En 1936, à propos de la réduction du temps de travail et de la semaine des 40 heures

Si, dans les représentations mentales, le Front populaire sorti des urnes à la suite des élections législatives de mai 1936 est synonyme de congés payés, on oublie souvent que le gouvernement de Léon Blum instaure la semaine des 40 heures assortie d’un relèvement des salaires. Il est vrai que la postérité de cette mesure est aléatoire puisqu’un ensemble de dispositions sont prises dès 1938 pour pouvoir la contourner et qu’il faut en réalité attendre l’élection de François Mitterrand en 1981 pour revenir à un tel taux horaire hebdomadaire. Néanmoins, les débats qui l’accompagnent sont intéressants, notamment à travers la presse bretonne, en ce que les arguments avancés témoignent d’une certaine permanence des discours (songeons quelques instants à ceux sur les 35 heures).

Une usine dans les années 1930. Carte postale. Collection particulière.

Sans surprise, la presse proche des partis de gauche et des syndicats est favorable à cette mesure. C’est ainsi par exemple que pour le Prolétaire du Morbihan, la semaine des 40 heures compte parmi un ensemble de mesures qui permettront aux travailleurs de museler leurs «  tyranneaux »1. Dans son édition du 11 juin 1936, L’Ouest-Eclair expose pour sa part une opinion proche du mouvement patronal sous  la plume de Louis-Alfred Pagès et se révèle peu favorable à cette initiative. Avocat, proche du Parti démocrate populaire et dirigeant du quotidien rennais2, il fustige une mesure qui constitue « le grand péril économique »3.

Les arguments développés par Louis-Alfred Pagès sont intéressants en ce qu’ils relèvent d’une certaine permanence. Ainsi, ce n’est pas tant le principe de la semaine des 40 heures qu’il critique – « Nous savons que [du fait du développement du machinisme], partis du régime de la rareté, nous allons vers le régime de l’abondance ; qu’il faut organiser rationnellement et utiliser équitablement cette abondance ; que l’on doit donc prévoir une diminution du temps de travail des hommes » – que ses modalités d’application. La mesure ne s’accompagnant en effet pas de baisse proportionnelle des salaires, il craint un renchérissement généralisé du travail – démontré avec de savants calculs – conduisant à « la mort certaine et à bref délai des petites et moyennes industries qui ne peuvent étaler leurs amortissements sur un long espace de temps ».

Tout juste élu plus jeune député de France, dans le Finistère, Tanguy-Prigent affirme au contraire dans les colonnes du Breton socialiste que c’est là « abominable démagogie » puisque la semaine de 40 heures compte parmi les mesures qui permettra de « ranimer l’économie du pays et [d’] apporter aux salariés une précieuse garantie et un repos annuel bien gagné », tout en précisant : « Vous pensez bien que tout cela n’enchante pas les représentants de l’exploitation capitaliste ». Mais, plus intéressant, il entend mette en garde contre certains arguments des adversaires des 40 heures qui visent tout particulièrement les paysans qui, non concernés par l’emploi salarié, ont un rôle aussi important dans ce combat politique qu’ils sont nombreux4. Car si L’Union agricole et maritime, qui se présente comme l’Organe républicain démocratique régionaliste de l’Ouest, reconnait que le développement du machinisme impose une nouvelle organisation du travail, ce journal reste sceptique face au principe soutenu par la CGT d’un passage aux 40 heures sans réduction de salaire. Surtout, cet hebdomadaire ne voit pas cette mesure se révéler efficace dans la lutte contre le chômage, craignant au contraire qu’elle renchérisse le travail5.

Groupe d'ouvriers. Sans date. Collection particulière.

Ces arguments sonnent d’autant plus familièrement à nos oreilles qu’ils s’accompagnent de fréquentes allusions au Bureau international du travail. C’est en effet dans le cadre d’une compétition économique mondialisée qu’est bien souvent envisagé le débat et de nombreuses voix s’élèvent alors pour dénoncer une mesure qui ne serait prise que par la France. Et si le terme n’apparaît pas, c’est bien l’idée de compétitivité qui ici prévaut. Comme pour mieux nous rappeler l’étrange contemporanéité de ces débats.

Erwan LE GALL

 

 

1 « Pour le contrat collectif, les travailleurs musèleront leurs tyranneaux », Le Prolétaire du Morbihan, juin 1936, p. 2.

2 DELBREIL, Jean-Claude, « L’Ouest-Eclair et le parti démocrate populaire », in LAGREE, Michel, HARISMENDY, Patrick et DENIS, Michel (dir.), L’Ouest-Eclair. Naissance et essor d’un grand quotidien régional, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2000, p. 79-100.

3 PAGES, Louis-Alfred, « Les quarante heures », L’Ouest-Eclair, 38e année, 14462, 11 juin 1936.

4 TANGUY-PRIGENT, « Abominable démagogie », Le Breton socialiste, 8e année, n°373, 20 juin 1936, p. 1.

5 « A propos du chômage », L’Union agricole et maritime, 56e année, n°23, 5 juin 1936, p. 1.