Comment écrire aussi vite que l’orateur en 1920 ?

La technologie est cruelle. Elle plonge dans l’oubli ses prédécesseurs. Aucun égard aux modernités passées. A l’heure de l’enregistrement numérique, qui se souvient qu’il y a encore quelques années les séances parlementaires étaient retranscrites directement par écrit ? Un article publié en Une du quotidien L’Ouest-Eclair le 22 novembre 1920 rappelle ainsi que l’art de l’écriture rapide est un enjeu fondamental du début du XXe siècle1.

La rivalité des procédés

Suite à la Révolution, la sténographie se développe en France afin de répondre aux nouvelles exigences : retranscription complète des débats parlementaires, des jugements, essor de la presse ... Pour améliorer la prise de notes, de nombreuses techniques sont élaborées. De Louis Félix Conen de Prépean à Albert Delaunay en passant par Émile Duployé, on dénombre ainsi pas moins de six méthodes théorisées au XIXe siècle.

Nouveau manuel de sténographie, ou Art de suivre la parole en écrivant, 1855. BNF / Gallica.

Malgré l’essor de technologies modernes concurrentes (machine à sténographier de type Sténotype Grandjean, dictaphone …), perfectionner la sténographie dermeure un enjeu majeur au sortir de la Première Guerre mondiale. Justement, Raoul Duval expose en novembre 1920 une nouvelle technique dite brévigraphie qui permettrait, selon son auteur, de saisir 300 mots par minute !2 Un procédé proche de la prise de notes classique, qui met une nouvelle fois le feu aux poudres.

Les différentes écoles se livrent depuis de nombreuses années une véritable « guerre ». L’arrivée d’un nouvel acteur amplifie ces « luttes fratricides ». Prétextant la présentation d’une récente méthode développée par un prétendu René Witmeur, Henry de Marsi propose avec beaucoup de malice, un billet d’humeur en Une du quotidien breton. L’occasion pour l’auteur de déplorer l’attitude stérile des disciples rivaux qui, selon lui, empêche de faire progresser la sténographie.

L’intérêt de développer les méthodes d’écritures rapides

Et pour cause, écrire rapidement devient encore plus nécessaire au sortir de la Première Guerre mondiale, alors que l’information est de plus en plus instantanée. L’achèvement du réseau de câbles sous-marins, les progrès de l’aviation, l’apparition de la TSF sont autant de facteurs qui bouleversent les métiers de la communication. La sténographie répond alors aux besoins de son temps. Tant pour les quotidiens de presse écrite qui se doivent d’être plus complets que leurs concurrents, que pour les emplois de bureau. Dans le dernier cas, Henry de Marsi est convaincu que les « patrons » gagneraient en productivité en payant des cours à leurs employés.

Exemple d'écriture sténographique par la méthode Gregg. Wikicommons.

La sténographie apparaît même aux yeux du journaliste comme un véritable enjeu national. A ce titre, le retard pris face à l’éternel ennemi allemand est « bien regrettable ». Il souhaite même que la sténographie, enfin débarrassée de ses propres rivalités, soit enseignée à l’école. Ce jour-là, « le ministre de l’Instruction publique qui  […] inscrira la sténographie dans les programmes aura rendu à son pays un service tellement énorme qu’il lui aura peut-être suffi à assurer sa gloire ».

De tels propos peuvent, a posteriori, faire sourire le lecteur confortablement installé devant son ordinateur, sa tablette ou son smartphone. Il n’en demeure pas moins que de tels propos resurgissent régulièrement, à chaque révolution technologique. Quid en effet des débats proposant des cours d’informatique dans les écoles et, plus particulièrement, des propositions pour apprendre aux écoliers français à taper au clavier avec dix doigts (ce que l’auteur du présent article est par ailleurs incapable de faire) ?

Yves-Marie EVANNO

 

1 LE MARSI, Henry, « Brévigraphes ! Sténographes ! Encore une nouvelle méthode », L’Ouest-Eclair, n°7291, 22 novembre 1920, p. 1.

2 BOMAL, Eugène, « Brévigraphie contre sténographie. La riposte des sténographes », L’Ouest-Eclair, n°7229, 10 novembre 1920, p.1-2.