Les fusillés de Port-Louis

Le 9 octobre 2018, un employé communal de Port-Louis, dans le Morbihan, découvre avec stupeur que l’urne scellée dans le mur du mémorial en mémoire des « martyrs de la Déportation » a été profanée. Ayant immédiatement porté plainte, le maire n’a pas manqué de qualifier la dégradation de « geste inadmissible »1. Sa réaction est à la hauteur de l’indignation que suscite un tel acte, tant il porte atteinte à l’intégrité de l’un des plus hauts lieux de mémoire de la Résistance bretonne.

19 mai 1945: le général Fahrmbacher lors de l'exumation du charnier de la citadelle de Port-Louis. Amis de la Résistance du Morbihan.

Pour mesurer l’importance de ce site, il convient de remonter au printemps 1944. Depuis le début de l’année, les Allemands intensifient leur mesures de répression si bien que tous les individus suspectés « d’appartenir à un mouvement de résistance » sont arrêtés2. Voyant la liste des suspects augmenter, le général Wilhelm Fahrmbacher, commandant du XVe corps d’armée, ordonne la création de deux tribunaux militaires spéciaux, le premier dans le fort de Penthièvre à Saint-Pierre Quiberon, le second dans l’enceinte de la citadelle de Port-Louis. Pendant trois mois, entre mai et juillet 1944, les Allemands y procèdent à des interrogatoires « musclés », n’hésitant pas à recourir à la torture, afin d’obtenir des aveux. Marcel Allain décrit l’une de ces séances :

« J’ai été torturé pendant plus de huit heures d’affilée. D’abord les bourreaux m’ont allongé sur un banc et frappé à tour de bras. Comme je maintenais mon système de défense […] ils m’ont passé un bâton derrière les genoux et les avant-bras. Ils me faisaient tournoyer entre deux chaises et me frappaient avec une sauvagerie inouïe. A la fin de l’interrogatoire j’étais évanoui. Ils ont dû me porter dans ma cellule, où je suis resté onze jours sans pouvoir bouger, mon dos n’étant qu’une plaie. »3

Marcel Allain reste finalement 52 jours à Port-Louis avant d’être déporté à Neuengamme, dont il reviendra vivant. Tous n’ont pas cette chance. Ainsi, 69 résistants sont directement exécutés à Port-Louis. La plupart des fusillés ont moins de 25 ans, à l’image de quatre lycéens condamnés aux côtés de leur professeur de mathématiques, Emile Mazé.

De façon à ne pas laisser de traces, les Allemands décident de cacher le charnier lors de l’été 1944. Ce n’est qu’un an plus tard, le 18 mai 1945, à peine une semaine après la libération de la poche de Lorient, que deux soldats en révèlent l’existence aux autorités françaises. Jean Tisserand, ingénieur principal de la marine, assiste à l’exhumation. En 1988, l’horreur continue de le hanter lorsqu’il témoigne de la scène :

« Les corps étaient recouverts de chaux, certains mutilés, avec des patates à la place des yeux. Ils étaient déjà̀ dans un état de décomposition qui rendait les identifications difficiles. Certains avaient les mains attachées derrière avec du fil de fer. Ils ont été́ alignés le long du muret de la citadelle. »4

A Penthièvre, les Allemands défilent devant les victimes lors de l'exumation des corps en mai 1945. Amis de la Résistance du Morbihan.

L’émotion est d’autant plus vive dans le département qu’il fait suite à la découverte, quelques heures plus tôt, d’un charnier similaire à Penthièvre. Si un premier monument provisoire est inauguré le 3 mars 1946, il faudra en revanche attendre près de 14 ans pour voir le mémorial sortir de terre. Il est inauguré le 30 octobre 1960 en présence du ministre des Anciens combattants, Raymond Triboulet. Symboliquement, une urne contenant des cendres recueillies dans plusieurs camps de de la mort nazis y est scellée en mémoire des « martyrs de la Déportation »,

Yves-Marie EVANNO

 

 

 

1 « Le mémorial des fusillés profané », Le Télégramme, 9 octobre 2018, en ligne.

2 LEROUX, Roger, Le Morbihan en guerre (1939-1945), Mayenne, ERO, 1977, p. 625.

3 Témoignage retranscrit dans « Le charnier de Port-Louis », Chroniques port-louisiennes, HS n°9, 2005, p. 44.

4 Témoignage de Jean Tisserand, Ouest-France, 18 juin 1988, cité dans HUSSON, Jean-Pierre et Jocelyne, « Port-Louis, Citadelle », Dictionnaire biographique des fusillés, guillotinés, exécutés, massacrés. 1940-1944, en ligne.