Jean Hénaff : le créateur du « pâté du mataf »

De Pouldreuzic jusqu’à l’espace, voici comment l’on pourrait résumer la destinée du pâté Hénaff. En un siècle, la petite boîte rondeaux couleurs bleue et jaune est devenue l’un des plus éminents ambassadeurs de la Bretagne. Il faut dire qu’avec 35 millions de conserves vendues dans 30 pays1, la marque bigoudène a de sérieux atouts à faire valoir. Mais loin d’avoir cédé aux sirènes de la nourriture lyophilisée des astronautes, les dirigeants de la société finistérienne cultivent l’image d’une entreprise familiale. C’est ainsi que dans leur communication publicitaire, ils n’hésitent pas à convoquer la figure du patriarche créateur : Jean Hénaff.

Buvard publicitaire. Collection particulière.

C’est le 30 janvier 1859 que Jean Hénaff voit le jour dans la ferme de Pendreff-Izella à Pouldreuzic, dans une famille de paysans aisés. Bien qu’exceptionnelle, sa jeunesse est à rebours de bien des visions misérabilistes de la paysannerie bretonne du second XIXe siècle. Il reçoit une éducation chrétienne au Collège Sainte-Marie Le Likès de Quimper. A l’époque où Jean reprend la ferme familiale, le Finistère Sud profite à plein de l’essor de l’industrie de la conserverie. Au Guilvinec, à Douarnenez ou bien encore à Concarneau, le thon et la sardine sont mis en boîte, alors qu’à Nantes Cassegrain, notamment, met des légumes en conserve depuis les années 1860. C’est ainsi que Jean Hénaff tente de se lancer sur le marché en créant sa propre usine de conserverie de légumes primeurs dans son village en 1907, aidé par l’industriel Aristide Gantier et l’ingénieur Stanislas Moreaux de Lizoreux. Seulement, comme l’explique ce reportage de la télévision régionale tourné en 1998 : « l'inconvénient avec les légumes, ce sont les saisons qui conditionnent un travail en dent de scie. »

C’est alors qu’entre en scène l’un des acteurs majeurs de la vie paysanne bretonne : le porc. La « tuerie du cochon » est encore au début du XXe siècle l’un de ces moments qui scelle la cohésion villageoise. A l’adage « dans le cochon tout est bon ! », il faudrait rajouter la maxime du chimiste Lavoisier : « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » : les boyaux et le sang en boudin, la graisse pour le saindoux, essentiel pour la pierre à galette, ou bien encore les abats et la tête pour le pâté. Faire du pâté de porc, voilà l’idée qui germe dans la tête de Jean Hénaff pour pérenniser les 80 emplois de sa conserverie. Mais pour rentabiliser l’affaire, il décide d’incorporer les morceaux les plus nobles du porc – rôtis, jambons – à la recette paysanne du pâté, faute de disposer d’un marché local suffisant pour les écouler à part. Les premiers essais ont lieu en 1914, sous la marque Le Préféré. Au cours la Grand Guerre, l’entreprise expédie vers le front sa production depuis la gare de Pouldreuzic2. Si la marque Pâté de porc Hénaff voit le jour en 1917, il faut attendre les années 1930 pour que la recette soit complètement au point. En revanche, le conditionnement dans des boîtes rondes, destinées à l’origine à contenir du thon, reste-elle une marque de fabrique toujours inchangée.

A côté de ces activités d’industriel, Jean Hénaff exerce également les fonctions traditionnelles des élites rurales. Elu conseiller municipal de Pouldreuzic dès 1888, à l’âge de 29 ans, il devient adjoint au maire quatre ans plus tard, avant de devenir le premier magistrat de la commune entre 1925 et 1935. Sa carrière politique dépasse même le cercle communal, avec son élection en tant que conseiller d’arrondissement en 1904. Un poste qu’il occupe jusqu’en 1924. De 1925 à sa démission en 1938, il est également conseiller général du Finistère. Dans les années 1930, les reconnaissances officielles viennent avec l’attribution de la croix de Chevalier de l’Ordre de Saint-Grégoire-le Grand par le pape Pie XI et remise par l’évêque de Quimper et Léon, Monseigneur Duparc ; ainsi que son élévation au rang de chevalier de la Légion d’honneur en 1932.

Jean Hénaff au milieu de son personnel, en 1919. Reproduction de photo ancienne. Collection particulière.

Jean Hénaff se retire des affaires en 1935, au profit de trois de ses fils Jean-Marie, Corentin et Michel. Si le patriarche décède le 26 novembre 1942, son pâté, en revanche, lui survit. Ses descendants veillent depuis à perpétuer la saga familiale, tout comme l’image d’une entreprise ancrée dans son terroir, mais qui sait voyager par delà les mers, au point d’être devenue le « pâté du mataf ». A ce propos l’astronaute serait-il devenu le mataf du XXIe siècle ?

Thomas PERRONO

 

 

1 Chiffres cités dans l’article : « Hénaff, cent ans à envoyer du pâté », Libération, 29 février 2016.

2 Sur cette période se rapporter à LLOSA, Marie, « La conserverie alimentaire au service du soldat : une production de guerre ? », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 2008/3, n°91, p. 80-83, en ligne.