La première mention d’Hitler dans les journaux français

Le numéro publié le 25 novembre 1933 par le célèbre quotidien L’Illustration présente en couverture une photo du monument inauguré à l’occasion du quinzième anniversaire de l’indépendance de la Pologne. Avec le recul, on ne peut que saluer la pertinence de ce choix éditorial lorsqu’on sait que ce magazine publie également, dans ce même numéro, un intéressant article sur « la progression et l’organisation du parti hitlerien ».

Numéro du 25 novembre 1933 de l'Illustration. Collection particulière.

Au pouvoir depuis le début de l’année 1933, Hitler ne cesse d’intriguer en France. Aussi est-ce pourquoi L’Illustration tente de mettre en perspective cette « révolution allemande » et revenant sur la genèse du mouvement nazi, « issu d’un groupe de sept hommes [qui] se développe et embrasse, en moins de quinze ans, toute une nation ». Ecrit par un ancien officier français, mutilé de la guerre 14-18 et chevalier de la Légion d’honneur, cet article présente le parti nazi comme étant avant tout une réaction au « bolchevisme menaçant ». Le propos peut d’ailleurs paraître aujourd’hui assez surprenant puisque toutes les références au racisme et à l’antisémitisme, dimensions inhérentes au nazisme sont éludées.

Bien sûr, on peut légitimement être choqué par le manque de clairvoyance du grand magazine français.

Pour autant, il convient de ne pas tomber dans le piège de la facilité d’un jugement a posteriori et, au contraire, de bien se rappeler combien le nazisme est, en ce début des années 1930 et encore plus dans les années 20, un objet politique difficilement identifiable vu de France.

C’est le 13 janvier 1923 que le nom d’Hitler apparait pour la première fois dans l’Ouest-Eclair. Le quotidien breton reproduit une dépêche du Journal évoquant la situation à Essen, ville alors occupée par la France à la suite de la Première Guerre mondiale. C’est dans ce cadre qu’apparait le nom du futur führer du IIIe Reich : « L’organisation hitler, qui groupe les étudiants nationalistes craignant que les mineurs de la Ruhr ne réagissent trop mollement à notre occupation, a envoyé spécialement quelques jeunes intellectuels qui se font fait embaucher comme ouvrier et travailleurs au fond des puits afin de rendre leur propagande plus efficace ». Le propos est tout aussi nébuleux quelques jours plus tard lorsque l’Ouest-Eclair, dans un article publié le 27 janvier 1923 à l’occasion de la proclamation de l’état de siège en Bavière, écrit qu’Hitler souhaite rétablir la monarchie. On notera également que c’est ce même jour que l’expression national-socialiste apparait pour la première fois dans les colonnes du journal rennais. Hitler est alors présenté comme un leader « prestigieux », à la tête d’une des trois organisations fascistes armées que compte alors la Bavière.

Photographie publiée dans l'Illustration le 25 novembre 1933 et présentée comme montrant le premier défilé du parti national-socialiste à Munich, en 1921. Les manifestants portent le costume traditionnel bavarois. Collection particulière.

Quotidien de référence, souvent considéré d’ailleurs comme la voix officieuse du Quai d’Orsay, Le Temps mentionne pour la première fois la première fois le nom d’Hitler en novembre 1922, à l’occasion d’un article faisant le point sur la situation en Bavière. Il y est présenté comme un « imitateur de Mussolini ». L’organisation national-socialiste y est dépeinte comme un parti « pas précisément respectueux de l’ordre public ni de la Constitution », ce qui est un bel euphémisme. Le Figaro n’est lui-même pas plus précis lorsque, le 25 août 1922, il décrit une manifestation des « socialistes-nationalistes, les Hitler ». L’article est écrit par André Lang, célèbre journaliste du Figaro et alors auteur à succès, et livre une description du défilé – « Drapeaux en tête, ornés de la croix à crochets (mort aux juifs !) » – qui  démontre clairement qu’il ne comprend pas ce qu’il voit.

C’est en cela que cet article est intéressant, en ce qu’il rappelle qu’il est très difficile d’analyser sur le moment un mouvement aussi inédit et idéologiquement confus que le nazisme. On notera toutefois que la presse française n’éprouve à cette époque que peu de sympathie pour ces nazis, qui sont présentés avant tout comme des nationalistes et donc comme des ennemis de la France. Certains pressentent toutefois le danger que représente ce mouvement, à l’instar du Temps qui se livre à un exercice d’anticipation qui, a posteriori, se révèle assez troublant : il prédit dès 1922 que si Hitler arrive au pouvoir, il en résulterait de grands risques pour la perte d’indépendance de l’Autriche et pour les Sudètes.

Erwan LE GALL