris en 1881. Mais très rapidement, ce sont les « moteurs à explosion » alimentés avec des carburants issus du pétrole qui se développe le plus. Au point qu’en 1908, « l’automobile seule consomme annuellement près de 2 000 000 d’hectolitres d’essence ». Une consommation « sans cesse croissante » entretenue par la courbe de exponentielle des ventes  au cours de cette première décennie du siècle : alors qu’il n’y a qu’à peine plus d’un millier de véhicules en circulation en France en 1900, on en dénombre plus de 50 000 en 1910.1

Pour faire face à ce nouvel enjeu, le journaliste du quotidien breton est clair : « la nécessité d’un autre carburant s’impose. » D’après lui, l’alternative énergétique n’est même pas à inventer : « ce carburant existe déjà depuis dix ans. Il a fait ses preuves sur les routes de France et de l’étranger, dans les courses [automobiles] de Paris-Rouen, Paris-Roubaix, Paris-Berlin […] » En effet, entre 1899 et 1908, quatre courses nommées « Critérium de l'alcool » sont organisées en France, afin de promouvoir l’alcool en tant que carburant pour « moteur à explosion ». Pourtant celui-ci n’est pas épargné par les critiques : « on a dit que les soupapes s’oxydaient, que le graissage se faisait mal, que la carburation était irrégulière ». A cela, le journaliste répond par l’innovation : « l’alcool carburé » qui a subi une adjonction « d’un carbure d’hydrogène quelconque », et qui permet l’augmentation de « son pouvoir éclairant ou calorifique ». Ce carburant constitué de « 50% d’alcool dénaturé à 90° et 50% de benzol » a également fait ses preuves à la Compagnie générale de Paris, puisque ses « autobus » – des autocars Schneider de type H – roulent grâce à lui. D’un point de vue économique, cette compagnie des Omnibus évalue également « le bénéfice réalisé […] à plus de 200 000 francs par an ! »

Au-delà de ces aspects techniques et financiers, le journaliste de L’Ouest-Eclair met en avant deux autres arguments pour plaider en faveur de l’utilisation de l’alcool en tant que carburant. Il y a tout d’abord celui de l’indépendance énergétique vis-à-vis des pays producteurs de pétrole, puisque « [l’essence] est un produit étranger [alors que l’alcool] est un produit national ». Ensuite, le second argument est celui du soutien à l’agriculture française, qui trouverait de nouvelles sources de revenus dans cette production d’alcool, tout en permettant de maitriser au niveau national la chaîne industrielle de production de ce carburant.

Carte postale. Collection particulière.

En dehors de l’actuel argument environnemental, il faut avouer que tout ceci rejoint, par bien des aspects, la promotion contemporaine qui est faite au profit des véhicules électriques ou des « agro-carburants » comme le bioéthanol. D’ailleurs ce dernier n’est rien d’autre qu’un carburant à base d’alcool… Au final, comme le dit le slogan resté célèbre lors du choc pétrolier de 1973 : « en France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées » et on sait recycler celles qui sont vieilles d’un siècle !

Thomas PERRONO

 

 

1 BERTHIER Jean, Véhicules et routes, éd. Techniques de l’ingénieur, 1991, en ligne.