Vichy et le bombardement de Rennes

L’édition du 9 mars 1943 du quotidien collaborationniste Le Matin est particulièrement intéressante. Deux encarts en « une », discrets mais significatifs,  retiennent l’attention. En haut à gauche, le journal indique que « Dimanche et Lundi la Luftwaffe a durement bombardé Londres » tandis qu’en bas de cette même page, il est simplement mentionné, sans plus de précisions, que « l’aviation américaine bombarde une ville de l’Ouest », faisant 33 morts et de nombreux blessés.

Sur l'actuelle place général De Gaulle, devant le Liberté, le 8 mars 1943. WikiRennes.

Cette ville, c’est Rennes.  Nous ne reviendrons pas sur l’histoire de ce bombardement, bien connue. En revanche, il est intéressant de se pencher sur l’exploitation médiatique dans un but de propagande qui en est faite par Vichy, afin de rallier à sa cause la population bretonne, et plus largement encore française.

On imagine ainsi sans peine que c’est pour maintenir le moral de son lectorat que la rédaction du Matin tait le nom de Rennes.

L’édition du lendemain du Matin ne donne pas plus de renseignements sur la ville victime mais renouvelle les attaques contre « les Anglo-américains [qui] s’acharnent sur la France » et annonce des obsèques nationales pour les « 250 morts ». L’édition du 12 mars 1943 est pour sa part beaucoup plus explicite, titrant « Toute la Bretagne s’incline à Rennes devant les victimes des assassins américains ». Le propos est relayé par une citation de Pierre Cathala, natif de Montfort-sur-Meu et alors Ministre de l’économie et des finances : « Ce sont des victimes de la plus lâche agression dont nous déplorons la perte. Notre devoir est de nous unir derrière le Maréchal ». On voit donc comment les bombardements alliés sont un moyen de ressouder l’opinion contre les Britanniques et les Américains mais également derrière la figure de Philippe Pétain.

Capture d'écran du site permettant de visionner le reportage que les actualités filmées du 19 mars 1943 consacrent au bombardement de Rennes.

C’est la même stratégie qui est employée dans le reportage diffusé à partir du 19 mars 1943 sur les écrans cinématographiques français à l’occasion des obsèques du bombardement de Rennes. Provenant des actualités de l’époque, dont on rappelle qu’elles sont contrôlées par les autorités de Vichy et l’occupant, ce film est aujourd’hui visible sur le site de l’Ouest en mémoire. D’un grand intérêt, cette source rappelle combien la parole, écrite, scandée ou encore filmée, peut se muer en arme de guerre. Presse et cinéma permettent en effet de découvrir comment Vichy exploite à son profit les victimes du bombardement de Rennes, afin de tenter de détourner les yeux de la population de la Résistance et du général de Gaulle.

Erwan LE GALL