Gaston Doumergue, la Bretagne et L’Illustration

Gaston Doumergue n’est probablement pas le plus connu des Présidents de la République. Originaire du Gard, il est élu en 1924 à une époque où, de par la constitution de la IIIe République, le locataire de l’Elysée a un rôle honorifique, en retrait, derrière le Président du Conseil. Mais, le voyage qu’il effectue en octobre 1930 dans le Finistère donne lieu à un article du célèbre hebdomadaire L’Illustration qu’il n’est pas inintéressant de mettre en perspective1. En effet, pour l’illustré parisien, ce « pays breton », « s’il voit fréquemment des ministres, n’a l’occasion de fêter qu’à de très longs intervalles la présence du chef de l’Etat ». Or Gaston Doumergue visite par deux fois la Bretagne au cours de l’année 1930.

A une époque où les voyages présidentiels demeurent relativement exceptionnels – point de pression pour fournir quotidiennement des images au journal de télévisé de 20 heures – la performance est suffisamment rare pour être notée. Du 3 au 5 avril 1930, Gaston Doumergue est ainsi en Loire-Inférieure, d’abord à Nantes puis à Saint-Nazaire. Annoncée depuis un an, la visite est fastueuse comme en témoigne l’album souvenir publié à 1 000 exemplaires pour commémorer l’évènement.

Quelques mois plus tard, le 9 octobre, Gaston Doumergue est de nouveau en Bretagne, mais cette fois-ci dans le Finistère. Son programme est particulièrement dense et se déroule en deux principales étapes. A Quimper il est reçu avec tous les honneurs par le Conseil municipal avant d’assister à un concert et à une démonstration de « gymkana motocycliste ».

Portrait présidentiel de Gaston Doumergue. Wikicommons.

C’est ensuite le départ pour Brest où Gaston Doumergue préside un banquet puis passe en revue les élèves de l’Ecole navale avant d’assister au lancement du croiseur Dupleix, d’inaugurer le pont de Plougastel puis, enfin, d’assister à un défilé breton et de regagner la capitale en train. Notons enfin que l’ombre portée de la Grande Guerre est encore très forte puisque, dans chacune de ces deux villes, le Président dépose une gerbe au monument aux morts2.

Le voyage présidentiel est un exercice politique bien particulier dont la mise en scène répond à des codes bien précis. Dans un article analysant les visites effectuées dans le Finistère en 1981 et 1985 par François Mitterrand, P. Gourlay rappelle que ces déplacements ont pour objectif de réaffirmer le pouvoir régalien du Président et de mettre en exergue quelques réussites triées sur le volet3. La visite de Gaston Doumergue n’échappe pas à la règle comme le rappellent le lancement du croiseur Dupleix et la revue des élèves de l’Ecole navale : deux étapes qui font directement écho au fait que le locataire de l’Elysée, selon les termes mêmes des lois constitutionnelles fondant la Troisième république, « dispose de la force armée ». Il en est de même de l’inauguration du pont de Plougastel, aujourd’hui dénommé Albert Louppe, qui avec ses quelques 560 mètres de portée, bat alors un record mondial. C’est bien une réussite technologique qui ici est mise en avant.

1928: la construction du pont de Plougastel. Wikicommons.

Mais à ce premier niveau de lecture s’en ajoute un second, comme en témoigne notamment le numéro du 18 octobre 1930 de l’Illustration. En effet, on ne peut s’empêcher de déceler dans l’article que publie le grand illustré parisien un regard condescendant envers une Bretagne qui serait engoncée dans ses traditions, comme en témoignent les nombreux costumes traditionnels si pittoresques qui jalonnent le parcours du Chef de l’Etat. Ainsi à Quimper

« s’étaient massés des groupes de Bretons en grands chapeaux  ruban et en veste de velours brodé et de Bretonnes en coiffe. Tout ce monde bariolé défila, puis exécuta devant le Président des danses régionales rythmées par les cornemuses qui jouaient de vieux airs. »

Comment ne pas voir dans ces lignes une dialectique de la modernité, symbolisée par le Président de la République et donc, d’une certaine manière par Paris, dimension qui s’opposerait à une Bretagne réduite à son folklore et, pour tout dire, à un certain archaïsme ? N’est-ce pas là l’image donnée par Gaston Doumergue inaugurant le pont de Plougastel, ouvrage d’art dont L’Illustration nous dit qu’il « rend, dès maintenant, infiniment plus faciles les communications entre Brest et Quimper »? Quel contraste avec le maire de Plougastel et son conseil municipal qui, précise le célèbre hebdomadaire, « portent l’habit breton ».

Et force est d'admettre que l’histoire ne dit pas comment réagissent les Bretons qui, en cette semaine du 18 octobre, lisent dans leur illustré favori la relation du voyage de Gaston Doumergue dans le Finistère.

Erwan LE GALL

1 « Le Président de la République en Bretagne », L’Illustration, n°4572, 18 octobre 1930, p. 222.

2 « Le programme de la journée », La Dépêche de Brest & de l’Ouest, n° 17 090, 9 octobre 1930, p. 1-2.

3 GOURLAY, Patrick, « Un outil pédagogique ; le voyage présidentiel en province. Deux visites du président Mitterrand dans le Finistère (1981, 1985 », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, n°112-4, 2005, p. 85-115.