Le centenaire à l'école

L’Association des professeurs d’histoire et de géographie et la Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale organisaient samedi dernier, 13 avril, à Paris, une journée d’étude intitulée « 2014, le centenaire de la Première Guerre mondiale à l’école ». Marc Jean, directeur des Archives municipales de Saint-Malo  y était et nous rend compte de cette manifestation de très haut niveau.

Deux éléments principaux nous paraissent devoir être retenus. Tout d'abord, contrairement à la ce l'on peut lire sous la plume d'adeptes du « french bashing », non la France n'est pas en retard dans cette préparation du centenaire. De nombreux projets partout sur le territoire, et en Bretagne notamment, en témoignent. Ensuite, on ne peut qu'être frappé par la liste des écueils pédagogique à éviter dressés par le professeur Antoins Prost. S'ils attestent du dynamisme de la recherche historique en terme de production de savoir, ils interrogent nécessairement quant à leur transmission et leur réception. Puisse ce centenaire y remédier efficacement.

 

Nous avons été accueillis dans l'amphithéâtre  du lycée Louis le Grand par Messieurs Hubert Tison,  secrétaire général de l’Association des professeurs d'histoire et de géographie et Joseph Zimet, directeur général de la mission du centenaire.

"Une jeune Lorraine soigne des blessés français. Des Allemands aperçoivent le groupe; ils achèvent les blessés et tuent la jeune fille. Bel exemple d'humanité boche!" Image patriotique distribuée en "bon point" à l'école pendant la Première Guerre mondiale. Collection privée.

Joseph Zimet rappelle la création du GIP il y a plus d’un an et la mise en place du maillage territorial, tant au niveau des préfectures que des rectorats. Chaque préfet et recteur a pour mission de fédérer les énergies dans son département et de faire remonter les projets structurants à la Mission du centenaire chargée de compiler un catalogue nationale des manifestations les plus emblématiques. Aujourd’hui, la mission s’appuie sur un conseil scientifique présidé par le professeur Antoine Prost.

Le centenaire ne doit pas être une succession de cérémonies, mais le centenaire de toute la société française tant toutes les couches de la population ont été touchées par ce conflit. La société est en avance sur l’Etat puisque le gouvernement n’a toujours pas communiqué en termes de calendrier et de message qu’il souhaite véhiculer au cours de ces commémorations. La Grande Bretagne et la Belgique sont légèrement en avance sur nous, même si tout ne parait pas non plus calé définitivement.

L’accompagnement pédagogique, objet de cette journée d’étude, sera mis en place dès la rentrée 2013, du primaire au lycée.

Le professeur Antoine Prost, président du comité scientifique du centenaire, rappelle la place de l’historien face au commémoratif et souhaite insister sur trois erreurs qui doivent être impérativement évitées :

  1. Réduire la guerre à l’affrontement franco-allemand et son terme dans les mains liées de François Mitterrand et du chancelier Kohl à Verdun en 1984. Ne considérer qu’une approche chronologique (chapelet de commémorations). Ne considérer le soldat que comme une victime et non pas un héros (indigènes, fusillés…). Propager l’idée que la première mondiale n’était qu’une guerre civile Européenne. Perpétuer cette notion fausse d’enthousiasme du poilu au moment de sa mobilisation et les jours qui la suivent (fleur au fusil…).
  2. Privilégier le côté militaire et occulter l’implication de la nation entière (500 000 obus/jour sortaient en 1915 des usines françaises…).
  3. Occulter le problème politique lié à l’état de guerre (« Faites la guerre, ou faites un roi » disait  l’Action française) qui fut une épreuve pour tous les états impliqués et dont la France ne s’est pas trop mal sortie puisque c’est le premier conflit où la République ait résisté, malgré l’état de siège proclamé en 1914 qui a vu l’exil du pouvoir à Bordeaux. Par contre, il parait nécessaire de revenir sur les devoirs de l’Etat et son implication dans la mort de tant d’hommes : avait-il ce droit, même si la mobilisation est par essence un consentement à l’Etat ? Clémenceau disait « Ils ont des droits sur nous ». Il parait opportun aussi de ne pas faire de la première guerre mondiale « une guerre de trente ans dixit Charles de Gaulle » et la lier indéfectiblement à la seconde, occultant ainsi que la crise économique et l’avènement d’Hitler au-delà du traité de Versailles en sont aussi des causes.

S'ouvre ensuite la table ronde "Quelle histoire, pour quelles commémorations à l'école?" animée par Nicolas Offenstadt, Jean-François Chanet, Laurent Wirth et Rainer Bendick. En préambule, il est rappelé que la commémoration à l'école n'est pas nécessairement une évidence. Jean-François Chanet explique que le temps réduit la présence matérielle du conflit, rendant de fait la commémoration plus délicate. De plus, rappelle Laurent Wirth, celle-ci renvoie à la mémoire alors que l'école est un lieu d'histoire où doit s'opérer une distanciation critique avec les événements. Rainer Bendick évoque la situation Allemande qui, notamment du fait de la compétence des länder en matière d'éducation, varie singulièrement du cas français.

