De la Bretagne au Québec, le destin tourmenté de Marie Le Franc

Marie Le Franc est très certainement l’une des plus grandes romancières francophones du XXe siècle. L’égale d’une Marguerite Yourcenar, d’une Colette ou d’une François Sagan. Partageant sa vie entre sa Bretagne natale et son Québec d’adoption, elle marque de sa plume la littérature de l’entre-deux-guerres. Pourtant, près d’un siècle plus tard, elle complètement sortie des mémoires et n’est quasiment plus lue.  

Sarzeau. Carte postale. Collection particulière.

Marie Le Franc naît le 4 octobre 1879 à Sarzeau. Elève brillante, son père, douanier, décide de l’inscrire à l’école du Saint-Esprit à Sarzeau où elle se distingue par ses facultés littéraires1. Son destin semble tracé : elle intègre l'Ecole Normale de Vannes, obtient son diplôme d'institutrice en 1897 puis est nommée dans différentes écoles morbihannaise (La Trinité-Porhoët, Muzillac, Vannes et Colpo). Mais ce conformisme n’est pas du goût de Marie Le Franc. Elle rêve de découvrir le monde et demande une mutation à Madagascar qui ne lui sera pas accordée2. Qu’à cela ne tienne, elle découvre le Canada par le biais d’une intense correspondance qu’elle lie avec le journaliste Arsène Bessette. En 1906, elle décide de franchir le pas et quitte la Bretagne avec le fol espoir d’épouser l’écrivain québécois qu’elle n’a jamais vu. Si le mariage n’a finalement pas lieu, elle décide de rester sur le continent américain. Pour gagner sa  vie, elle trouve dans un premier temps un emploi de journaliste, puis un poste de professeur de français dans la région de Montréal. Les milliers de kilomètres qui la séparent désormais de la Bretagne ne l’éloignent pas pour autant de sa région natale. C’est au contraire cette dernière qui lui donne l’inspiration lorsqu’elle se met à écrire. Surtout, Marie Le Franc n’hésite pas à franchir l’Atlantique pour se ressourcer auprès de ses proches.

La Première Guerre mondiale vient brusquement briser ce lien familial. Le 27 avril 1915, elle perd son jeune frère de 25 ans tué à Mesnil-Les-Hurlus. Elle partageait avec Pierre ce goût du voyage puisque, comme elle, il avait fait le choix de quitter la Bretagne pour aller travailler à Saïgon, puis Constantine3. Deux ans plus tard, son autre frère Marcel, encore étudiant, s’engage volontairement alors qu’il n’a que 18 ans4. Il perd également la vie le 5 juillet 1918 dans la Marne. Pour Marie Le Franc, ces deux décès sont extrêmement douloureux. Elle décide de coucher sa tristesse sur la feuille et publie, en 1920 et 1921, des poèmes à la mémoire de ses frères dans les recueils Les voix du cœur et de l’âme, et Les voix de misère et d'allégresse. Elle écrit :

« […] Mes frères, votre sang a passé dans mon sang :
Ce sont vos blés semés qu’il faut que je relève ;
Ce qui tomba là-bas, c’est mon être impuissant,
Je possède aujourd’hui un corps de triple sève.
Et comme il est bien temps de fleurir vos tombeaux,
De reprendre à nouveau le poème de vivre,
Ainsi qu’aux jours où vous étiez jeunes et beaux,
Mes frères d’au-delà, je vous dédie ce livre. »5

Ce n’est véritablement qu’après la Première Guerre mondiale que Marie Le Franc commence à publier ses écrits. En 1927, elle sort non sans difficulté son roman Grand-Louis l’innocent. En effet, le manuscrit lui est d’abord retourné par « les services d’un éditeur avec cette seule mention ridicule » comme le déplore le supplément littéraire du Figaro6. Finalement accepté aux Editions Rieder, l’ouvrage obtient une belle revanche en étant couronné du prix Femina 19277.

Montréal. Carte postale. Collection particulière.

En janvier 1939, Marie Le Franc revient en Bretagne dans l’espoir d’embrasser une dernière fois sa mère dont la santé se dégrade. Emue par la perte de la vielle femme, elle décide de rester quelques mois dans la péninsule armoricaine. La déclaration de guerre l’oblige à revoir ses plans : elle reste finalement à Sarzeau durant l’intégralité de la Seconde Guerre mondiale. Si elle continue d’écrire, elle décide également d’apporter son aide à ceux qui lui semblent en avoir besoin. Elle œuvre pour faciliter l’accueil des réfugiés en 1940 puis, en 1945, elle fonde une colonie pour les enfants juifs déportés. Elle repart finalement en 1947 au Canada, sept ans après son dernier séjour. Marie Le Franc continue de faire de nombreux allers-retours entre le Québec et la Bretagne jusqu'en 1958, date à laquelle elle décide de rester en France. Elle meurt le 29 décembre 1964 à Saint-Germain-en-Laye. Elle est enterrée à Sarzeau.

Yves-Marie EVANNO

 

1 FRAYSSE, Jean et HILLIAN, André, Paroles de bretons, Coudray-Macouard, Cheminements, 1999, p. 211-212. Les auteurs rapportent ici le témoignage d’Armelle Cohéléach qui la côtoie durant sa jeunesse.

2 « Chronique des livres », Le Progrès du Morbihan, 27 novembre 1927, p. 1.

3 Arch. dép. du Morbihan, R 2070, bureau de Vannes, classe 1909, matricule n°921.

4 Arch. dép. du Morbihan,  R 2151, bureau de Vannes, classe 1916, matricule n°86.

5 LE FRANC, Marie, « Mes Frères », Les voix du cœur et de l’âme, Montréal, Perrault, 1920.

6 « Le carnet du bouquiniste », Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche, 19 novembre 1927, p. 3. Le journaliste rapporte ici les propos de l’écrivain Jean-Richard Bloch.

7 « Prix littéraires », Le Progrès du Morbihan, 11 décembre 1927, p. 1.