Fracastor et la garçonnite

La période des fêtes de fin d’année est toujours un moment ambivalent. D’un côté il y a l’esprit de noël, la joie de faire plaisir et l’émerveillement des enfants qui découvrent leurs étrennes au pied du sapin. Et puis il y a les interminables repas où, inévitablement, on est placé à côté d’un oncle ou d’un cousin sarcastique qui, la dive bouteille aidant, n’en finit plus de s’abandonner en propos déplaisants, voire franchement insupportables. C’est d’ailleurs ce que rappelle, non sans humour, le dénommé Fracastor dans un article du Lyon Républicain repris le 28 décembre 1925 dans L’Ouest-Eclair : « Non que nous y incitent les effroyables variations du change et du baromètre, mais il faut, autour de la bûche de Noël, oublier ces soucis et philosopher sur de frivoles sujets »1.

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Frivole, le sujet parait effectivement l’être puisque c’est de mode féminine dont ce Fracastor semble avoir abreuvé ses condisciples du réveillon de noël 1925. Arguant de problèmes dermatologiques qui seraient causés par la mode des cheveux de courts, l’auteur entend partir en croisade contre la « garçonnite » qu’il considère comme une « maladie nouvelle ». Or, la description des symptômes opérée dans cet article amène à s’interroger sur ce qui, du problème de peau ou de la coupe de cheveux, est, au final, la « maladie nouvelle » brocardée par cet article :

« [la garçonnite] consiste en un certain nombre de boutons rouges, prurigineux, puis suppurants, qui apparaissent sur les nuques féminines, lorsque celles-ci ont été trop souvent soumises au feu du rasoir. Car vous n’ignorez certainement pas que le cheveu simplement court est déclaré insuffisant. Il faut, pour être à la mode, que la coupe de la chevelure rappelle celle d’un petit garçon, pas davantage : pas de boucles, pas d’ondulations, pas de crans. Et pour plus de sûreté, on passe la tondeuse ou le rasoir sur la nuque, jusqu’à une certaine hauteur, de façon à ne rien laisser de l’opulente torsade d’autrefois. »

Loin de la frivolité qui pouvait apparaître de prime abord, c’est en réalité à une attaque en règle que se livre Fracastor, offensive qui vise une identité féminine en pleine évolution, ce dont la coupe de cheveux garçonne n’est au final qu’une manifestation parmi d’autres. Ainsi, reprenant sa plume, décidément lourdement chargée :

« Si encore la garçonnite se bornait aux cheveux ! Mais de sérieux symptômes font craindre que le microbe n’ait traversé la boite crânienne pour aller défriser les méninges. C’est grande pitié que de voir, dans les dancings modernes, ces gosses malingres, aux cheveux plats, aux épaules osseuses, aux jambes en fuseaux, souffler maladroitement dans une cigarette dont la fumée leur fait peur. »

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Moqueuse, l’attaque se fait par la suite plus précise, et donc plus intéressante pour l’historien, lorsque Fracastor blâme « ces femmes perchées sur des talons-échasses » et qui ressemblent « à des linottes ou des autruches ». En effet, plus qu’une apparence physique, c’est une nouvelle condition qu’entend combattre l’auteur, se rangeant clairement dans le parti de l’ordre, de la famille et de la religion, réduisant la femme à sa fonction procréatrice (de mâles de préférence) :

« Seigneur, […] dites-leur que l’amaigrissement systématique conduit fatalement à l’anémie, mère de la tuberculose. Et qu’elles se vêtissent chaudement au lieu de tousser éperdument au moindre courant d’air. Ainsi, nous retrouverons les belles filles d’antan qui engendrèrent les solides générations de 1914. »

Un tel propos n’est pas sans interpeller. Il rappelle en effet que les années d’immédiat-après-guerre se doublent en France d’un réel retour de l’ordre moral. Le pays, victime de l’hémorragie des tranchées que scandent dans chaque commune les monuments aux morts, vit en effet dans la hantise de la « dépopulation »2. Un sujet loin d’être frivole puisqu’en 1925, il s’invite même au réveillon de noël.

Erwan LE GALL

 

 

 

1 « Fracastor, « Une maladie nouvelle, conséquence de la mode : la garçonnite »,  L’Ouest-Eclair, n°8836, 27 décembre 1925, p. 2.

2 Sur ces questions, CAPDEVILA, Luc, ROUQUET, François, VIRGILI, Fabrice et VOLDMAN, Danièle, Sexes, genre et guerres (France, 1914-1945), Paris, Payot, 2010.