9 janvier 1924 : quand la mer se soulève

Le littoral breton est habitué aux coups de vents, qu’il sait affronter stoïquement, résigné. Pourtant, en cette nuit du 8 au 9 janvier 1924, c’est un véritable raz-de-marée qui s’abat sur la façade Atlantique, de la pointe Saint-Mathieu à l’Espagne, pour reprendre le titre de L’Ouest-Eclair. Partout les dégâts sont considérables et à La Turballe, en Loire-Inférieure, on déplore même une victime, emportée par une lame. Au large, de nombreux navires sont en détresse ou en difficultés, certains envoyant même des SOS pour être secourus.

Les coups de vents sont habituels en Bretagne. Carte postale. Collection particulière.

C’est la zone comprise entre Penmarch et la Vendée qui est la plus touchée et partout les stigmates du coup de tabac sont visibles. Au port de Saint-Pierre, à Penmarch, plusieurs bateaux dérapent leur ancre et viennent se drosser contre les rochers. A Kérity, la digue est détruite par les lames et on ne compte plus les champs inondés, submergés par la mer. A Ouessant la situation est critique et l’on déplore plus de 100 000 francs de dégâts dans le port, pourtant habitué aux rudes conditions atmosphériques. A Lampaul, quinze navires de pêche sont perdus et huit autres gravement endommagés. Au Conquet la digue est gravement endommagée tandis que trois bateaux sombrent dans le port…

Plus au sud la situation est également dramatique. A Quiberon des maisons sont inondées tandis qu’à Batz-sur-Mer, la jetée est détruite sur une longueur de 25 mètres. Aux Sables d’Olonne, en Vendée, un navire sombre et avec lui six personnes disparaissent. Sur la côte basque, les dégâts son considérables et à Biarritz « toute la côte est saccagée ».

Carte postale. Collection particulière.

A Penmarch, dans le Finistère, le journaliste de L’Ouest-Eclair décrit « un vrai désastre » :

« Un spectacle lamentable s’offre à nos yeux. A la place des routes apparait une couche de sable de 20 centimètres, à laquelle se mêlent des galets, des épaves de toutes sortes, des engins de pêche, des instruments divers, des barriques, etc…. En face de l’usine Cassegrain, plusieurs barques obstruent le passage. Les environs de la gare et de l’Hôtel de Bretagne sont entourés d’eau. »

Rapidement, cependant, une question se pose : s’il est normal que le temps soit peu clément en hiver, pourquoi cette tempête est-elle si violente, au point que la presse parle de raz-de-marée, de vents soufflant en cyclone et même de tsunami ? Comme cela est souvent le cas, c’est sans doute une combinaison de facteurs qui explique les ravages causés par ce coup de chien et tout particulièrement une dépression très creuse (713 millimètres relevés au large) alliée à une marée haute de fort coefficient. En revanche, l’hypothèse d’un tsunami est rapidement écartée, aucune secousse sismique sous-marine n’ayant pu être détectée.

Mais à ces explications classiques, le géographe Francis Ruellan, ancien élève d’Emmanuel de Martonne, en apporte une autre dans les colonnes de L’Ouest-Eclair. En plusieurs endroits du littoral, ce futur président de la Société d’histoire et d’archéologie de l’arrondissement de Saint-Malo remarque des élévations très anormales, et rapides, du niveau de la mer. A Pornic, par exemple, l’eau monte ainsi subitement de près d’un mètre. Or pour Francis Ruellan, cette houle est consécutive à une baisse extrêmement rapide de la pression atmosphérique puisqu’il conclue son article en proclamant « nous attribuons [ce raz-de-marée] à un soulèvement de la mer dans la zone centrale d’un puissant cyclone ». Une explication qui fait froid dans le dos…

Erwan LE GALL