Coup de froid sur la Bretagne en 1938

Guingamp, place du Centre, la fontaine « s’est transformée en une immobile cascade de glace »1. L’image, glaçante, fait la une du quotidien rennais L’Ouest-Eclair le 20 décembre 1938. Elle illustre parfaitement la terrible vague de froid qui vient de s’abattre sur la Bretagne. Néanmoins, bien que basses, les températures n’ont rien d’exceptionnelles lorsqu’on les compare à celles observées lors des « redoutables » hivers 1922 et 1929 « et surtout celui de 1877 où l’on passait à pied la Seine en plusieurs endroits de la ville ». Pourtant, la place qu’occupe l’événement dans la presse quotidienne démontre parfaitement la paralysie d’une région peu habituée à de telles conditions climatiques.

Carte postale. Collection particulière.

Après avoir profité d’un automne particulièrement doux, les Bretons sont brutalement plongés dans l’hiver. Dans le Finistère, le 16 décembre 1938, la station météorologique de Brest-Guipavas relève 11° à 7h du matin2. C’est exactement 16° de plus que la température relevée au même endroit à peine 72 heures plus tard... Partout le thermomètre affiche des températures en dessous de zéro : -11° à Rennes, -10° à Saint-Brieuc, -8° à Vannes, -9° à Saint-Nazaire, -13° à Dinan3… Comme si cela ne suffisait pas, un fort vent de Nord-Est balaye le territoire. Avec le froid qu’il fait, le vent semble « affûté en lame de rasoir » comme le rapporte un correspondant de presse à Saint-Nazaire. Dans ces conditions, nombreux sont les Bretons qui, peu téméraires, préfèrent rester à l’écart des rues et autres places publiques comme c’est le cas à Lorient où seuls

« quelques enragés du football, véritablement méritants, n’hésitèrent pas cependant à risquer une pneumonie en allant peupler les tribunes du Parc du Sport. Mais la plupart de nos compatriotes restèrent sagement au coin de leur feu et leur amateurs de cinéma optèrent, non pour les meilleurs programmes, mais pour les salles les mieux chauffées. »4

Gelant les radiateurs, le froid immobilise de nombreuses voitures à Brest, Josselin, Pontivy et dans l’ensemble de la Bretagne. Sans véhicule, une partie de l’économie locale tourne au ralenti. A Fouesnant, plusieurs camionneurs « n’ont pas réussi à démarrer » et ne peuvent plus assurer leurs livraisons. A Josselin, c’est l’auto-postale qui doit repousser à la fin de matinée sa tournée de livraison de la presse et des journaux. A Ploërmel la foire mensuelle « a été réduite a peu de choses ; les propriétaires et acheteurs n’aspirant qu’à rentrer à l’abri ».

Mais il semble que la pêche soit le secteur le plus impacté par le temps. A Concarneau, les pêcheurs ont eu la surprise de retrouver « leurs cordages enveloppés de blocs de glace ». A Lorient, de nombreux chalutiers constatent avec stupéfaction que leurs moteurs « sont congelés ». Plus que les problèmes techniques, c’est le fort vent glacial qui conduit les pêcheurs à renoncer à prendre la mer à Paimpol, Concarneau ou encore à Lorient.

A Morlaix, au pied du viaduc, sous la neige. Sans date. Collection particulière.

Pourtant, ces considérations matérielles représentent bien peu en comparaison du drame humain engendré par le funeste climat. Au moins six Bretons sont victimes de congestion mortelle : un homme de 76 ans à Saint-Brice-en-Coglès, un ouvrier agricole de 42 ans à Dinard, un « clochard » de 71 ans à Nantes, un « vieillard » d’environ 70 ans à Saint-Pierre-Quilbignon, un « miséreux » de 50 ans à Lannion et un artiste de 58 ans bien connu à Lorient, le « Père Gustave ». Une mortalité qui rappelle que malgré les dommages matériels et économiques qu’engendre le froid, c’est d’abord l’homme qui est sa principale victime. Un constat toujours vrai au XXIe siècle…

Yves-Marie EVANNO

 

 

1 « La baisse du thermomètre s’accentue », L’Ouest-Eclair, 20 décembre 1938, p. 1.

2 http://www.infoclimat.fr/observations-meteo/archives/16/decembre/1938/brest-guipavas/07110.html

3 « Cette fois, c’est bien l’hiver », L’Ouest-Eclair, 20 décembre 1938, p. 3-4.

4 « La brutale offensive du froid », Le Nouvelliste du Morbihan, 20 décembre 1938, p. 2.