Jeanne Malivel, une carrière artistique courte mais une empreinte durable

Dans son édition du 5 septembre 1926, à la rubrique Loudéac, le quotidien L’Ouest-Eclair fait part du décès prématurée de « Mme Yung, née Jeanne Malivel ». Seulement âgée de 31 ans, l’artiste bretonne vient de mourir trois jours plus tôt à l’hôpital Saint-Vincent de Rennes. Pour le quotidien breton, cette nouvelle « met en deuil l’art breton ». Pourtant, il n’aura suffit que d’une décennie pour que la carrière artistique de Jeanne Malivel marque d’une empreinte profonde la culture bretonne contemporaine. Une carrière artistique qui débute en 1916 avec son entrée dans la prestigieuse Académie Julian à Paris. Sa formation se complète par la fréquentation de l’Ecole des Beaux-Arts, où elle apprend la gravure sur bois.

Nominoë triomphant, bois gravé pour L'Histoire de notre Bretagne (1922)1. Wikicommons.

C’est donc en tant que Bretonne de Paris, que Jeanne Malivel débute une carrière dédiée à la Bretagne et aux Bretons. Ainsi, toute jeune artiste, elle fonde en 1918 son « atelier Sainte-Anne », situé rue Notre-Dame-des-Champs dans le quartier Montparnasse. L’une de ses plus importantes réalisations réside dans l’illustration de l’ouvrage L’Histoire de notre Bretagne, écrit par son amie écrivaine Jeanne Coroller (1892-1944).

Elle fréquente les cercles régionalistes, voire nationalistes, de la capitale. Elle connaît notamment Olier Mordrel (1901-1985), le fondateur du journal Breiz Atao. Dans le premier numéro paru en 1925, elle écrit un article intitulé : D’un art populaire. Toutefois, elle ne partage pas les idées les plus autonomistes et extrémistes de ces mouvements politiques bretons de l’entre-deux-guerres. Pour nourrir cet appétit de Bretagne, elle fréquente le cours de civilisation celtique de Ferdinand Loth au Collège de France ainsi que le cours de Breton de Jean Caroff à la Sorbonne. C’est là qu’elle fait la rencontre des artistes René-Yves Creston (1898-1964) et sa femme Suzanne Candré (1899-1979).

Ce groupe de jeunes artistes bretons souhaite donner un nouveau souffle à l’art breton. Ils se veulent profondément modernes face à ce qu’ils jugent comme des  « biniouseries ». C’est ainsi que naît le 8 septembre 1923 – la même année que son retour en Bretagne, en tant que professeur à l’Ecole des Beaux-Arts de Rennes –, lors du pardon du Folgoët, le groupe des Seiz Breur (les Sept frères en breton). Ils souhaitent notamment participer à l’Exposition internationale des Arts décoratifs, prévue pour 1925. A travers ce projet de « Pavillon breton », Jeanne Malivel veut montrer la créativité, le modernisme et l’inspiration du nouveau mouvement artistique breton. Mais l’initiative des Seiz Breur se heurte au projet de Jean-Julien Lemordant (1878-1968) et son Comité des Arts bretons. Le vétéran de la Première Guerre mondiale mène campagne auprès des autorités politiques et économiques bretonnes. Au final, c’est donc un projet hybride qui est retenu pour la Ti Breizh (Maison de la Bretagne en Breton), qui se situe derrière le Petit Palais. Lucien Vaugeois, architecte, réalise un pavillon unique découpé en cinq pièces, comme le nombre des départements bretons. Chaque pièce, à laquelle est attribuée une fonction (salle à manger, chambre, salle commune…), est meublée et décorée. Les Seiz Breur réalisent la salle commune attribuée à la région du Trégor. Le mobilier est dessiné par Jeanne Malivel et René-Yves Creston et sculpté par Gaston Sébilleau. Les artistes du groupe créent également toute une série de faïences, vaisselles, poteries, broderies etc. Jean-Julien Lemordant, quant à lui, dessine le mobilier de la Cornouaille, dans un style plus traditionnel de personnages bretons. L’antagonisme entre un art nouveau breton d’inspiration celtique et les « biniouseries » est bien visible dans ce pavillon. La réalisation des Seiz Breur obtient d’ailleurs une médaille d’or.

Carte postale. Collection particulière.

La mort de Jeanne Malivel, qui intervient seulement un an après cette Exposition des arts décoratifs, plonge dans le doute les Seiz  Breur. En 1928, René-Yves Creston fonde l'Unvaniez ar Seiz Breur (L’Union des Sept Frères) ou Société centrale des artistes bretons, mais l’élan est brisé. Du moins jusqu’en 1937 et la participation à l’Exposition universelle de Paris qui relance la seconde génération du groupe.

D’un point de vue mémoriel, cette mort prématurée a sans doute permis la constitution d’un souvenir positif et consensuel de Jeanne Malivel. En effet, tout en se gardant bien d’imaginer ce qu’aurait pu être la suite de sa carrière et de ses engagements, la fondatrice des Seiz Breur ne peut être associée de près ou de loin aux affres de la collaboration dans lesquelles tombe une partie du mouvement politique et artistique breton au cours de la Seconde Guerre mondiale, bien qu’elle ait fréquenté un certain nombre de ces militants nationalistes bretons.

Thomas PERRONO

 

1 Notons que la superposition de Nominoë, premier souverain de Bretagne au IXe siècle, avec la carte de la province de Bretagne d’Ancien Régime, indique une relecture nationaliste de l’histoire de Bretagne. On essaye de montrer l’alliance entre un territoire unifié et des souverains indépendants, faisant fi des frontières mouvantes de la Bretagne au Moyen Age et en niant l’alliance du duché avec le royaume de France au XVIe siècle. De plus,  Nominoë par sa posture semble protéger la Bretagne d’agressions venues de France.