L'après midi est consacrée à la présentation de ressources pédagogiques  dans l'amphithéâtre Lefèvre de la Sorbonne, là-même où Marie Curie donna son premier cours.

"Un enfant de sept ans, coupable d'avoir, par jeu, avec son fusil de bois, mis en joue des Prussiens, est impitoyablement tué par eux." Image patriotique distribuée en "bon point" à l'école pendant la Première Guerre mondiale. Collection privée.

Marie-Christine Bonneau-Darmagnac présente les productions du Centre national de documentation pédagogique et tout particulièrement une série de dossiers thématiques consacrés aux fusillés ou au 11 novembre.

Une part importante est accordée à l'image, vecteur pédagogique dont l'efficacité n'est pas à démontrer mais qui nécessite certaines précautions. Marc Ferro montre ainsi un film réalisé en 1974 tandis qu'Elisa Tokuoka et Véronique Pontillon présentent l’Etablissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense, dont les collections sont incontournables.

"Un jeune officier, pour enseigner à ses hommes le mépris de la mort, s'expose debout au feu de l'ennemi et allume tranquillement une cigarette". Image patriotique distribuée en "bon point" à l'école pendant la Première Guerre mondiale. Collection privée.

Vincent Bervas  (Professeur de lettres au Lycée Jean de la Fontaine à Château-Thierry) et Yann Mariaux  (Professeur d'éducation socioculturelle au Lycée d'enseignement agricole Rochefeuille de Mayenne) présentent ensuite le projet pédagogique Profondeur de champ[s]. Ces deux enseignants proposent un échange entre deux établissements, l'un se trouvant dans une ville de l'arrière et l'autre sur la ligne de  front. Ils confronteront la vision de la guerre entre les deux villes et le souvenir qu'il en reste cent ans après.

Sébastien Bertrand (Mission du centenaire de la Première Guerre mondiale) expose pour sa part la séquence pédagogique Enseigner la Première Guerre mondiale en section Abibac. Dans le déroulement, il explique avoir inséré un jeu de rôle où chaque élève doit représenter un des belligérants et participer une conférence en vue d'un accord de paix en 1917.

Chacun doit présenter son pays sous la forme d'une fiche de synthèse, expliquer les raisons de la participation de ce pays à la conférence et proposer un article d'accord de paix. Sur les deux années de fonctionnement avec des premières et terminales, les retours sont bons, même si la participation des élèves a forcément  été inégale, la plus grosse difficulté restant la maitrise de la langue.

La synthèse de la journée est effectuée par Eric Bonhome, président régional Aquitaine de l'APHG puis la parole est transmise pour la conclusion au professeur Jean-Jacques Becker qui rappelle quelques enjeux de ce centenaire. En effet, l'Etat n'a pas organisé de manifestation aussi importante depuis le bicentenaire de la Révolution française en 1989. Il ne faudrait donc pas que ces commémorations soient l'occasion de se débarrasser de la Grande Guerre et de la reléguer au fin fond de nos mémoires. Pourtant, il est difficile pour les générations actuelles de comprendre la place de la Grande Guerre. Après le conflit, il était beaucoup plus facile de se faire une idée de l'ampleur des dégâts matériels et physiques causés. A chaque coin de rue l'on pouvait voir un mutilé, une gueule cassée, même les bulletins de loterie était à leur effigie. Les monuments aux morts sortaient de terre dans tous les villes et villages rappelant la liste des morts parfois très longue.
"Des jeunes troupes croisent un groupe de blessés. L'officier fait arrêter ses hommes, leur adresse quelques paroles et il salue de lépée ces glorieuses victimes de la guerre". Image patriotique distribuée en "bon point" à l'école pendant la Première Guerre mondiale. Collection privée.

En conséquence, le professeur Jean-Jacques Becker prescrit de:

  • rappeler que la guerre a été totale et que l'ensemble de la population a participé à sa manière à l'effort de guerre, en décrire la réalité.
  • noter l'immense place que ce conflit a joué dans notre époque et que l'histoire de notre temps en découle.
  • montrer l'incapacité de nos gouvernants de l'époque à trouver une solution pacifiste.
  •  se souvenir du courage et du sens du sacrifice de nos aînés, ce qui leur vaut bien d'être commémoré à l'occasion de ce centenaire.

En effet, « la première guerre mondiale ne se décrypte pas d'après ce que nous en pensons maintenant, mais comment ils l'ont reçue».

Marc JEAN