La bataille de Bouvines vue de Bretagne en 1914 ou les multiples récupérations mémorielles d’une victoire symbolique

La bataille de Bouvines est très certainement l’une des victoires militaires les plus célèbres de l’histoire de France1. Si son importance doit certainement être relativisée, il n’empêche que les professeurs d’histoire-géographie de collège s’attardent encore bien souvent sur ce fameux dimanche d’été et ce, en application des préconisations formulées par les programmes officiels. Cet enseignement n’est d'ailleurs pas récent puisqu’au XIXe siècle, Bouvines devient le symbole de l'émergence de la Nation française. Elle s’impose dès lors comme un véritable mythe national que l’on enseigne à toutes les têtes blondes.

Carte postale. Collection particulière.

A cette époque, l’étude de la bataille de Bouvines est également l’objet d’une autre récupération mémorielle : il faut laver l’affront de la défaite de 1871 contre l’Allemagne tout en atténuant le rôle des Anglais comme le rappelle le grand médiéviste, et également spécialiste de la Première Guerre mondiale, Nicolas Offenstadt :

« Bouvines, c’est largement une victoire sur le roi d’Angleterre, l’ennemi principal ! Dans le contexte de l’Entente cordiale, on tente d’occulter la rivalité contre l’Angleterre. Certains historiens s’élèvent contre cette réécriture de la bataille pour servir l’ambiance germanophobe. »2

En 1914, les commémorations officielles du septième centenaire de Bouvines s’étalent entre le début du mois de juin et la fin du mois de juillet3. Les tensions qui touchent l’Europe ne tardent pas à déteindre sur les discours officiels, comme celui de l’académicien Etienne Lamy prononcé à Bouvines le 28 juin 1914 qui promet que « si quelque aigle, de l’espèce à la faim célèbre, chassait jamais sur nos terres françaises, nous saurons, comme à Bouvines, le recevoir »4.

Le 28 juin 1914, l’assassinat de l’Archiduc François-Ferdinand à Sarajevo plonge en effet l’Europe dans une nouvelle période de tensions. La presse bretonne, se fait l’écho de ces appréhensions. C’est le cas du Réveil Ploërmelais qui dresse un parallèle entre Leipzig (1813) et Bouvines, deux des plus célèbres confrontations militaires entre les Français et les Allemands :

« Leipzig a créé la factice unité allemande […] ; Bouvines a assuré la durable unité française qui se continue de 1214 à 1914. Dans l’une de ces batailles des nations, le vainqueur était trois contre un ; dans l’autre, un contre trois. Laquelle est la plus glorieuse ? »

De son côté, François Jacob indique dans Le Pays breton que « la Patrie française, qui entend en ce moment l’ennemi Germain aiguiser ses armes pour partir de nouveau en guerre contre elle, sera aussi exaltée fiévreusement » 6. Mais l’auteur révèle un autre aspect de la bataille de Bouvines. Dans ce même journal autoproclamé « régionaliste », le Breton met en garde contre les méfaits de l’histoire officielle. Cette dernière nierait la réalité celtique de la célèbre victoire :

« Il n’y a pas de danger qu’aucun des orateurs – sacrés ou profanes – ne songera à chanter l’âme celtique de Philippe Auguste qui, en proclamant la quarantaine-le-roy, porta le coup de mort à la féodalité, et en interdisant l’enseignement et la mise en pratique du Droit romain dans ses Etats, défendit la vieille tradition celtique des Gaules, perpétuée, en dépit de la conquête romaine, à travers le Moyen-Age jusqu’à la Révolution. Cela ne sera pas dit certainement à Bouvines le 12 juillet prochain. Que voulez-vous, à l’école nos manuels d’histoire nous enseignent que les Français sont les descendants des Romains ! Oh ! Alors ! … »

Superpositons mémorielles... Carte postale. Collection particulière.

Trois semaines plus tard, la guerre devient bien réelle. Elle escamote alors les ultimes commémorations de Bouvines. D’ailleurs, cent ans après, en 2014, le huitième centenaire de la victoire de Philippe Auguste est une nouvelle fois éclipsée par les commémorations de la Grande Guerre. Bouvines ne suscite plus autant de passions…

Yves-Marie EVANNO

 

1 Un bref retour en arrière s’impose. Au début du XIIIe siècle, le roi d’Angleterre, Jean sans Terre, parvient à constituer une vaste coalition européenne contre le roi des Francs, Philippe Auguste. Le principal affrontement se déroule à Bouvines le dimanche 27 juillet 1214 où la coalition est menée par l’empereur du Saint Empire Othon IV. En dépit d’une infériorité numérique – dont les proportions font encore débat – le roi capétien obtient une victoire éclatante. Sur cette bataille, se référer à l’incontournable Duby, Georges, Le dimanche de Bouvines. 27 juillet 1214, Paris, Gallimard, 1973.

2 « Clouez le bec à ceux qui vous fatiguent avec 14-18 », www. tempsreel.nouvelobs.com, 27 juillet 2014, en ligne.

3 L’Ouest-Eclair consacre ainsi un article aux commémorations organisées à Saint-Denis au début du mois de juin : « Le 7e centenaire de Bouvines », L’Ouest-Eclair, 8 juin 1914 p. 2.

4 « Discours prononcé par M. Etienne Lamy le 28 juin 1914 », www.academie-francaise.fr, en ligne.

5 « Bouvines ! », Le Réveil Ploërmelais, 12 juillet  1914, p. 1.

6 JACOB, François, Le Pays breton, 12 juillet 1914, p. 1.